Isao Takahata (1935-2018)

Isao Takahata (1935-2018)
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Réalisateur, Scénario
  • Isao Takahata (1935-2018)
  • Isao Takahata (1935-2018)

Homme de lettres et mélomane, Isao Takahata est indissociable du succès du studio Ghibli. Producteur de Nausicaä de la vallée du vent et du Château dans le ciel, réalisateur des éblouissants Tombeau des lucioles et Mes Voisins les Yamada, Takahata a construit au fil du temps une œuvre cohérente et exigeante. Ses carnets de voyage interrogent les mœurs d'une société écartelée entre un passé tumultueux et un avenir tâtonnant. Son approche de l’animation, emprunt d’un naturalisme saisissant, se distingue de celui de Miyazaki, chantre du lyrisme fantastique. L’identité de Ghibli repose toute entière sur ces deux personnalités complémentaires. Deux têtes brûlées qui ont brillamment dépoussiéré une industrie moribonde. Alors qu'Isao Takahata vient de nous quitter, retour sur notre portrait mis en ligne avant la réalisation de ce qui restera son dernier film, Le Conte de la Princesse Kaguya.

BILLETS DOUX

Un hérisson se perd dans la forêt. Une bergère trouve réconfort auprès d’un ramoneur. Né à Ise en 1935, Isao Takahata cultive depuis l’adolescence une passion pour le cinéma de Paul Grimault et de Youri Norstein. Ces deux chocs esthétiques l’accompagneront toute sa carrière. En 1959, diplômé de littérature française à l’université polytechnique de Tokyo, l’aspirant metteur en scène est reçu au studio Tôei Animation, la célèbre compagnie fondée six ans plus tôt (on lui doit La Légende du serpent blanc de Taiji Yabushita, influence majeure d’une génération d’artistes japonais). Il noue amitié avec deux sommités de l'animation: Yasuji Mori et Yasuo Ôtsuka, ainsi qu’une jeune recrue persévérante, Hayao Miyazaki. En 1963, ses supérieurs lui confient la réalisation de Ken, l’enfant loup, première série télévisée de Tôei, dont le rythme hebdomadaire impose un travail harassant. Pour calmer le mécontentement des syndicats, la firme s'en remet à Ôtsuka, son secrétaire général, pour réunir ses disciples autour d'un nouveau projet. L'austère Horus, prince du soleil amorce un tournant esthétique dans l'histoire de Tôei. Sa production coûteuse et sa contre-performance au box-office enveniment les relations auprès de la direction, mais le film révèle la créativité d’Isao Takahata qui, contrairement à Miyazaki, concrétise d’emblée son goût pour la mise en scène (sans passer par les tâches intermédiaires d’animateur ou de décorateur). Précision importante: Takahata ne dessine pas. D’où la diversité des graphismes abordés dans sa filmographie.

CAVALCADES

En 1971, la Tôei perd ses meilleurs éléments. Takahata, Miyazaki et Kotabe rejoignent Ôtsuka au studio A Production. Le nom de Takahata est associé à quelques classiques de l'animation japonaise: Lupin III et l'enchanteur Panda et Petit Panda (ancêtre de Mon Voisin Totoro) qui devient un long en 1973. La même année, la fine équipe migre vers les studios de Nippon Animation, spécialisée dans l'adaptation d'oeuvres littéraires. Takahata coordonne notamment les séries Heidi, Anne aux cheveux rouges et conçoit le storyboard de quelques épisodes du Chien des Flandres et surtout de Conan, le fils du futur, premier coup d'éclat de Miyazaki. Avec Kié la petite peste en 1981 et Goshu, le violoncelliste l'année suivante, Takahata délaisse le petit écran et s'oriente plus franchement vers le cinéma. Adapté d'une nouvelle de Kenji Miyazawa, écrivain vénéré au Japon, Goshu montre l'attrait de Takahata pour le conte et la musique, un élément toujours soigné de sa filmographie. En 1984, Miyazaki lui confie la production de Nausicaä de la vallée du vent, une expérience concluante qu'il renouvellera deux ans plus tard pour Le Château dans le ciel, dont il compose le thème principal. Tokuma Shoten, co-productrice de Nausicaä, désirant s'investir dans le cinéma d'animation, Miyazaki et Takahata fondent le studio Ghibli en 1985. Après la production éreintante du Château dans le ciel, Takahata revient à la mise en scène pour une parenthèse documentaire. Produite par Miyazaki grâce aux recettes de Nausicaä, L'Histoire du canal de la Yanagawa ne contient que quelques séquences animées.

