Rencontre avec Kiyoshi Kurosawa

Rencontre avec Kiyoshi Kurosawa

Kiyoshi Kurosawa était l'an passé à l'honneur à la Cinémathèque française, qui a proposé une très large rétrospective de ses œuvres. Kurosawa était venu à Paris présenter ce cycle, a participé à une séance de dédicaces (où l'on pouvait voir une famille poser, fillettes comprises, sur une photo avec le maître - on n'imaginait pas l'auteur de Kaïro ou Cure si grand public !), et a répondu aux questions de Jean-François Rauger lors d'une leçon de cinéma. A l'occasion de la sortie ce mercredi 29 mai puis le mercredi 5 juin de sa saga en deux parties, Shokuzai, nous vous proposons de revenir sur ce long entretien.

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Sur ses débuts
Quand j'étais au lycée, je voyais essentiellement des films de divertissement américains. J'ai ensuite commencé à faire des films en Super 8, à la façon des films que je voyais, mais ça ne marchait pas. Puis j'ai rencontré les films de Godard, et ça m'a montré qu'il était possible de tourner des choses différentes. A l'époque, je n'avais pas envie de tourner un film japonais. Le cinéma de Godard m'a ouvert des possibles, j'ai vu ses films de la Nouvelle vague puis ceux des années 80 qui étaient diffusés au Japon.

Sur le cinéma américain des années 70
J'étais amateur de ce cinéma et il était facile d'accéder à ces œuvres. J'ai vu les films de toute une nouvelle génération de cinéastes américains... mais mes goûts se sont rapidement dirigés vers les vétérans qui tournaient à cette époque-là, et qui pour certains tournaient déjà dans les années 40. J'ai eu la chance de voir les dernières œuvres de cinéastes qui ont profité d'un système, c'était une période politique mouvementée, et ces vétérans étaient en perte de repères mais leurs films étaient brillants et précis.

Sur Richard Fleischer
Tous ses films me plaisent, quels que soient leurs genres ou époques. Ils sont si divers que si on les posait les uns à côté des autres, ils pourraient résumer, d'une certaine façon, l'histoire du cinéma. Dans ses films, on pourrait se dire que l'histoire est anodine, mais il a le talent pour faire en sorte que la mise en scène et l'histoire racontée se rencontrent.

Sur l'influence du cinéma d'horreur
J'aimais, dès l'école primaire, regarder des films d'horreur. Un peu comme Tim Burton j'imagine ! (Tim Burton, comme Kiyoshi Kurosawa, est également à l'honneur en ce moment à la Cinémathèque, ndlr) Dans les années 70 j'ai découvert Tobe Hooper. J'étais décontenancé. Un film comme Massacre à la tronçonneuse présentait un curieux mélange de brutalité et d'étrangeté. C'est un cinéaste qui a modernisé l'horreur telle qu'elle était dans les cinémas britanniques et italiens. A la fois classique et contemporain. Il y a dix ans, j'ai rencontré Tobe Hooper. Il ne me connaissait pas. Je lui ai demandé quel était son cinéaste favori. Et il m'a répondu: Richard Fleischer.

Sur l'inquiétude, la frayeur et le dérèglement
En fait je n'ai jamais vraiment eu envie de faire des films d'horreur. J'avais envie d'emmener mes personnages au-delà de leurs limites. Comment se relèvent-ils alors ? Quel horizon se dégage ? J'ai certainement été influencé par le cinéma américain des années 70. La peur est le meilleur matériau pour pousser mes personnages dans leurs retranchements.

Sur l'originalité de ses fantômes
A l'origine, je n'aimais pas forcément les fantômes japonais. J'aimais davantage les monstres occidentaux, ceux d'Universal, Dracula, Frankenstein. Ils m'ont servi d'inspiration. Un jour j'ai écrit une lettre à Christopher Lee, en lui disant que j'étais un grand fan. Et il m'a répondu ! Quand je suis devenu réalisateur, j'ai réalisé à l'université un petit film où un ami jouait le rôle de Dracula. Ce film n'est pas présent dans cette rétrospective, j'en ai trop honte ! Faire un film au Japon avec un monstre comme Frankenstein, à part dans une parodie, ce n'était pas possible. J'en suis donc revenu aux fantômes. Je me suis alors demandé où les faire apparaître. Le lieu, pour moi, était la clef. J'ai généralement choisi des ruines, des hangars en béton... alors que la logique aurait voulu que je les fasse apparaître dans des maisons ou cimetières. Pour moi, c'est une influence directe du château en pierre de Dracula ou du laboratoire de Frankenstein.

Sur la représentation du fantôme
Door III (dont un extrait a été projeté durant cette leçon de cinéma, ndlr) est un film à tout petit budget, conçu pour la télévision. Je me rends compte que sur grand écran, le fantôme derrière la colonne est très visible ! En ajoutant ce fantôme, j'avais d'abord envie de perturber le spectateur. C'était une façon de ne pas relâcher la pression, de maintenir une tension permanente. J'apporte un soin particulier au "relief" du fantôme. Il est debout, immobile, c'est une ombre, une trace, comme dans Kaïro. Le film est projeté sur un écran, l'image est en 2D. Mais avec ce qui se passe dans le cadre, cette image devient en 3D. Le fantôme n'a pas de relief, mais c'est différent selon l'angle de la caméra. Il peut être plat, ou avoir de l'épaisseur. Je veux brouiller la perception du relief dans l'image. Par le déplacement de la caméra, on voit bien que le fantôme est en 3D et qu'il n'est pas qu'une tache. Mes fantômes sont joués par des acteurs. Mais je brouille parfois les pistes en incrustant à l'image une photo de l'acteur. Le spectateur se demande ainsi si ce qu'il voit est factice, et ça me permet de perturber sa perception de l'image.

Sur les plans larges et le regard
La caméra est là où quelqu'un peut observer ce qui se passe. La distance est très importante. Le gros plan, comme la caméra portée, sont des facilités. Pour moi, les meilleures scènes et les meilleurs films sont ceux où tous les participants s'expriment. La caméra immobile, c'est celui qui regarde, c'est aussi celui qui n'est pas dans le monde de l'image. Je veux mettre en valeur cette neutralité. Lorsque les frères Lumière filment la sortie d'usine, on regarde ceux qui ne savent pas qu'ils sont regardés. De la même façon, mes personnages dans l'image ne savent pas qu'ils sont observés.

Sur le goût pour la catastrophe et la fin du monde
A propos de Charisma et de Kaïro, ce sont des films tournés à la fin du XXe siècle, et c'était dans l'air du temps. Je voulais mettre un terme à cette culture du XXe siècle à travers la fiction. Je voulais également emmener mes personnages au bout de leurs limites. Jusqu'où aller ? Jusqu'à mettre un terme au monde. Et observer, malgré ça, la façon dont ils se relèvent, leur force de vie.

Sur Angelopoulos, Somai et d'autres
J'ai été assistant de Shinji Somai. C'était un homme passionnant qui m'a énormément appris. Son influence, cependant, n'est pas tellement celle du contenu, plutôt de la technique. J'ai été très choqué par la mort de Theo Angelopoulos. Depuis que je suis passé de spectateur à réalisateur, Angelopoulos a eu une grande influence sur moi. D'autres réalisateurs également, tels que Abbas Kiarostami ou Edward Yang.

Sur ses projets
J'entre en tournage en juin-juillet. Mais je ne peux pas en dire plus pour le moment.

par Nicolas Bardot

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