Entretien avec Sophie Letourneur

Entretien avec Sophie Letourneur

A mi-chemin entre décalage rohmerien et lose de la nouvelle comédie américaine, Sophie Letourneur livre avec Les Coquillettes le portrait fantaisiste et attachant de trois amies paumées dans un festival de cinéma. Rencontre avec la réalisatrice, qui nous parle d'érotisme, de Spring Breakers et de Cameron Diaz.

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FilmDeCulte : Les Coquillettes , comme tes films précédents, repose sur un paradoxe : atteindre une illusion de spontanéité totale dans le jeu, proche de l’improvisation, tout en se basant au contraire sur quelque chose de très écrit et même de très théorique. Mais est-ce que pour toi il s’agit vraiment d’un paradoxe ?

Sophie Letourneur : C’est uniquement un paradoxe dans la tête des gens. Dans la réalité on peut très bien se baser sur quelque chose de très écrit tout en faisant en sorte que ça ait l’air très naturel. Ça s’appelle bien jouer par exemple (rires). La différence dans mes films vient peut-être du fait que les dialogues ne sont pas écrits au cordeau. Enfin ils le sont mais ils s’accompagnent de tous les petits mots qui viennent quand on s’exprime mal, comme moi par exemple : les « euh », les tics de langage. Il y a beaucoup de tics de langage dans mes films parce que je travaille à partir d’enregistrements. Ce que j’écris ne sort pas d’un livre, ce n’est pas quelque chose de littéraire, c’est vraiment quelque chose qui est prélevé du réel. J’écris d’après des enregistrements, des improvisations, mais pour moi les dialogues ce ne sont pas des mots qui sont écrits sur du papier, ce qui compte c’est l’intonation, la façon de les dire. C’est pour cela que ça peut paraître à la fois spontané et travaillé. C’est d’ailleurs révélateur qu’on emploie le mot « écrit », qu’on souligne le coté littéraire des dialogues. Les dialogues sont d’ailleurs beaucoup plus littéraires en France qu’aux États-Unis. Dans la plupart des films américains, les dialogues sont beaucoup plus naturels, en partie parce que c’est une langue qui s’y prête beaucoup plus que le français.

FDC : Il y a aussi en France une tradition, parfois presque un poids, du scénario vu comme un travail littéraire...

SL : Oui, et des fois ça peut être très beau. Il y a des films avec des dialogues qui ne reflètent pas du tout la façon qu’on peut avoir de parler naturellement, ça peut être un parti pris et ça peut être très beau. Si tout le monde pouvait s’exprimer comme dans un livre ce serait très beau aussi. Mais après il faut que la mise en scène suive, et souvent ce n’est pas le cas.

FDC : Tu parlais d’enregistrements sonores. Est-ce que pour Les Coquillettes tu as travaillé de la même manière que sur La Vie au ranch, en commençant par effectuer un collage sonore des dialogues des actrices ?

SL : Oui, on a beaucoup improvisé sur ces souvenirs de festival et on a fait un montage de tout ça. L’idée, c’est de faire ressembler ces dialogues un peu à une musique, travailler le récit, comment on raconte, les contradictions entre ce qu’on dit et qu’on voit. Pour moi c’est comme un jeu de construction.

FDC : Est-ce à dire que d’une certaine manière, le montage est déjà prêt avant le tournage ?

SL : Oui, le montage est déjà tout prêt dans ma tête à ce moment-là.

FDC : On rapproche souvent ton travail de ceux de réalisateurs comme Hong Sang-Soo ou Eric Rohmer, à tel point que c’est presque devenu une récurrence dans chaque article ou chaque interview. A cause de cette manière commune de se focaliser sur le quotidien : on discute en terrasse, on boit, on parle de ses histoires de cœurs…

SL : Oui, mais ça va, il y a pire (rires) !

FDC : Mais pour moi votre point commun serait plutôt la place centrale donnée au dialogues, justement. Rohmer disait par exemple qu’au cinéma, un dialogue c’est déjà une action. Il disait que filmer un personnage en train de dire qu’il va faire quelque chose, ça peut être tout aussi fort que de le filmer en train de le faire. C’est une conception dans laquelle tu te retrouves ?

