Rencontre avec Julie Delpy

Rencontre avec Julie Delpy

Julie Delpy poursuit son parcours atypique, à la fois actrice et réalisatrice, entre France et États-Unis. Son nouveau film, 2 Days in New York, est une comédie réjouissante inspirée selon ses propres dires par... Les Dents de la mer. Delpy était présente lors d'une avant-première. Entre une chasse aux mites improvisée et une spectatrice qui lui demande si elle est enceinte, la réalisatrice confirme qu'elle est aussi drôle en vrai que sur grand écran. Extraits.

  • Rencontre avec Julie Delpy
  • Rencontre avec Julie Delpy

Sur les antagonismes de comédie
C’est un film sur les différences culturelles, mais aussi sur le contraste familial, sur les différences d’un couple qui a trouvé une harmonie. Et ces individus provoquent un chaos dans leur couple qui déjà n’est pas simple puisque reformé. Déjà dans le premier film Marion et Jack n’arrivent pas à faire l’amour. Quand les gens font l’amour c’est moins drôle, quand ils n’arrivent pas à le faire pour des raisons diverses et variées, que tout le monde autour d’eux le fait mais pas eux, ça m’amuse beaucoup. Ça m’amusait beaucoup de faire un film sur un couple où les gens n’arrivent pas à entrer dans cette intimité là. Je trouve ça drôle quand un couple n’arrive pas à baiser, c’est quelque chose qui me fait rire.

Sur l’écriture à deux
J’ai écrit d’autres comédies mais seule. J’étais dans une période un peu sombre de ma vie, j’ai perdu ma maman, c’est inclus dans l’histoire parce que je n’arrivais pas à ne pas l’inclure dans l’histoire, et parce qu’elle était dans le premier film. J’arrivais pas à écrire sans qu’elle n’y soit. Et c’est vrai qu’appeler des amis à la rescousse, ça a allégé ma vie, ça a fait que j’ai réussi à écrire et retrouver une certaine légèreté même en abordant le sujet de la perte. L’essentiel était de revivre et reprendre de l’oxygène. Dans Le Skylab je joue le rôle de ma mère, c’est une autre forme d’hommage. Celui-là je l’écrivais le jour avec Alexia Landeau pendant la sieste de nos enfants, et le soir seule j’écrivais Le Skylab.

[Julie Delpy s’arrête, tente d’écraser une mite, échoue]

Sur son partenaire
J’ai décidé d’avoir Chris Rock dans le film, et d’avoir un nouveau petit ami. Le premier film finit plutôt ouvert donc on se dit qu’ils vont rester ensemble. Effectivement ils sont restés ensemble, ils ont eu un enfant et puis ça s’est un peu gâté. Parce que parfois quand on a des enfants ben… c’est pas possible. Donc j’avais décidé qu’il y aurait un nouveau copain, que ce serait une suite atypique, sur la recherche d’équilibre de cette femme. Si ça n’avait pas été Chris, ça aurait été complètement différent. J’aime beaucoup Chris Rock, c’est quelqu’un que j’admire beaucoup dans son stand up, très caustique, politiquement incorrect et je voulais bosser avec lui. Et j’avais ce fantasme de voir Chris Rock faire des scènes avec mon père. Y’a des gens qui rêvent de faire des trucs bizarres avec des femmes et des lapins, moi c’était voir mon père faire des scènes avec Chris Rock ! C’était très plaisant de pouvoir assouvir ce fantasme parce que j’admire beaucoup Chris Rock. Et j’admire beaucoup mon père, de façon différente.

Sur la frustration de ne pas jouer des comédies avant
J’ai passé pas mal de temps avec Kieslowski après Blanc à parler d’écriture scénaristique et d’inspirations. Lui, ce dont il parlait, c’était surtout d’être vrai. Si tu n’es pas David Lynch, n’essaie pas de faire un film à la Lynch, parce que Lynch est Lynch et il est comme ses films dans la vie. Kieslowski était comme ses films, d’une certaine manière, avec beaucoup d’humour mais assez sombre. Godard m’a dit la même chose. J’ai écouté ça. Et pour moi l’important est de suivre qui ont est. Je suis encore là grâce à l’humour, toutes formes d’humour, cochon, plus fin, déjanté, mes styles vont dans tous les sens. J’aime autant l’humour cochon que fin. Grivois comme cochon. J’aime bien le mot cochon ! (rires) C’est vrai que faire des comédies, ça me ressemble. Pas parce que je suis quelqu’un de très drôle dans la vie mais parce que l’humour me permet de surmonter tout.

