Interview Satoshi Kon

Interview Satoshi Kon

En quatre films, Satoshi Kon a gagné sa place parmi les auteurs phares de l’animation japonaise. Son dernier opus, Paprika, est une œuvre ambitieuse qui a fait l’événement lors de sa présentation au dernier Festival de Venise. Entretien avec un maître en devenir.

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FilmdeCulte: Comment écrire un scénario qui a l’air à la fois très visuel et très déstructuré comme on le voit à l’écran?

Satoshi Kon: Lorsque j’ai écrit le scénario, il n’était pas vraiment détaillé. J’ai essayé de le rendre le plus détaillé possible mais ce n’était que des mots. Je voulais que Paprika soit un film qui se déroule comme dans un rêve, je ne voulais pas écouter la logique. Je voulais que le film se déroule selon cette structure de succession d’images. Quand j’ai dessiné le storyboard, j’ai apporté énormément de modifications par rapport au scénario, c’est là que j’ai mis une part d’"improvisation". .

FdC: Paprika reprend beaucoup d’éléments techniques de vos précédents films, que ce soit la rythmique de Millennium Actress, la féerie de Tokyo Godfathers, la dureté de Perfect Blue, est-ce que Paprika symbolise l’heure du bilan en reprenant ce qui a été fait avant pour passer à autre chose?

SK: C’est exactement ça, c’est un peu comme le bilan de tous mes films précédents et un point de départ pour commencer de nouveaux défis par la suite.

FdC: De quel ordre?

SK: Avant Paprika, mes récits étaient très surréalistes, mais sur le plan visuel c’était très réaliste, par exemple dans la description des décors. Avec Paprika, j’ai vraiment agrandi ma capacité d’imaginaire et d’imagination, parce que Paprika traite du rêve, qui est quelque chose de très souple, alors c’est la première fois que j’ai, sur le plan visuel, dessiné quelque chose d’aussi imaginaire. Dans le futur aussi j’aimerai dessiner non pas des choses réalistes mais imaginaires, fantastiques.

FdC: Paprika fonctionne sur trois niveaux de réalité: le rêve, la réalité, et la virtualité, et de cette fusion résulte une quatrième réalité plus incertaine. Est-ce que cette confusion vous inquiète ou vous fascine?

SK: Oui cet univers me passionne, m’attire, et ça me fait peur aussi. Je pense que la réalité n’est pas une seule chose, il y a plusieurs réalités. Par exemple, nous sommes en train de faire une interview, et en vous regardant, je me dis "ah tiens, un de mes copains vous ressemble". Et dans ma tête je pense à lui, qui habite au Japon, alors que je suis dans un hôtel parisien. Même si ça se passe au même moment dans le même temps, il y a plusieurs temps dans le même espace. Je suis en train de réfléchir à ce que je vais répondre, et dans ma tête il y a un autre temps et un autre espace. Je pense que c’est ça, vivre la réalité, et c’est ce que je veux montrer dans mon film.

FdC: Dans Millennium Actress, il y a une séquence où le personnage principal, l’actrice, se met à courir, à traverser les époques et les différents films dans lesquels elle a joué, avec un enchaînement de petits tableaux disparates. Vous avez déclaré à l’époque que c’était la séquence que vous préfériez dans le film. Est-ce que Paprika était l’occasion d’utiliser ce principe et de l’étendre à tout le film, avec l’enchaînement de séquences oniriques et les nombreuses courses poursuites entre les personnages?

SK: C’est tout à fait juste. Je travaille régulièrement pour une émission de la NHK, et dans cette émission il y a des amateurs de cinéma d’animation qui montrent leurs œuvres. Je suis l'un des jurés de cette émission. Quand je vois leurs œuvres, il y en a énormément qui traitent du thème de la métamorphose. Je pense que le cinéma d’animation est un très beau symbole de tout ce qui évolue dans la vie, Paprika qui change son allure dans chaque plan avec une rapidité importante et en musique, un peu comme le style du vidéo clip. C’est justement cette capacité d’évoluer, de métamorphose, que je voulais montrer.

FdC: Avez-vous arrêté les mangas, et pensez-vous avoir la même liberté en réalisant des films qu’en écrivant des mangas?

SK: Je faisais des mangas autrefois, aujourd’hui je travaille comme réalisateur du cinéma d’animation, et je ressens toujours la même liberté, je ne ressens pas du tout les contraintes et les limites. Evidemment il y a des contraintes de temps et de budget pour faire des films, mais concernant le contenu, on ne m’a jamais imposé quoi que ce soit. Ma condition est toujours très libre.

FdC: Qu’est-ce qui fait qu’un sujet spécifique devient une série télévisée comme Paranoïa Agent ou un film de cinéma ou encore un manga?

