Jean-Luc Godard

Jean-Luc Godard
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum
Réalisateur, Scénario, Acteur

Personne n’avait été préparé à ça. Tout semblait avoir été vu et prévu, mais pas ça… Et les sorties quelque temps plus tôt des films de Vadim ou de Rouch, bien qu’exceptionnelles, n’avaient en rien préparé les spectateurs à subir ce qu’ils allaient voir en entrant dans les salles projetant le premier film d’un jeune chien enragé, ex-critique aux légendaires Cahiers du cinéma sous le pseudonyme de Hans Lucas. Le titre du film : A bout de souffle. Le nom du cinéaste, Jean-Luc Godard. Godard… un mot sur lequel on se gardera bien de jouer, malgré l’évidente tentation d’installer le cinéaste à la place enviée de dieu du cinéma. Bourré de jump-cuts, de plans filmés caméra à l’épaule et éclairés à la lumière naturelle, le film du jeune cinéaste suisse, jouant avec tous les codes du cinéma américain qu’il affectionne, invite gentiment les spectateurs qui ne l’aiment pas… à aller se faire foutre, lors d’une sublime tirade récitée face à l’objectif par l’acteur révélé Jean-Paul Belmondo. Le succès est immédiat, le cinéma français enterré, les classiques d’après-guerre oubliés. La Révolution culturelle est en marche. D’autant que la sortie du film fait suite à celles des 400 coups et du Beau Serge, respectivement de Truffaut et Chabrol, tous les deux journalistes aux Cahiers. Et tous les deux instigateurs du film de Godard écrit d’après une idée qu’ils ont eue ensemble à la terrasse d’un café

C’est quasiment le seul point commun que Godard entretient avec ces deux cinéastes. Bien que faisant évidemment partie de cette petite bande que François Giroux appelle La Nouvelle Vague, Godard fait déjà des films différents, autres. Là où Truffaut réalise un hommage au cinéma américain avec Tirez sur le pianiste, Godard montre déjà des préoccupations sociales et politiques avec son deuxième film, Le Petit soldat, traitant de la guerre d’Algérie, et interdit durant trois ans par la censure française. Vient une série de films marquants, réussis, et parfois à scandale. Le haut en couleurs Une femme est une femme, qui se termine par ces quelques mots : «je ne suis pas infâme… je suis une femme». Puis Vivre sa vie, et l’immense échec des Carabiniers dont le cinéaste ne se serait pas relevé s’il n’avait pas déjà été engagé sur la production du Mépris.

1963… L’année… La plus grande année du cinéma français, celle durant laquelle sort ce qui est considéré comme le chef d’œuvre absolu: Le Mépris. Un gros budget, un casting de stars (Piccoli et Bardot), la présence incroyable de Palance et celle troublante du dinosaure Fritz Lang, les décors de Cinnecita, les couleurs de la Méditerranée, celles de la maison de Malarmé à Capri… Le film tiré d’un roman médiocre de Moravia, régulièrement nommé en bonne place dans les palmarès de cinéma, ce dont Godard doit se foutre éperdument, est le plus bel hommage que l’on puisse faire au cinéma et à l’art en général. La scène d’ouverture, dite du blason, est probablement la plus incroyable jamais montrée sur un écran. Le dialogue entre Bardot et Piccoli durant cette scène aux couleurs du film (bleu, jaune, rouge) est l’un des plus célèbres au monde : «Tu préfères mes seins, ou la pointe de mes seins ?».

Après Bande à part, film auquel Quentin Tarantino rend hommage à travers le nom de sa société de production, nouveau scandale pour Godard, obligé de retitrer son nouveau film La Femme mariée, en… Une Femme mariée. Appréciez la nuance. Le film est vite suivi du sympathique Alphaville et du superbe Pierrot le fou, nouveau chef d’œuvre, nouveau triomphe, nouvelle consécration pour les retrouvailles du duo Godard-Belmondo, auquel s’ajoute le petit élément perturbateur en la présence d’Anna Karina, dont Godard est déjà progressivement entrain de se séparer. Puis Made in USA, 2 ou 3 choses que je sais d’elle, La Chinoise, Week end

Touché, comme ses confrères, par les mouvements de mai 68 (que Godard avait anticipés de quelques mois avec La Chinoise), Godard entre en politique, toujours par le biais du cinéma. Il empêche le rideau de la grande salle du festival de Cannes de s'ouvrir, et manifeste pour la reconnaissance par le milieu du cinéma du mouvement étudiant. La décennie des années 70 commence, et pour Godard, comme pour ceux qui auront choisi de ne pas reconnaître le changement des mentalités, elle sera suicidaire. Les gens ont perdu leur esprit de révolte, l’apathie règne. Et Godard, soudé au collectif Dziga Vertov, sombre lentement dans l’oubli. Leurs films ne sont pas ou peu vus, et la durée de ceux-ci se fait de plus en plus courte. Considérant que le cinéma est un support qui sert principalement un certain public par le biais d’une esthétique bourgeoise, le groupe dans lequel se fond volontairement le cinéaste est un échec, interrompu par un accident de la route subi par Godard.

