Festival des 3 Continents: Entretien avec Tao Gu

Festival des 3 Continents: Entretien avec Tao Gu

Le documentariste Tao Gu signe l'un des sommets de ce Festival des 3 Continents avec Comme un cheval fou. Ce long métrage fait le portrait d'un jeune homme, un idéaliste perdu dans la Chine contemporaine ultra-capitaliste. Nous avons rencontré le réalisateur qui nous parle de sa méthode et de ce que faire du cinéma signifie pour lui.

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Comment avez-vous eu l'idée de faire un film de cette histoire ?

J’ai rencontré Dong en 2000. Il avait 20 ans et c’est devenu un ami proche. Il était jeune, pur, il adorait la musique et il y a eu une connexion entre nous. A l’époque, je savais qu’il était venu du nord de la Chine pour s’installer vers le sud, ce qui constitue une distance énorme. Il m’a parlé de la Mongolie intérieure, de son style de vie, on en discutait et un jour il m’a suggéré de venir avec lui, de retourner voir l’endroit d’où il vient. Je lui ai dit pourquoi pas, allons-y – mais nous n’y sommes jamais allés. En 2003, je suis parti étudier le cinéma au Canada. Je n’ai retrouvé Dong qu’en 2008, en Chine.

On s’est serré dans les bras et il s’est mis à pleurer. J’étais choqué par la façon dont il avait changé. A l’époque, et c’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui, la Chine subissait d’immenses mutations. En tant que réalisateur, j’ai eu l’intuition qu’il y avait ici la possibilité d’un film. Je lui ai dit « Tu as changé et je veux savoir ce qui est arrivé ». Comme je suis réalisateur, j’ai voulu prendre la caméra pour documenter sa vie et pour l’accompagner. J’ai été mené par cette intuition : il y a peut-être là un film. Mais c’est un long processus, c’est comme creuser un tunnel en ne sachant pas quand percera le jour. Un processus de multiples découvertes : de Dong, de moi-même et de ce que peut être le cœur du film.

Il y a un fort sentiment d'intimité dans votre long métrage. Comment avez-vous décidé de ce que vous alliez montrer ou pas ? Est-ce que ce sont des décisions lors du tournage ou du montage ?

L’intimité est d’abord venue parce qu’on se connaît. Ensuite la vraie question était celle de la sélection. On avait tant d’heures de tournage. Le processus de découverte était au cœur du film. Qu'est-ce qu’on voulait raconter ? Cela m’a pris 2 ou 3 ans à faire le montage du film. A décider de que l’on devait garder et de ce qu’on pouvait se passer. Ce qui me tenait à cœur, c’était d’exposer la complexité humaine. Dong est pour ainsi dire mi-ange mi-démon. Et c’est fantastique ! C’est un personnage tout à fait cinégénique qui incarne la complexité de la condition humaine. Il a un côté angélique, mais aussi plus sombre comme lorsqu’il parle de sexe et qu’il dit vouloir juste baiser des filles comme un animal. Si j’enlève ça, j’enlève l’or du film. Alors je le garde.

C’est quoi le cinéma ? A mon sens, c’est la vérité de l’être humain. Lorsque des fleurs s’épanouissent dans le Mal, ça c’est la beauté du cinéma, la beauté de l’être humain, et sa vérité. C’est comme cela qu’on a effectué la sélection. Par exemple, lorsque le père de Dong dit : « Ce n’est pas un homme ! », je n’étais pas d’accord avec lui. Mais j’ai voulu garder cela pour qu’on se confronte à cette opinion, pour donner une autre perspective sur le personnage. On expose un point de vue complexe et on laisse le public ressentir cela. C’est une manière de rester ouvert à ce qui se passe, comme un flux de nuages qui passe.

Le montage a donc été une étape essentielle dans le processus narratif.

Oui, le montage était vraiment crucial. J’ai travaillé des années dessus, c’était épuisant et on a souffert pour trouver l’âme du film. Et puis par ailleurs je n’aurais jamais eu l’argent pour payer un monteur sur un travail aussi long, alors c’est moi qui me suis occupé de cette tâche.