SL : Ah oui complètement ! Et dans Les Coquillettes c’est complètement ça puisqu'on y raconte justement ce qu’on a fait. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai choisi ce procédé de la voix off. J’avais envie qu’il y ait un peu d’action, donc ça me permettait à la fois de mettre en scène le fait qu’on raconte une histoire, et qu’on voit à l’écran cette histoire qui se déroule en alternance. Ça permet que l’effet comique soit aussi visuel, et pas uniquement dans les dialogues.

FDC : Tu parles d’effet comique, et justement : dans tes films comme chez les cinéastes qu’on a cités, c’est précisément le décalage entre ce que les personnages disent et font qui crée l’effet comique. Mais pas seulement, parce que le décalage peut être aussi très émouvant. Il y a par exemple cette scène où Camille dit qu’elle n’a jamais été aussi heureuse et se met à fondre en larmes. C’est à la fois drôle et émouvant.

SL : Oui. Camille c’est de toute façon vraiment le personnage le plus travaillé du film. Nous, les deux autres, on est vraiment des figures burlesques. Que ce soit moi et ma fixette sur Louis Garrel, ou Carole qui est une machine de guerre qui, pour caricaturer, finit par violer un mec à la fin, je pense qu’on est beaucoup moins touchantes. Camille a beaucoup plus d’épaisseur dans son personnage, et je pense que c'est aussi une meilleur actrice que moi. Elle a une fragilité que j’ai voulu explorer dans le film pour créer de l’émotion. Dans la vie c’est déjà quelqu’un qui passe souvent du rire aux larmes et ça m’a beaucoup inspirée. C’est d’ailleurs mon envie de la faire jouer qui m’a fait faire ce film. Ce qui est super chez elle, c’est qu’il n’y a pas seulement un décalage entre ce qu’elle raconte et ce qui s’est passé, c’est qu’à l’intérieur d’une même scène, elle va dire à la fois une chose et son contraire. Dans La Tête dans le vide, mon premier court métrage, j’avais mis en scène ma meilleure amie et c’était déjà ça : elle disait tout puis l'inverse dans une seule et même conversation. C’est quelque chose peut-être d’assez féminin ? C’est quelque chose qui me touche particulièrement en tout cas, cette espèce d’instabilité du ressenti, le fait qu’on peut dire tout et son contraire tout en restant sincère absolument tout le temps. Je trouve ça super.

FDC : Le générique de début des Coquillettes, c’est déjà une manière de mettre en avant les dialogues par rapport à n’importe quel autre élément du film ?

SL : Oui. Les détails du dialogue plus que le dialogue en lui-même. De manière générale, les détails c’est ce qui me passionne. Je pense d’ailleurs que je fais des films de détails. Mettre dès le départ uniquement le son à l’écran, écrire les dialogues sur le générique, ça permettait de mettre l’accent sur le mot et la force de la banalité du langage, et du coté comique de la diction, du vocabulaire, des formules.

FDC : C’est dans le même but que tu as réenregistré tous les dialogues du film en post-synchro ? Cela amène parfois un décalage complètement inhabituel.

