Entretien avec Xavier Legrand

Entretien avec Xavier Legrand

Avant que de tout perdre est un bijou. Ce court-métrage de l’acteur Xavier Legrand mêle le réalisme et le suspense pour aborder la violence conjugale sans tomber dans les chausse-trapes du court-métrage bien-pensant à la française. Un brillant premier film à la carrière rayonnante, Grand prix, Prix du public, Prix de la presse et Prix de la jeunesse au festival de Clermont-Ferrand, et qu’on est presque sûrs de retrouver aux Césars en février prochain. Nous avons voulu revenir avec son réalisateur sur ce court ambitieux.

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FilmDeCulte: Depuis combien de temps portes-tu le projet Avant que de tout perdre ?

Xavier Legrand: C’est un projet qui a mis du temps à cheminer de ma tête jusqu’au papier. L’écriture a duré environ trois ans mais je n’écrivais pas régulièrement. Etant avant tout acteur, entre les répétitions, représentations et les tournées de mes spectacles, j’essayais d’écrire dès que je pouvais.

FDC: Comment as-tu connu ton producteur et comment avez-vous financé le film ?

XL: J’ai rencontré Alexandre Gavras par le théâtre. J’étais assistant à la mise en scène sur un spectacle dont il a réalisé l’adaptation en film. Quelques temps après ce tournage, alors que je jouais au théâtre, j’étais arrivé à une version de mon scénario que je jugeais satisfaisante. J’étais donc prêt à être lu et à partager cette histoire afin d’avoir des avis et des critiques. Alexandre a fait partie de ce premier groupe de lecteurs. Le projet l’a séduit immédiatement. Il m’a proposé de le produire. Il m’a donné toute sa confiance et m’a encouragé à faire mes premiers pas derrière la caméra. L’aventure a commencé : nous avons constitué un dossier de financement et nous avons obtenus des aides de la Région Franche-Comté, du CNC de Canal+ ainsi que de l’Association Beaumarchais-SACD.

FDC: Pourquoi ce titre ? Y a-t-il eu d’autres titres alternatifs que tu as abandonnés ?

XL: Le titre est venu très tard. Tous ceux qui me venaient à l’esprit ne correspondaient jamais à ce que je cherchais car ils étaient trop explicatifs ou trop banals. Le film étant structuré autour du suspense (dans le sens où le spectateur met du temps à comprendre quel est l’enjeu des personnages), je ne voulais pas utiliser des termes qui auraient trop orienté le spectateur sur le récit. Un jour j’ai découvert, tout à fait par hasard, une citation de Roger Allard (un poète français du XXème siècle) qui dit « avant que de tout perdre, il vaut mieux tout quitter ». Il y avait une évidence : cette phrase correspondait exactement à l’enjeu du film et à la situation extrême dans laquelle se trouve Miriam, le personnage principal. J’ai donc pris la première partie de la citation. De ce fait, la présence du subordonnant « avant que » donne cette sensation d’ultimatum que je cherchais puisqu’il introduit une postériorité : « Il faut faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard. » Certaines personnes tiquent sur ce titre et ne comprennent pas la présence du « que ». Elles ont même soupçonné qu’il y avait une faute de français, or ce n’est pas le cas, bien au contraire.

FDC: Connaissais-tu Léa Drucker ?

XL: Je ne connaissais pas Léa Drucker personnellement mais seulement en tant qu’actrice. C’est une comédienne que j’aime beaucoup tant au théâtre qu’au cinéma et que j’ai toujours suivi. Léa vient avant tout du théâtre, comme moi. C’est une chose à laquelle je suis attentif car je trouve que les acteurs de théâtre apportent quelque chose d’essentiel au cinéma : ils ont un rythme rapide, ils sont vifs, simples, ils sont endurants techniquement et plus familiers avec le travail collectif. Ils sont dans l’action. C’est ce qu’il fallait pour le film. D’ailleurs, presque tous les acteurs dans mon film viennent du théâtre, comme Anne Benoit, Christian Benedetti ou Claire Dumas pour ne citer qu’eux. J’ai donc naturellement songé à Léa pour le rôle de Miriam. Je l’ai écrit pour elle. Avec mon producteur, nous sommes allés la voir au théâtre et nous lui avons proposé le projet. Après qu’elle l’ait lu, nous nous sommes revus pour discuter du scénario et notre collaboration a commencé.

