Claire Denis

Claire Denis
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Réalisatrice, Scénario
France

Attaché par tradition à l’excellence du mot, le cinéma français ne semble nullement avoir de prise sur Claire Denis qui, film après film, explore l’indicible et peaufine son statut d’éternelle marginale. Cinéaste nomade voyageant de l’Afrique aux Etats-Unis, Claire Denis se tourne naturellement vers l’immigré, figure récurrente de sa filmographie, qui la conduit à creuser les mêmes obsessions: l’inconnu, l’étranger et le déracinement. Des collaborations éclectiques auprès d’esthètes de l’image (Jim Jarmusch et Wim Wenders), nourrissent un imaginaire sans frontière, secoué d’éclats d’une beauté saisissante.

L'INTRUSE

Pour Claire Denis, le cinéma sera d’abord une affaire de geste. Le texte importe peu, l’intrigue poreuse constitue un fragile fil conducteur. Les dialogues, réduits à des bruissements imperceptibles, en disent moins que les pulsations et les déhanchements d’un corps. D’une sensualité électrique, habitées par des visions sublimes, les oeuvres de Claire Denis puisent leur inventivité dans la matière, du grain de l’image à la texture du son, en parcourant les sillons de la peau. Etrangers à leur environnement ou étrangers à eux-mêmes, les personnages de Claire Denis se fondent dans des univers décalés, presque déréalisés. La cinéaste fait elle-même l’expérience de cette rupture. Née à Paris, elle passe toute son enfance en Afrique et ne revient en France qu’à l’âge de quatorze ans. De retour au pays, elle s’y sent à l’étroit et ne s’intéresse au cinéma qu’en dilettante. Des études d’économie expédiées, un passage par les langues orientales, puis elle entre à l’IDHEC (ancêtre de la FEMIS) et co-réalise quelques courts inspirés des nouvelles de Philip K. Dick et de Julio Cortazar. Aucune vocation jusque-là; Claire Denis mène toutefois ses études à leur terme. Sortie de l’IDHEC, elle devient l’assistante de Robert Enrico (Le Secret, Le Vieux Fusil), Costa-Gavras (Hanna K.), Jim Jarmusch (Down by Law) ou encore Wim Wenders (Paris, Texas, Les Ailes du désir). Le tournage de Paris, Texas lui inspire alors son premier long, Chocolat. Poussée malgré elle à la réalisation, elle s’attèle à l’écriture du scénario et voit enfin poindre un vrai désir de cinéma.

FIGURES DE STYLE

Entre Claire Denis et ses créatures itinérantes, toujours entre deux pays et deux aéroports, le parallèle est constant: l’histoire de Chocolat, une héroïne prénommée France retournant au Cameroun après vingt ans d’absence, s’inspire de ses propres souvenirs. Dans son imaginaire, deux acteurs donnent corps à cet ailleurs entêtant: Isaach de Bankolé, le domestique de Chocolat et l’immigré de S’en fout la mort s’initiant aux combats de coqs, partageant lui-même sa carrière entre l’Europe et les Etats-Unis. Et Vincent Gallo, l’artiste polyvalent, icône un rien subversif de l’Amérique underground, obnubilé par le nom de sa mère, Betty Brown. Regard magnétique, visage émacié, il apparaît pour la première fois chez Claire Denis dans un moyen métrage intitulé Keep it for Yourself, sous le nom de Vito Brown. Ou la mésaventure sentimentale d’une Française à New York et sa rencontre impromptue avec un Portoricain. Il ressurgit trois ans plus tard dans le rôle du Captain Brown offrant sa bouteille de Coca (US Go Home), puis de Vincenzo Brown, boulanger à Marseille, (Nénette et Boni) avant de compléter le tableau de famille en revenant à Paris dans Trouble Every Day dans la peau du Dr. Shane Brown. Fidèle à ses acteurs, Claire Denis s’entoure d’une communauté solidaire: le couple Béatrice Dalle-Alex Descas de J’ai pas sommeil et Trouble Every Day ou les frère et sœur Grégoire Colin-Alice Houri de US Go Home et Nénette et Boni. Son amitié avec Jim Jarmusch lui fait rencontrer Béatrice Dalle sur le plateau de Night on Earth, mais aussi Tricia Vessey qu’elle repère dans Ghost Dog. Isaach de Bankolé participe d’ailleurs aux deux films.