LA MORT DANS L'AME

En 1988, les deux hommes se consacrent chacun à un projet leur tenant à coeur. Miyazaki travaille d'arrache-pied sur Mon Voisin Totoro, pendant que Takahata adapte un roman tombé dans l'oubli, Le Tombeau des lucioles. D'un naturalisme confondant, le film épuise toutes les possibilités mimétiques de l'animation et en démontre la force évocatrice. Chaque mouvement bénéficie d'une étude poussée sur la gestuelle, le port de tête et les expressions du visage. Souvent proche du documentaire, Le Tombeau des lucioles jette une lumière crue sur la réalité, mais ne renonce pas pour autant au romanesque. Le film est raconté par l'un de ses personnages, fantôme du passé endeuillant chaque souvenir. La distance créée par le narrateur accentue encore plus la solitude des enfants, deux oubliés de la guerre, ramenés à la vie le temps d'un conte déchirant. La mère n'est qu'un cadavre couvert de bandages, une voix sans visage. La figure du père est encore plus abstraite, Seita imagine une constellation, un paquebot imaginaire. Le lendemain, les petites loupiotes ne sont plus que des lucioles mortes. Le plan final résume à lui seul le propos de Takahata: tendre au présent le miroir du passé, perpétuer la mémoire pour bâtir un avenir meilleur.

ARRIERE-COUR

Réalisé en 1991, Omohide Poroporo (Souvenirs goutte à goutte) prolonge cette quête du réalisme à travers le double filtre de la fiction et du dessin. Taeko profite de ses congés pour passer quelques jours à la campagne. En chemin, elle se remémore des épisodes de son enfance. Le film juxtapose deux temps de narration, le regard de l'adulte qui s'interroge et celui de la petite fille qui se souvient. A chaque époque, une mise en scène et un graphisme différents. Le trait devient plus délié quand il s'agit d'évoquer un souvenir, le contour des cadres plus flou, le passé délavé s'embellit même de détails oniriques (Taeko enfant volant dans les airs pour illustrer le vertige de l'amour). Takahata ravive les souvenirs de son héroïne, en même temps qu'il chatouille ses sens: les goûts de son enfance (l'ananas, le namasu), le toucher (la cueillette du benibana, la texture du vêtement), l'ouïe (la radio, les chansons des années 70). Voyage intimiste, le film explore les recoins d'une mémoire qui n'en finit plus d'empiéter sur le présent. D'une incroyable richesse thématique, Omohide Poroporo est sans doute le film le plus abouti de Takahata.

DIVERSION

S'il exploite à merveille le dessin réaliste, Takahata s'est aussi essayé à des univers fantaisistes. Pompoko (1994) relate les aventures des tanuki, célèbres animaux du folklore japonais, chassés de leur territoire par les pelleteuses. Capables de se transformer, les tanuki s'amusent de la crédulité des humains et titillent leur imagination. Adapté d'un manga minimaliste, Mes Voisins les Yamada (1999) décrit le quotidien humoristique d'une famille moyenne. Traits caricaturaux, arrière-plan dépouillé, séquences chantées, inserts de haïku... le film amorce un nouveau virage dans l'oeuvre de Takahata. Contesté au sein même du studio Ghibli lors de sa réalisation, Mes Voisins les Yamada apporte pourtant une fraîcheur bienvenue à la production. Passant d'un style à l'autre, d'une adaptation à une autre, Isao Takahata revivifie et détourne les genres. En cherchant ailleurs ce qui lui fait défaut (le dessin notamment), il nourrit sa propre inspiration et crée une oeuvre à multiples facettes, d'une sensibilité extrême. Reste à savoir si Takahata réalisera un jour son rêve: celui de transposer à l'écran les contes et légendes des Ainu, ethnie vivant au nord du Japon.

par Danielle Chou

En savoir plus

1999 Mes Voisins les Yamada

1994 Pompoko

1991 Omohide Poroporo

1988 Le Tombeau des lucioles

1982 Goshu, le violoncelliste

1981 Kié la petite peste

1968 Horus, prince du soleil

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