SK: En fait je ne me suis jamais posé la question du format que j’allais choisir. Le format est toujours décidé à l’avance et c’est selon cela que je décide ce que je vais faire.

FdC: Paprika est la troisième collaboration avec le compositeur Susumu Hirasawa. Quelle relation entretenez-vous avec lui depuis Millennium Actress, où l’on retrouve, comme dans les films suivants, des envolées lyriques qui font la touche Satoshi Kon, avec un duo qui est en train de se créer à la façon de Hayao Miyazaki et Joe Hisaishi?

SK: Déjà le fait de parler de la musique me fait très plaisir, même si je ne comprends pas le français, dès que j’ai entendu le nom de Susumu Hirasawa, ça m’a fait déjà plaisir. En fait, ça fait vingt ans que je suis fan de la musique d’Hirasawa, et normalement ce sont les musiciens qui composent la musique pour les films, mais pour ma part, pour faire des histoires, je suis très influencé par sa musique. Je peux dire que sa musique est ma source de créativité. C’est justement pour ça que nos deux univers se collent très bien. Lors de la fête après le travail de Paprika, il y avait Yasutaka Tsutsui, l’auteur de l’œuvre originale, Susumu Hirasawa et moi-même. Hirasawa et moi étions de grands fans de Tsutsui, et comme on a tellement d’admiration pour lui, on avait le trac de discuter avec, et Hirasawa a commencé à dire que s’il fait de la musique, c’est grâce à l’influence qu’a eue sur lui la lecture des romans de Tsutsui. Et j’ai été également très influencé par l’univers de Tsutsui pour faire mes films. Il y avait un étrange triangle à cette fête.

FdC: Dans le cinéma post moderne, il y a une figure récurrente de la répétition de séquences, de dialogues, d’images, et c’est quelque chose que vous pratiquez énormément dans vos films, je voulais savoir ce que ça représentait pour vous, comment vous expliquez que cette figure de la répétition revienne si souvent?

SK: Alors tout d’abord quand on utilise le même son et la même image, sur le plan économique c’est très intéressant! (rires) En dehors de ça, je pense que quand on utilise les mêmes images dans des contextes différents, le sens change, par exemple il y a une scène dans laquelle le policier essaie de marcher dans le couloir, et il n’y arrive pas parce que le couloir commence à bouger. Cette scène est répétée, mais à chaque fois elle est légèrement différente. C’est comme ça, en modifiant des détails de la même scène, que l’on peut expliquer quelque chose que l’on ne peut expliquer ailleurs. C’est une technique que j’ai déjà utilisée dans Perfect Blue et Millennium Actress, et je pense que cette répétition des mêmes images reflète nos souvenirs, notre mémoire, c’est aussi ce que je montre.

FdC: Perfect Blue, Millennium Actress et Paprika sont trois films qui, malgré leurs thèmes très différents, marchent beaucoup sur le faux semblant, sur l’enchevêtrement de rêves et de séquences réelles, et sur des figures très japonaises. Tokyo Godfathers est très différent dans son énergie, sa structure et ses influences, et semble à part dans votre filmographie. Est-ce que le film occupe une place plus particulière également à vos yeux, et si oui laquelle?

SK: On m’a déjà fait cette remarque mais je ne suis pas d’accord pour dire que Tokyo Godfathers est un peu à part. C’est vrai que les autres films traitent directement du lien entre la réalité et l’imaginaire, mais dans Tokyo Godfathers, même si c’est montré différemment, il y a plusieurs réalités. Les personnages sont parfois ancrés dans le réel mais parfois dans la fantaisie. Il y a toujours ce fil conducteur tout au long de ma filmographie.

FdC: Si aujourd’hui vous aviez quelque chose à changer, quelque chose dont vous n’êtes pas satisfait dans vos films, que changeriez-vous?

SK: Il y a tellement de choses que je veux corriger, que je veux modifier, mais à chaque fois je me suis donné vraiment à fond et c’était mon maximum. Et c’est vrai que parfois ça m’arrive de penser que j’aurais dû faire autrement, mais je sais qu’à ce moment-là j’ai fait de mon mieux. Plutôt que de corriger mes films du passé, je préfère faire d’autres films.

FdC: A la fin de Paprika, le personnage principal va au cinéma. Est-ce que le cinéma, c’est rêver en sécurité?

SK: Tout à fait. Le dernier dialogue de Kogawa, c’est quand il achète le billet pour aller au cinéma, en demandant une place adulte. Etre adulte, ça signifie être capable de ne pas être envahi par le rêve et le monde imaginaire, c’est lui-même qui choisit de rêver. A travers toutes ces expériences, Kogawa est en train de devenir un adulte en fin de film, et c’est pour fêter cela que j’ai ajouté un tapis rouge!

Propos recueillis par Nicolas Bardot - Le 13 octobre 2006, à Paris

par Nicolas Bardot

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