SL : Oui, c’est encore une manière de mettre en avant les dialogues. Cette façon de dégager la parole et de la désynchroniser légèrement du mouvement des lèvres, c’est un travail que j’ai amorcé avec Le Marin masqué. Ça permet d’isoler la parole et de la rendre très poétique. C’est une technique que j’adorais dans La Boulangère de Monceau. Le décalage y est costaud mais il est génial ! Quand le personnage dit « je voudrais un éclair au chocolat », on dirait que ça sort d’une pièce de théâtre poétique alors qu’à la base, c’est hyper banal. Le fait de désynchroniser mais aussi détimbrer donne un autre relief à la parole. Ça colle bien avec ce que je recherche dans l’écriture de mes dialogues. Et puis de toute façon le travail sur le son, la mise en scène par le son c’est absolument passionnant. Les gags sonores c’est super, par exemple. Dans la scène où Benoit Forgeard part de la gare tout seul avec sa valise, on a rajouté un bruit de roulettes hyper triste, on a l’impression qu’il pleure. Ce sont des petits trucs que les gens ne remarquent pas forcément mais c’est du plaisir, c’est hyper ludique. Et puis ça nous a apporté énormément de facilité au moment du tournage : on n’avait pas besoin d’ingénieur du son, pas besoin d’énorme perche, on pouvait tourner tout le temps hyper facilement, on pouvait diriger les acteurs pendant la scène… Un nombre d’avantage incroyable! Et pourtant j’étais vraiment une ayatollah du son direct ! J’étais hyper chiante même au niveau du montage son, je voulais surtout ne rien rajouter parce c’était fabriqué, donc c’était mal. Et finalement j’ai complètement changé de position par rapport à ça, je me rends compte que l’artifice ce n’est pas forcément du mensonge. On peut être beaucoup plus proche de sa perception des choses en les reconstruisant plutôt qu’en essayant de les capter telles quelles.

FDC : Comment as-tu réuni ce casting plein de guest stars en second rôles ? C’était pioché au hasard de qui vous rencontriez au festival ?

SL : Oui, complètement. C’était presque un happening. J’avais mon scénario, j’avais mon plan de tournage qui était calé sur les événements du festival, après il fallait trouver qui allait interpréter tel ou tel personnage. J’aurais pu faire venir des acteurs mais vu les moyens financiers du film… L’idée c’était plutôt de faire jouer les gens qui allaient être là au moment où on allait tourner les scènes, qui étaient d’accord pour tourner et qui restaient suffisamment longtemps au festival pour pouvoir tenir le temps de leur personnage. C’est pour ça qu’il y a beaucoup de journalistes. Ce n’était pas du tout un calcul de ma part pour avoir des articles ! Je pense d’ailleurs que ça joue plutôt contre moi. C’était des gens que je ne connaissais même pas pour la plupart, mais c’était ceux qui restaient tout au long du festival et qui étaient les plus disponibles. Au départ je voulais prendre parmi les acteurs qui étaient présents, je me disais qu’avec un peu de bol, ce serait des acteurs connus et que ça permettrait à mon film de sortir dans tous les UGC, mais non ! Ça s’est pas passé comme ça du tout, Gérard Depardieu n’a pas accepté de tourner dans mon film (rires). Finalement, les acteurs professionnels n’avaient absolument pas le temps : soit ils étaient dans le jury et devaient enchainer les séances, soit ils restaient seulement deux jours pour présenter leur film.

FDC : Du coup ces personnages secondaires étaient déjà écrits, leurs dialogues aussi ?

SL : Ils étaient écrits mais je les ai quand même laissés assez libres. C’est vrai que les pauvres ne savaient pas forcément ce qu’on était en train de faire, c’était très speed. Moi, je savais exactement où j’allais. Du coup vu que le son était entièrement refait je me permettais de les diriger pendant la scène. Je ne leur donnais pas leur texte avant, de toute façon ils n’auraient pas eu le temps de l’apprendre, et puis ce n’était pas des comédiens professionnels. Du coup pendant la scène je leur disais juste « bon ben là tu dis telle phrase ». C’est pour ça que ça parait naturel : ils n’avaient pas du tout le temps d’appréhender, de trouver une posture, de trouver un éventuel ton d’acteur. Ça les a aidés à être justes.

FDC : Louis Garrel aussi, tu l’as choisi par hasard ?

SL : Non, ce n’était pas du tout un hasard. Au départ je lui avais même demandé de jouer Martin, et il m’avait dit oui. Mais il faisait partie du jury, donc au final il n’avait pas le temps. Du coup je lui ai donné un autre rôle. Au départ on s’était imaginé tout un truc autour de Benicio Del Toro : on pensait juste mettre une perruque à un mec (rires). Et puis finalement je trouvais ça marrant, Louis Garrel, le coté midinette…

FDC : Le festival sert uniquement de toile de fond au film, il y est finalement très peu question de cinéma. A tel point que l’un des personnages dit « je m’emmerde tellement que je suis même prête à aller voir un film ».