FDC: Et pour Denis Ménochet ?

XL: Idem. C’est un bel acteur qui a sa particularité dans le paysage du cinéma français. Il a une présence et une finesse que je trouve parfaite pour le rôle. Il a tout de suite été séduit par le scénario et a accepté de nous suivre dans l’aventure.

FDC: As-tu envisagé de te donner toi-même un petit rôle dans le film ?

XL: J’aime jouer au théâtre et au cinéma mais pour ce projet, il était important de me consacrer uniquement à la réalisation et à la direction d’acteurs. De plus, il n’y pas de rôle pour moi dans ce film. Je n’exclus pas de m’écrire quelque chose à l’avenir, mais ce n’est pas ma priorité dans l’écriture et la réalisation. Je ne le fais pas dans ce but-là, en tous cas.

FDC: De quel budget disposais-tu ? Et combien de jours de tournage ?

XL: Le tournage a duré neuf jours et s’est déroulé intégralement à Montbéliard en région Franche-Comté, puisque le film a eu des aides financières de cette région. J’ai eu la chance d’avoir le budget nécessaire pour faire le film, et surtout pour payer et défrayer tous les membres des équipes techniques et artistiques, tous au tarif court métrage. Mais j’ai dû interroger à nouveau certaines choses pour entrer dans le budget qui m’était imparti. J’ai finalement trouvé des solutions plus créatives qui correspondent encore mieux au film que celles que j’avais pu envisager au départ.

FDC: Y a-t-il eu des mauvaises surprises en termes de logistique pendant le tournage ?

XL: Grâce à l’équipe formidable qui m’entourait, le tournage s’est parfaitement bien déroulé. Nous aurions pu rencontrer beaucoup de difficultés à tourner dans la mesure où presque l’intégralité du tournage s’est déroulé dans un hypermarché pendant les heures d’ouverture. Nous avons eu beaucoup de chance car le directeur de l’hypermarché ainsi que l’ensemble du personnel nous ont accueillis avec beaucoup d’enthousiasme et de bienveillance. Cela a permis une cohabitation idéale pendant le tournage, nécessaire pour mener à bien le projet.

FDC: Qu’est-ce qui a été le plus dur pour toi en tant que metteur en scène ?

XL: Je crois que le plus dur pour moi a été sans doute vers la fin du film. Alors que le mixage était sur le point d’aboutir et que le film se terminait, les doutes se sont mis à se multiplier. Après ces quelques semaines de post-production, j’étais arrivé à un moment où je ne pouvais plus voir le film tellement je l’avais vu et revu. Je suis resté un certain moment à ne plus pouvoir le voir. C’était une sorte de rejet. C’était une sensation assez désagréable qui heureusement n’a pas duré très longtemps.

FDC: A trois reprises tu installes une tension en faisant particulièrement durer la longue marche de Miriam devant les caisses du magasin. Ce choix était-il présent dès l’écriture ou bien est-ce un parti-pris de mise en scène trouvé sur le tournage ?

XL: Tout ce qui a été tourné était déjà dans le scénario. Il était important de traiter ce long trajet que Miriam doit parcourir des bureaux jusqu’au bout de la galerie marchande. Chacun de ces gestes et les micro-évènements qu’elle rencontre sur ces trajets étaient déjà pensés dès l’écriture : le badge qu’elle peine à accrocher sur sa veste, les collègues qui la saluent en passant ou encore la cliente qui lui demande un renseignement. C’est ça qui nourrit la tension. Lors des repérages, j’ai simulé le parcours, chronomètre en main. Certains membres de l’équipe étaient un peu sceptiques, pensant que faire ce trajet à trois reprises allait être impossible à mettre en scène, surtout pour un court métrage. C’est vrai que c’était un risque, mais j’ai tenu bon car j’étais sûr de ce que cela allait produire.

FDC: L’absence de musique au générique de fin a-t-elle toujours été voulue ?

XL: Oui, dès le départ je ne voulais pas de musique, nulle part dans le film. En revanche il y a un travail très précis que j’ai essayé de mener sur le son et de puiser la musicalité dans la réalité de la fiction : le bruit des talons, le bruit électronique des caisses du magasin, le clignotant de la voiture, la respiration du personnage, les aboiements du chien... Tous ces éléments sont à la fois symboliques mais ils sont également des ingrédients formidables pour nourrir l’angoisse et le suspense du film. Au générique de fin, ce silence est beaucoup plus fort que n’importe quelle musique. Il n’y a plus rien à dire. C’est ce silence qui a enfermé les personnages et c’est ce silence qu’ils ont réussi à fuir.

