Rencontre avec Benoit Jacquot

Rencontre avec Benoit Jacquot

Les Adieux à la reine (sortie le 21 mars) a été l'un des films très remarqués de la dernière Berlinale. Benoit Jacquot a rencontré le public français lors d'une avant-première spéciale. Extraits.

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Sur les changements par rapport au livre adapté
Ce dont l'héroïne se souvenait dans le livre, c'était ces 3 nuits et 4 jours. J'ai voulu renoncer au flashback. J'ai complètement rajeuni Sidonie (Léa Seydoux, ndlr), qui a une cinquantaine d'années dans le livre et une vingtaine dans Les Adieux à la reine. C'était une des premières décisions de l'adaptation. Par ailleurs cette concentration de temps, sur 3 nuits et 4 jours, a été extrêmement importante, c'était un facteur décisif dans mon envie de faire le film.

Sur la récurrence des personnages jeunes et obstinés dans son cinéma
Pour moi il est question avant tout d'une force de décision, comme pour s'extraire d'une sorte d'enfance, et accéder au monde des adultes. Pour entrer au monde, en quelque sorte.

Sur les pièges de la reconstitution historique
Mon vœu était de rendre le temps de la projection, ce qui se passe écran, absolument contemporain de la position du spectateur, un pur présent de la production cinématographique. C'est une chose qui passe beaucoup par les acteurs.

Sur la politique
Il y a cette idée que le pouvoir entraine une minéralisation qui fait que dès qu'une contestation, une insurrection commence, les puissants ne peuvent sortir de la place qui s'est minéralisée autour d'eux. Ça va être pareil en avril prochain ! Espérons !

Sur la picturalité
Je fuis les références plutôt que je ne les cherche. Mais il y a des réminiscences oui. On connait l'époque par ce qu'on a lu, et ce qu'on a vu en peinture, c'est le cas de le dire. Ce sont des choses qui reviennent forcément. Et puis il y a cette idée extraordinaire d'essayer de se représenter un monde sans électricité. Chez Kubrick comme dans les films MGM...

Sur le choix des actrices
Je ne choisis pas vraiment, je me laisse choisir. Quand je fais un film, qu'il y a un rôle destiné à une jeune actrice, ça se sait. Du coup, j'attends. C'est comme à la pêche, j'attends. Léa, elle est très mordante. Elle est maline, futée, elle joue comme ça. Elle savait, avant de me connaître, ma pratique, comment je fais. Elle est venue à moi en se présentant comme celle qu'il fallait, celle qui serait direct dans le truc, de façon très concernée, impliquée. L'enjeu du rôle, ce n'est pas n'importe quoi, c'était porter le film du premier au dernier plan.

Je pense que Renoir a pensé à Marie-Antoinette pour le rôle de Nora Gregor dans La Règle du jeu. Cette reine, on l'appelait soit l'Autrichienne soit l'étrangère. Je cherchais une actrice étrangère et en fait c'est Diane Kruger qui, ayant connaissance du projet, a pris les devants. J'ai pris rendez-vous pour la rencontrer et immédiatement, au bout d'un quart d'heure, elle m'a dit que c'était quasiment une question de vie ou de mort. Ce qui est une excellente façon de se faire engager ! On a l'impression, vu l'enjeu, que nécessairement la comédienne va se hisser à un certain niveau. Et c'est le cas, parce que Diane, elle ne blague pas.

Sur l'absence de répétitions
J'aimerais essayer, par expérience, mais c'est contre mon vœu et mon tempérament. J'aime d'abord tourner autour du pot, et quand il s'agit du pot lui-même, ça se passe au moment où ça se passe. J'ai toujours ce préjugé que le cinéma est fait pour attraper quelque chose qui ne se passe qu'une fois. Une fois pour toutes. C'est presque une définition du cinéma. Cette fois précise, j'essaie de la regarder de côté, de l'approcher, de préparer, de contourner, avant de l'affronter, au moment du clap.

