Entretien avec Vincent Garenq

Entretien avec Vincent Garenq

Pour son troisième long-métrage, L'Enquête, Vincent Garenq aborde de front les deux affaires Clearstream à travers un récit croisé habile et complexe qui suit tout à la fois Denis Robert et le juge Van Ruymbeke. Si le film est imparfait, il est néanmoins saisissant d’ampleur, de complexité, d’ambition. Rencontre avec son réalisateur.

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FilmDeCulte: A une semaine de la sortie, comment vous sentez-vous ?

Vincent Garenq: Là à l’instant précis, fatigué. La sortie d’un film c’est à la fois excitant et flippant. Ça reste un moment très bref, totalement marginal dans la vie d’un réalisateur, mais mercredi je vais avoir le ventre noué. Sur mon premier film, j’étais tellement content que je n’avais pas eu ce stress. Sur le deuxième film par contre, j’ai vu mon producteur flipper beaucoup plus. De toute façon, dans ce métier, tout le monde flippe. C’est pénible, c’est stressant. Est-ce qu’on va intéresser le public ? Il faut accepter qu’on n’a plus aucun contrôle sur rien. La sortie d’un film c’est un petit deuil à chaque fois. C’est le premier stade de l’abandon du film.

FDC: Votre projet avait été annoncé sous le titre La Justice ou le chaos. Etait-ce un titre provisoire ?

VG: C’est le titre d’un livre qui est d’ailleurs cité dans le film. On savait que c’était un titre provisoire car on avait décelé son côté trop moralisateur. Le distributeur a raison: un titre, ça doit donner envie. C’est une promesse. Dans La Justice ou le chaos, il n’y a pas de promesse. Mais on n’avait pas de meilleur titre à l’époque.

FDC: Mais comment êtes-vous arrivés au titre final qui est plutôt générique ?

VG: C’est l’histoire d’un journaliste qui enquête, et le personnage secondaire c’est un juge qui lui aussi enquête. Il y avait une certaine épure, tout en étant le ressort dramatique du film. J’aimais bien sa simplicité. Les autres titres qu’on avait envisagé étaient tous mauvais. Délit d’enquête, des choses comme ça… C’est déjà négatif. Il faut qu’il y ait un espoir, quelque chose de positif.

FDC: Avez-vous eu vent d’autres projets sur l’affaire Clearstream qui se préparaient ?

VG: Denis Robert était en tractation avec un réalisateur-producteur pour écrire une série télé à ce sujet. J’ai rencontré cette personne, qui était vraiment en approche. Denis, c’est dans sa nature, a voulu concilier les deux projets. Mais je lui ai dit "Denis, soit on fait un film, soit tu fais ta série télé. Mais les deux, c’est pas possible. Faut que tu choisisses". Donc Denis a tranché. Par contre dès que notre film est sorti, Denis aura le droit de faire sa série s’il en a envie.

FDC: Comment s’est passée l’écriture du film ?

VG: Au début, je ne voulais pas faire un film sur le pendant Sarkozy-Villepin de l’affaire, juste un film sur le volet financier. J’ai écrit deux versions seulement focalisées sur l’enquête de Denis sur la chambre de compensation au Luxembourg. Mais c’était trop aride, on comprenait rien. J’étais un peu bloqué. J’ai alors rencontré des coscénaristes. Leur attitude était un peu bizarre : les gens se plaignent de ne pas gagner leur vie, mais quand on leur propose du travail ils sont à moitié snob, ça ne les intéressait pas du tout. C’est alors que j’ai rencontré Stéphane Cabel (NDLR : scénariste entre autres du Pacte des Loups) qui m’a fait comprendre que je ne pouvais pas raconter cette histoire de manière monolithique, focalisée un seul personnage, comme je l’avais fait sur Présumé coupable. Car au début, par exemple, je ne voulais pas entendre parler d’Imad Lahoud. D’une part, car ce qu’il fait n’a pas de sens. Et, pire, ça dénature le sens de ce que fait Denis Robert. Avec Stéphane, on a donc fait attention à ça. En plus, Stéphane m’a fait comprendre que je pouvais faire revenir le juge Van Ruymbeke, ce qui m’intéressait beaucoup. Bref, grâce à ce déclic, on a mis seulement un mois à réécrire le scénario.

FDC: Comment s’est passé le financement ?