Sur la vulgarité
Parfois je fais des blagues et on me répond des trucs super vulgaires et ça me met super mal à l’aise. Parce que la vulgarité me met super mal à l’aise. Par exemple je vois parfois des comédies françaises et ça me met super mal à l’aise, je trouve ça très vulgaire et j’ai très peur de la vulgarité d’une certaine manière. Il y a une différence avec la gouaille, le côté rabelaisien, mais qui est vrai, pas juste là pour choquer, que ce ne soit pas malsain en le disant. Quand le père dans le film parle de se branler sur le canapé, il va pas vraiment se branler, on voit bien qu’il déconne. C’est pas malsain quoi. Enfin moi ça me semble pas malsain ! (rires) On parlait de tout à la maison, en même temps tout le monde était très sain, personne trompait personne, personne allait aux partouzes, ou faisait des trucs horribles. Mais c’était des gens qui parlaient très librement. Il y a une grande différence entre la liberté d’esprit et se dire libre pour faire n’importe quoi. Après vous êtes libres d’aller aux partouzes aussi si vous voulez, je vais vous empêcher. (rires) Enfin j’ai jamais… Mais il y a une différence entre le langage et aller dans des trucs super chelou. Moi je suis pas du tout chelou, je suis super fleur bleue, je crois à l’amour… d’ailleurs ça se voit, le film est comme un conte pour enfants.

Sur l’improvisation, sur la liberté du cinéma américain des 70’s
C’est mon cinéma préféré. Ça va de Fat City à Altman (Un mariage), Woody Allen, Cassavetes. C’est la liberté d’une façon de faire. J’ai revu Un mariage, c’est d’une totale liberté, c’est la folie totale, c’est assez génial de voir ça. D’ailleurs y’a des trucs qui fonctionnent, d’autres pas mais quand ça fonctionne c’est génial. Généralement j’écris pas mal de dialogues, il y a peu d’improvisation. Quand un acteur bloque complètement, je vais le laisser mais j’essaie d’écrire un langage totalement parlé. Ce qui me fait peur c’est faire un dialogue qui n’existe pas : Et Jean-Michel me prit la main, blablabla, un langage très littéraire. Ca peut fonctionner chez certains auteurs, ça a fonctionné chez Rohmer pendant des centaines d’années (et j’aime bien Rohmer !), mais j’essaie d’écrire du dialogue parlé, j’essaie d’avoir des petites voix dans ma tête qui parlent. Sur Le Skylab, les acteurs avaient du plaisir à jouer car ils avaient l’impression que c’était écrit pour parler, pas pour réciter. Après ça dépend du film, dans La Comtesse par exemple c’est très différent.

Sur le financement
C’est un film financièrement très compliqué. Tourné entièrement à New York mais financé par l’Europe (Franco-germano-belge), et en fait c’est très compliqué. Quand on tourne à New York on se frotte au syndicat new yorkais du cinéma. C’est se frotter à quelque chose que je ne recommande à personne ! C’est particulier, c’est très rigoureux, très rigide et très dur. Mais on a pu quand même le faire. C’était essentiel que ça soit à New York, on a pris notre mal en patience et on a pu faire le film.

Sur être femme réalisatrice aux États-Unis
C’est pas simple. En France il y a beaucoup de femmes réalisatrices. Je fais partie de la DGA (Directors Guild Association), on est moins de 5%, donc vraiment en minorité, et dans ces 5%, très peu de femmes qui sont vraiment actives. Je trouve mes financements en Europe, pas en Amérique. Je pense que Kathryn Bigelow, quand elle gagne son Oscar, elle a vraiment une image très masculine, elle a des couilles, on lui a laissé faire un film de mec, sur les mecs. Je l’aime beaucoup, mais elle est acceptée parce qu’elle a pris des couilles. Le faire avec une approche plus féminine, c’est pas gagné, c’est un monde très machiste aux États unis. C’est très drôle parce que beaucoup de pontes de studios sont des femmes mais qui ne font pas confiance aux femmes en tant que réalisatrice. « Une femme a ses règles, elle est hystérique, il faut arrêter le tournage 4 jours », c’est le 19e siècle un peu. C’est un peu élisabéthain comme vision de la femme.