Sur les metteurs en scène qui jouent dans le film
Il y a Noémie Lvovsky, qui met en scène l'entourage de la reine. Xavier Beauvois qui joue Louis XVI, et qui met en scène son propre naufrage. Et Jacques Nolot qui représente le metteur en scène qui ne sait plus où mettre sa caméra et qui panique. Je me suis trouvé un jour dans un avion avec Beauvois, on allait chacun présenter un film à l'étranger. Il me voyait travailler sur ce scénario, il devait se sentir délaissé, il m'a pris le scénario des mains et il l'a lu. Quand il me l'a ramené, il m'a montré, sur son portable, son visage dans un portrait de Louis XVI. Et m'a dit: Regarde, tu vois, c'est moi, c'est personne d'autre. J'ai dit d'accord. Il avait l'air très sûr de lui. Mais je savais qu'en disant oui, je disais oui à une certaine image de ce personnage qui n'est pas celle attendue, quoiqu'elle colle assez à ce que pouvait être le roi et ça m'amusait de constituer ce couple improbable, de carpe et de lapin, avec Kruger et Beauvois.

Sur l'utilisation de la musique
L'usage veut que la musique soit composée au stade du premier montage. C'est à ce moment que le musicien commence à composer, à réfléchir. La musique peut alors être associée à un accompagnement, au pire une sauce, et là en l'occurrence ce que je fais avec Bruno Coulais depuis 3-4 films, c'est que dès le tout premier scénario, on parle et on définit la musique. J'ai déjà une maquette, la durée, la place de la musique, avant le tournage. On avait décidé que la musique aurait une grande importance, on avait décidé que tout un jour et toute une nuit se passeraient avec une musique incessante. Un continuum musical. Qui s'arrêterait, puis reprendrait à la fin.

Sur la lumière
La question était surtout la dramatisation de la lumière dans le film. Les moments d'obscurité, de fonds interminables, d'ilots de lumière, la répartition par bougies, de points lumineux... La lumière c'est presque une partition d'éclairages de bougies. Y'en a, y'en n'a pas, y'a un feu de cheminée, un relief entre ce qu'on voit, ce qu'on voit moins, ce qu'on ne voit plus.

Sur le tournage à Versailles
La première chose, c'est que cette institution y trouve son compte. Une fois que le compte est trouvé, ben faut payer. Très très cher. Si on décide, comme on l'a décidé, de faire de Versailles un personnage principal, c'est une part du budget extrêmement importante. Si on part du principe que Versailles est un des acteurs du film... c'est le plus cher. On a tourné 8 semaines, mais pas entièrement à Versailles, sinon c'était juste pas la peine d'y penser. On avait accès à Versailles tous les lundis, et les nuits dont on avait besoin. Le reste, les sous-sols, les cuisines, les combles, ça n'existe plus. On les a cherchés dans des châteaux environnants, contemporains de Versailles. La grande galerie, on a fait ça à Chantilly.

Sur le fantasme et la réalité historique
Il y a eu un gros travail sur les costumes. Les personnes qui font les costumes d'époque sur mes films sont toujours les mêmes. J'ai également un conseiller historique qui est une sorte de savant fou des époques. Entre l'imagination, la fantaisie du costumier et le conseiller qui lui ramène toujours à "ça se peut pas c'est impossible", j'introduis ma note. Je pencherais plutôt vers la fantasmagorie, une représentation imaginaire, tout en veillant à insérer des signaux de façon vraisemblable. C'est un tricotage assez délicat que j'essaie de faire. Pour les costumes, ce qui est décisif, c'est le moment où les filles les endossent, les essaient, comment elles les sentent, qu'est-ce que ça leur inspire. C'est le deuxième geste de mise en scène. Ce qu'elles vont porter va devenir leur costume naturel. Revenir à leur costume de ville sera pour elles plus un déguisement que porter le costume du film. C'est à ça que j'essaie d'arriver, et en général j'y arrive.

Sur le zoom
C'est mon 20e film, et je ne m'étais quasiment jamais servi du zoom. Pour ce film, j'ai voulu qu'il y ait du zoom, qu'il n'y ait pas ce cadre fixe, j'ai souhaité qu'on bouge les focales à mesure de ce qui se passe dramatiquement, dans l'interprétation, dans le mouvement. Je me suis souvenu des films époque italiens des années 70, et spécialement de Mauro Bolognini. Les références picturales que j'ai pu avoir, c'était par le biais de ce cinéaste, qui a été un peu mis en marge par rapport à un Visconti. Il a tourné avec des actrices que j'ai employées, j'ai été le voir tourner, je l'ai vu travailler, c'était dément comme il utilisait son zoom. Il appelait ça "faire son café", il disait rien aux acteurs, à personne, et quand on voyait le film, il y avait une écriture et une présence sensible qui rendait l'époque très près du spectateur. C'est ce que j'ai essayé de faire en faisant ce film.

Propos recueillis le 28 février 2012

par Nicolas Bardot

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