INCANTATIONS

A l’écoute des tensions culturelles et sociales, l’œuvre de Claire Denis revendique son métissage: Katerina Golubeva, comédienne lithuanienne tentant sa chance à Paris dans J’ai pas sommeil, Alex Descas et Isaach de Bankolé, les compagnons d’infortune originaires du Bénin et des Antilles dans S’en fout la mort. Man No Run, son documentaire sur la première tournée française d’un groupe de rock camerounais, accompagnait déjà le regard des visiteurs. Nouant et dénouant les liens du sang, les amitiés et les amours, elle isole ses personnages pour mieux embrasser leurs contradictions et leur intimité, refusant néanmoins tout attrait du voyeurisme. J’ai pas sommeil et Trouble Every Day s’aventurent ainsi du côté des monstres humains; le premier observe le quotidien d’un serial killer, le second suit la trajectoire de deux cannibales. Articulées autour de leur gestuelle et de leurs déplacements, les histoires se concentrent en premier lieu sur les acteurs. A l’affût des tressaillements, la caméra s’attarde sur les visages et épouse amoureusement la cadence des interprètes, électrons libre guidant la mise en scène. L’intrusion des danses rituelles dans Beau Travail n’est que l’aboutissement de cette structure charnelle et musicale. L’écriture de Nénette et Boni a été inspirée par la chanson My Sister des Tindersticks ou l’effrayante biographie d’une sœur fantasque et frappée par le sort. La magnifique partition de Trouble Every Day revient également au groupe anglais, ainsi que celle de Vendredi soir composée par le guitariste-violoniste Dickon Hinchliffe.

ENTRELACS

La musique remplace peu à peu les mots, influant sur le rythme et la durée d’une séquence. On se souvient de God Only Know de Brian Wilson accompagnant le jeu de séduction entre Valéria Bruni-Tedeschi et Vincent Gallo dans Nénette et Boni, et de Safeway Cart de Neil Young apaisant la marche des légionnaires dans Beau Travail. L’opéra Billy Bud de Benjamin Britten donne une ampleur insoupçonnée aux chorégraphies de Bernardo Montet. Réconciliant les arts –la peinture, la musique et la littérature (Herman Melville pour Beau Travail, Emmanuèle Bernheim pour Vendredi soir)-, le cinéma sensitif de Claire Denis balaie toute contrainte grammaticale et réinvente un langage à la fois pictural et harmonique, bouleversant l’espace et les fuseaux horaires. De Paris à Marseille, de New York à Djibouti, ses villes insolites deviennent à leur tour des personnages. Construite à partir de blocs temporels et de fragments éphémères, son oeuvre parfaitement ciselée privilégie la contemplation; il s’agit moins de comprendre que d’éprouver physiquement une émotion, un sentiment. Avide de nouvelles expérimentations, Claire Denis s’adapte à tous les formats et travaille aussi bien pour le cinéma que la télévision, la fiction et le documentaire. Vers Nancy, l’un des huit courts de Ten Minutes Older: The Cello commandé à plusieurs cinéastes, montre le philosophe Jean-Luc Nancy s’entretenir avec l’une de ses étudiantes. Le sujet? L’étranger.

par Danielle Chou

En savoir plus

2004 L'Intrus 2002 Vendredi soir 2001 Trouble Every Day 1999 Beau Travail 1996 Nénette et Boni 1994 US Go Home 1993 J’ai pas sommeil 1990 S’en fout la mort 1988 Chocolat

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