Il y a quelque chose de très singulier et très fort dans ce personnage qui semble venir d'une fiction, alors que tout le documentaire s'attache aux détails et au quotidien les plus réalistes.

Merci ! Pour moi, ça vient de mon background. Je viens d’une forme plus expérimentale de cinéma. J’ai commencé ensuite à travailler sur un documentaire comme monteur.

Est-ce qu'il s'agit de Vanishing Spring Light ?

Oui tout à fait (surpris) ! Comment l’avez-vous vu ?

Le film était sélectionné il y a quelques années au Festival Cinéma du Réel, à Paris.

Eh bien le réalisateur de Vanishing Spring Light est le directeur de la photographie de Comme un cheval fou. En fait on n’a travaillé que sur ces deux projets ensemble. Vanishing Spring Light était son film de fin d’études. On a commencé à échanger autour de ce projet et il m’a demandé si je voulais travailler sur le montage du film. Je lui ai dit « Bien sûr » et j’y ai passé quelques mois. J’ai poursuivi cette expérience en montant un autre film. Pour moi, il n’y a pas de frontière nette entre fiction, documentaire et expérimentation. Le cinéma, c’est du cinéma. Un film est un film. L’essentiel, comme je vous le disais, c’est de trouver le cœur. Il y a comme vous l’avez noté un sentiment de fiction dans le film, en même temps qu’une expérimentation. C’était une façon d’inviter le public dans le film.

Comme un cheval fou fait le portrait d'un homme, documente également sur une situation sociale dans un pays en particulier, mais le propos (sur la manière de devenir un adulte, de faire des compromis vis-à-vis de ses rêves etc) est tout à fait universel.

L’aspect universel vient du montage, et de la façon dont il a été pensé. C’est mon point de vue d’auteur qui s’exprime via le montage. A mon sens le titre anglais (Taming the Horse, dompter le cheval, ndlr) correspond mieux au film que le titre français, Comme un cheval fou. J’aurais pu donner le nom de Dong comme titre de film, mais cela aurait été faux, dans ce cas-là on ne parlait plus que d’une histoire personnelle. Si on veut s’étendre vers une autre dimension, il faut avoir un point de vue sur ce qu’on raconte. Comme, au début du film, cette fumée qui s’élève du building. Et j’ai envie de partager avec le public les différentes façons de voir l’histoire, les comportements sociaux, les traditions familiales, les valeurs de l’argent, du sexe, du désir. Des forces qui peuvent dompter quelqu’un, et détruire l’esprit de liberté. Il y a une métaphore derrière tout cela, sur laquelle je ne voulais pas mettre de mots.

Dong a t-il vu le film ?

Il l’a vu lors de la première mondiale au Festival Visions du réel en Suisse. Et il a pleuré !

Votre film parle aussi du fossé entre les générations. Qu'est-ce que les parents de Dong ont pensé de ce tournage ?

Oh ils n’avaient pas une idée claire du projet. Sa mère me disait qu’il n’y avait aucun intérêt à filmer Dong. « Il dort là, il ne fait rien, c’est moi qui suis intéressante ! Filme-moi ! » (rires) Une fois le film achevé, Dong l’a vu et a compris le sens de notre projet.

Quels sont les cinéastes que vous admirez et qui vous inspirent ?

J’admire beaucoup Andrei Tarkovski, Bela Tarr, Robert Bresson. Ce sont comme des lumières pour moi, comme le vent dans les arbres, une lumière qui éveille quelque chose en moi et sur ce qu’est le cinéma. C’est comme un encouragement pour me découvrir, et découvrir mon propre langage cinématographique. Je citerais également Apichatpong Weerasethakul, Nuri Bilge Ceylan, Tsai Ming-Liang. Des gens qui ont une vision très personnelle du cinéma.

Entretien réalisé le 24 novembre 2017. Un grand merci à Vanessa Fröchen et Florence Alexandre.

par Nicolas Bardot

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