FDC: Quelle est ta plus grande satisfaction par rapport au film fini ? Et sinon, as-tu des regrets ?

XL: Ma plus grande satisfaction, c’est la réaction des gens. J’ai pu assister à de nombreuses projections et je dois dire que voir les gens se crisper sur leur fauteuil, tendus, bousculés par ce qu’ils voient me donne beaucoup de fierté. Moi-même, j’aime être bousculé lorsque je vais au cinéma et sortir modifié par une histoire. Ensuite, au-delà de son parcours en festival, le film a une autre vie en parallèle. Je l’ai présenté à plusieurs reprises lors de colloques et de rencontres avec des associations qui luttent contre les violences conjugales. Les débats qui s’en suivent sont toujours chargés d’émotion. A en croire les professionnels qui travaillent chaque jour sur le terrain et avec qui j’ai eu l’occasion de discuter, le film est un réel outil pour parler de ce sujet : que le film puisse servir à délier les langues et à montrer un autre point de vue sur ce fléau est aussi une grande satisfaction pour moi.

FDC: Parle-nous maintenant de la carrière du film. A partir de quand as-tu senti que le film pouvait marcher ?

XL: Jusqu’au bout j’ai douté. Je me demandais vraiment comment le film allait être accueilli, surtout avec un sujet aussi délicat. C’est à la remise des prix au Festival Premiers-Plans d’Angers où j’ai reçu le prix du public que j’ai envisagé que ce que j’ai voulu faire avec ce film avait peut-être opéré. J’ai été très ému par ce prix, car le festival d’Angers est un festival très exigeant et très fréquenté. C’était le premier festival auquel mon film participait. J’ai été frappé par ces files d’attentes à n’en plus finir dès neuf heures du matin : voir toutes ces personnes de tout âge se lever à la première heure pour voir des films et savoir que la majorité d’entre elles a voté pour Avant que de tout perdre est encore pour moi extraordinaire.

FDC: Comment s’est passée ta participation au festival de Clermont-Ferrand ? T’attendais-tu aux quatre (!) prix reçus ?

XL: Je ne m’attendais pas à un tel accueil et à recevoir quatre prix. Cela a été incroyable pour moi. Ce qui est le plus remarquable c’est la nature de ces quatre prix. C’est très émouvant de savoir qu’un jury de professionnels, un jury de journalistes, un jury d’étudiants et que le public soient tombés d’accord, surtout avec ce sujet qui créé beaucoup de malaise.

FDC: Comment le film marche-t-il à l’étranger ? Est-ce que tu l’accompagnes beaucoup ?

XL: Le film marche très bien à l’étranger à en croire ses nombreuses sélections partout dans le monde. Il a également été récompensé à plusieurs reprises, en Belgique, aux Etats-Unis, en Australie... C’est formidable de pouvoir parler à des gens à l’autre bout du monde. Je ne peux malheureusement pas toujours l’accompagner, car mon activité d’acteur me prend beaucoup de temps, mais dès que je peux, je réponds présent, bien sûr.

FDC: Sans vouloir mettre la charrue avant les bœufs, le film est-il éligible aux Oscars ?

XL: Pour être éligible aux Oscars, le film doit compter à son palmarès certains prix dans des festivals reconnus par l’Académie des Oscars. C’est le cas pour mon film, il est donc effectivement éligible. Qu’il soit sélectionné, en revanche, c’est une autre affaire. On verra bien !

FDC: Est-ce qu’on t’a proposé, ou as-tu pensé, en faire une version long-métrage ? Sinon, quels sont tes futurs projets en tant que réalisateur ?

XL: Tout en continuant mon activité d’acteur au théâtre et au cinéma, je suis actuellement en train d’écrire un long métrage. J’ai envie de continuer à explorer ce genre et à creuser le sujet d’Avant que de tout perdre qui est si vaste et sur lequel il y a tant de choses à raconter. Mais je préfère ne pas trop en dire plus pour le moment.

Entretien réalisé le 31 août 2013

par Liam Engle

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