VG: Bien. L’année qui vient de s’écouler était très dure. Les budgets des films aujourd’hui sont riquiqui. Nous, on est arrivés juste avant, on a eu beaucoup de chance. On a même été financés par le Luxembourg, ce qui est hallucinant, même si justifié puisqu’on y a tourné avec des acteurs luxembourgeois. Bref, on a eu ce qu’il fallait pour travailler. Par contre, on a connu des oppositions venant du Palais de justice de Paris, qui nous a empêchés d’y tourner. Pourquoi ? Parce que Van Ruymbeke dépend de ce tribunal et qu’ils ont voulu le protéger. Pourtant, on le dépeint positivement, mais eux n’aiment pas montrer un juge qui se fait avoir, qui déborde un peu de la procédure. C’est ridicule. Une institution n’a pas à penser ainsi à son image.

FDC: Hormis Gilles Lellouche, le casting ne comporte pas de stars. Etait-ce un problème en terme de financements ?

VG: Avoir une star, c’est déjà suffisant. J’ai fait pareil que sur mon film précédent : prendre un acteur connu qui permet d’accrocher le spectateur, mais l’entourer de comédiens inconnus qui apportent une véracité, qui donnent l’impression de plonger dans le réel. Berling est célèbre aussi, mais les acteurs secondaires ne sont pas très connus. Je n’aurais pas casté Marina Foïs, par exemple, pour jouer la compagne de Denis. De toute façon, elle aurait sans doute refusé.

FDC: Comment approchez-vous la question de la ressemblance entre les acteurs et leur modèle ?

VG: Denis Robert, les gens ne le connaissent pas vraiment. Je n’ai donc pas demandé à Gilles de l’imiter. Van Ruymbeke, c’est pareil. On a juste mis une moustache et des lunettes sur Charles Berling, mais je ne lui ai pas demandé d’imiter l’accent de Van Ruymbeke. On se contente d’évoquer. L’acteur qui joue Lahoud est libanais, certes, mais il ne fait que s’inspirer de son modèle, c’est tout. Il n’y a que sur Villepin ou c’est moins intéressant. D’ailleurs, je m’en veux d’avoir laissé passer le brushing car il est vraiment too much. Puisque tout le monde connait sa tête, c’est le truc qui m’excite le moins. Ce qui m’intéresse c’est d’évoquer des personnalités très fortes mais méconnues.

FDC: Le film semble s’arrêter de manière abrupte. Avez-vous tourné une scène où Denis Robert est blanchi par la Cour de cassation ?

VG: Des fois je le regrette un peu, mais j’ai un côté un peu sombre. J’adore pourtant Au nom du père de Jim Sheridan, où à la fin ils gagnent et c’est très fort. Sur mon film, j’avais tourné une scène où Gilles Lellouche sortait du prétoire et tenait discours sur le journalisme. Mais c’était une déclaration qui faisait suite à une autre déclaration. Certes, le spectateur n’intègre peut-être pas que Denis gagne, mais le film était plus percutant sans cette scène.

FDC: Est-ce que vous avez vu Zero Dark Thirty ?

VG: Bien sûr. J’ai beaucoup aimé. Je trouve la première heure un peu longuette mais la deuxième heure fascinante. C’est le genre de film que j’apprécie : issu du réel mais en même temps très cinématographique. On sent qu’ils n’essaient pas de dramatiser les faits artificiellement. Ils collent à ce qui s’est passé et ça créé une tension, un côté brut.

FDC: Comment s’est passé le tournage de Kalinka, votre nouveau film ? (NDLR: consacré une nouvelle fois à un fait divers, l’affaire Bamberski/Dieter Krombach, avec Daniel Auteuil)

VG: J’en suis au début du montage. Je suis content de ce que j’ai, mais c’était un tournage difficile, harassant, éparpillé entre l’Allemagne, le Maroc, Pau… Les voyages ça complexifie les tournages, même si ça enrichit les films. Dans L’Enquête, ça fait du bien d’aller réellement à Taïwan, de vraiment tourner au Luxembourg. Ca va dans le sens de ce que veut raconter le film.

FDC: Vous en êtes à votre quatrième film. Comment avez-vous évolué en tant que réalisateur ?

VG : J’ai l’impression qu’au fur et à mesure, on sait mieux comment ça marche. On apprend des choses. Mais il faut garder les pieds sur terre, savoir que rien n’est jamais acquis. Même si vous vous appelez Hazanavicius, vous n’êtes pas à l’abri d’un échec comme The Search. Rien n’est jamais offert, il faut se bagarrer. Aujourd’hui je suis en fin de cycle, j’ai envie de me renouveler. Mais je veux garder une ligne pure. Je ne veux surtout pas être amené à faire un film pour de mauvaises raisons. D’autant plus que j’ai fait mon premier film tardivement, donc je suis conscient de la chance que c’est d’être là.

Propos recueillis le 4 février 2015

par Liam Engle

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