Réfléchissant sur cet échec, Godard revient vers un cinéma plus traditionnel, mais travaille cette fois sur un support qui coïncide avec sa nouvelle passion pour la communication et la technologie, la vidéo. Tournant avec l’aide de celle qui deviendra sa femme, Anne-Marie Mielville (réalisatrice de Nous sommes tous encore ici) quelques séries de courts métrages, documents pour la télévision, il réalise également ce qui reste son film le plus célèbre de cette période, Numéro deux.

1979, Godard revient au cinéma. Cette nouvelle fait l’effet d’une bombe, d’autant que le film met en scène Jacques Dutronc, Isabelle Hupert et Nathalie Baye. Devenu instantanément le film le plus attendu de l’année, Sauve qui peut (la vie) divise. Godard a changé, et a assimilé toutes les expériences réalisées sur les tournages précédents. Ce film se présente ainsi autant comme une conclusion expérimentale que comme un nouveau départ pour Godard cinéaste, une façon d’ouvrir en beauté ce qui reste sa plus belle décennie, celle des années 80. Je vous salue Marie (gigantesque scandale), Prénom Carmen (Lion d’or à Venise), Détectives (dans lequel il révèle Hallyday acteur et joue de nouveau avec tous les codes de la série noire), Soigne ta droite (avec les Rita Mitsouko)… Il créé l’événement du festival de Cannes 87 en présentant un film qui n’a plus que peu de rapport avec la commande du producteur Menahem Golan (Over the top): King Lear, pour lequel il échappe de peu au procès que veut lui intenter la maison de production de la Cannon Group.

C’est en 1989 qu’il commence ce qui sera sa plus grande œuvre, sa recherche du temps perdu, ses Histoire(s) du cinéma, série pour le moment limitée à huit segments. Chaque épisode est depuis une douzaine d’années un mini-événement, racontant les relations de l’histoire du cinéma avec l’Histoire, celle des hommes et des peuples. Une œuvre gigantesque, incroyable de beauté et de finesse.

Mais depuis vingt ans, et malgré l’impact des films des années 80, le cinéma de Godard a changé, s’est déplacé. Bien que Nouvelle vague, Hélas pour moi et Eloge de l’amour soient des chefs-d’œuvre, ce n’est plus sur le grand écran que Godard fait son cinéma, mais bien sur la petite lucarne. Devenu une figure exemplaire du PAF, reconnu pour ses prises de positions extrêmes et généreuses, ses boutades et son phrasé si particulier, Godard est aujourd’hui, au même titre que Van Damme, l’un des rares privilégiés à voir ses apparitions télé sans cesse retransmises au zapping du lendemain. Largement plus intelligentes que la moyenne, les idées du cinéaste cadrent mal avec ce qui est devenu un univers incroyablement codifié. Mais au lieu de s’en détourner, ou encore de se laisser bouffer par se système, Godard joue avec, en maître de l’image qu’il est. N’a t-il pas laissé Noël Godin l’entarter lors de son passage à Cannes? Manipulateur, JLG passe ainsi pour la victime. On le plaint… sans même s’apercevoir que Godard avait tout prévu, en un quart de seconde, celui durant lequel il a aperçu l’entarteur se faufiler derrière lui. Tout Godard est là. Manipuler le spectateur, jouer avec l’image, son image, par le biais du plus vieux gag du monde. C’est du Godard, quoi.

par Anthony Sitruk

En savoir plus

A bout de souffle Le Petit soldat Une femme est une femme Les Carabiniers Le Mépris Bande à part Une femme mariée Pierrot le fou Alphaville Made in USA Week end La Chinoise Numéro deux Sauve qui peut (la vie) Je vous salue Marie Prénom Carmen Détectives Nouvelle vague King Lear Hélas pour moi JLG/JLG Forever Mozart Eloge de l’amour

Quelques liens :

Commentaires

Partenaires