Sur filmer New York
C’est une très belle ville mais elle a été tellement filmée, j’étais presque gênée, en me disant que tel plan faisait trop ci ou trop ça. Ca a été énormément filmé par Woody Allen, Scorsese, des films des 70’s, Panique à Needle Park, Lumet, tout le monde a filmé New York de manière géniale. Donc moi j’ai dû me détacher de ça, je connaissais trop New York par les films des années 70 et je voulais éviter l’image qu’on connait déjà. D’une certaine manière je regrette de pas avoir plus filmé New York. Mais c’est de plus en plus compliqué de tourner à New York. Tu tournes avec 3 personnes, t’as autant de camions que pour Inception, t’as 12 camions tout le temps, les lois new yorkaises t’imposent des gens, tu ne sais même pas ce qu’ils font sur le film. C’est un peu difficile pour un budget entre-deux, vous n’avez pas 200 millions ni 1 million, vous avez les contraintes sans vraiment avoir l’argent.

Sur l’Amérique
On peut critiquer les Américains sur beaucoup de choses mais si il y a quelque chose de bien, c’est leur sens de l’autocritique et de l’autodérision. Le peuple américain n’est pas une masse uniforme comme le peuple français ou d’autres peuples. Il y a eu beaucoup plus de films américains critiquant la guerre du Vietnam que de films français sur la guerre d’Algérie, c’est clair et net. Ils ont cette force qui est l’autocritique, aussi parce qu’il y a un renouvellement constant d’immigrants.

Sur jouer dans ses films
Bon déjà je tourne pas dans les films des autres parce que personne ne me propose de rôles et qu’il faut bien que je nourrisse mon fils, donc je me donne du travail ! (rires) Et au niveau du financement ça aide également. Personne ne voulait faire le rôle de La Comtesse, c’était un personnage trop antipathique, etc. Maintenant c’est devenu un peu mon truc de me mettre dans mes films. Après je ferai pas tout le temps le rôle principal. Dans Le Skylab, j’ai un petit rôle, et idéalement l’idée ce serait d’être en retrait dans mes films. Bon je vais pas faire de la modestie genre j’ai pas le choix, on a toujours un tout petit peu le choix… Mais je sais même pas pourquoi je suis dans mes films. Je sais pas. Je sais pas pourquoi je les fais, je comprends rien. (rires)

Sur la comparaison avec Woody Allen
Si j’arrive à avoir sa carrière, à tenir le coup, à faire un film par an, j’aimerais bien ! J’ai en commun avec lui la névrose, l’obsession de la mort, du sexe, de l’amour… des maladies ! (rires) En dehors de ça, dès qu’on a une névrose, il y a quelque chose qui rappelle, dans l’énergie, Woody Allen. Mais tant mieux, j’aime beaucoup Woody Allen, surtout Bananas et Woody et les robots, ses premiers films qui sont des comédies loufoques, j’aime beaucoup cette période.

Sur le choix de Vincent Gallo
Je dirais pas qu’il est space, je dirais que c’est une sorte de saint. Il a un vrai rapport à la vie, un dévouement à son travail, à son ego, qui est assez fascinant. Un jour j’ai pensé vendre mon âme sur Ebay, si j’ai des problèmes de financements. Après y avoir pensé je me suis dit, s’il y en a une, l’absurdité de la vendre est pas plus absurde que l’idée de l’âme elle-même. La première personne à qui j’ai pensé pour le rôle, c’est Vincent Gallo. Je lui ai envoyé le scénario, il lit pas vraiment les scénarios, je lui ai dit « mais lis juste ta scène », il l’a pas vraiment lue, il a dit « moi je veux pas jouer moi-même c’est trop bizarre » etc. Je l’ai poussé poussé poussé, il l’a lue et il a dit « c’est parfait pour moi, en effet j’achèterais complètement l’âme de quelqu’un, c’est tout à fait le genre de truc que j’achèterais », ou en art conceptuel ou en plus métaphysique. Donc il est venu, il a fait sa scène, je sais pas pourquoi mais avoir mon âme dans le slip de Vincent Gallo, c’était un autre fantasme que j’ai pu assouvir, cinématographiquement.

par Nicolas Bardot

Commentaires

Partenaires