SL : Oui. J’aime beaucoup la blague sur Jafar Panahi aussi. J’aime bien jouer sur ce côté cruche. C’est une comédie et dans les comédies, on ridiculise toujours un peu les personnages : Pierre Richard, tous les grands comiques jouent là-dessus. Je trouvais ça drôle d’en faire des filles qui ne connaissent rien à rien. Ça me permettait aussi de faire un peu de provocation. Je n’ai pas fait d’école de cinéma mais je ne suis pas complètement ignare ; j’ai vu des films, mais le cinéma ce n’est pas toute ma vie, voilà. Ça me permettait donc de faire un pied de nez au milieu du cinéma d’auteur qui sacralise un peu le cinéma. Et moi je ne sacralise pas du tout. Entre le cinéma ou la vie, je préfère la vie personnellement (rires).

FDC : Les Coquillettes retourne pas mal de schémas narratifs habituels : ici ce sont les mecs qui font tapisserie et sont relégués au second plan, et ce sont les filles qui sont crues. Le fait que le principal enjeu du scénario soit, pour résumer, de savoir si les héroïnes vont arriver à baiser, est assez révélateur. C’est un ressort scénaristique classique des comédies masculines, mais là d’un seul coup, ça surprendrait presque juste parce que ce sont des filles…

SL : Oui, et c’est ça qui est injuste ! Dans une scène de La Vie au ranch, il y avait une fille qui faisait pipi dans la rue entre deux voitures, et on m’a dit que c’était hyper trash, que ces filles c’était des souillons, alors que si ça avait été un mec ce serait passé comme une lettre à la poste. Sur le même film, on m’a reproché que les filles buvaient trop, mais elles ne boivent pas tant que ça ! Dans n’importe quel film sur des mecs, ils boivent des bières entre potes tranquillement et tout le monde trouve ça normal. C’est ça aussi qui m’intéresse finalement : de donner une autre image de ce qu’on peut attendre d’un personnage féminin. Quitte à exagérer un peu, parce que mon but ce n’était pas de représenter des filles qui sont exactement comme ça dans la vraie vie. Je tenais à forcer le trait, mais c’est déjà ce qui se fait dans la plupart des films sur des mecs. Il y a par exemple un sujet qui revient souvent dans les comédies américaines, de American Pie à Supergrave, c’est « qui va perdre sa virginité, qui va coucher avec une fille avant la fin de l’année ? ». Cet enjeu est omniprésent mais ça ne veut pas dire pour autant que ça résume toute l’identité de ces personnages masculins. Or là, on fait de cette quête une définition de ces filles, de qui elles sont, alors que c’est juste un principe de comédie. Ce n’est pas du tout un portrait de filles dont la vie se résumerait à ça.

FDC : Dans le cinéma français contemporain, il n’y a justement pas beaucoup de personnages féminins de comédie qui soient à la fois drôles et sexy sans être des potiches ou des faire-valoir…

SL : Oui. Là on touche à la grande question de l’érotisme au cinéma : le rapport au visuel, au fantasme, au cliché, à la possession de l’autre… Or c’est quelque chose qui est intimement lié aux actrices et quasiment jamais aux acteurs, j’ai l’impression. D’ailleurs est-ce que l’érotisme est une notion typiquement masculine ou est ce que ça peut être féminin aussi ? Voilà une question qu’on pourrait se poser. Je ne voulais ne pas faire de mes actrices des objets érotiques. Il y a des réalisatrices qui font ça avec leurs actrices , moi je fais particulièrement attention à être dans la retenue par rapport à ça : je fais très attention à faire des mes personnages des sujets et non des objets. Des sujets sexués plutôt que des objets érotiques. Il y a quelques scènes de nu dans le film, mais elles ne sont pas mises en scène de façon a exciter les spectateurs. Par exemple quand Carole arrive à poil et saute sur Luigi, j’aurais pu en faire une scène plus classique et profiter de la beauté du corps de Carole. Or pour moi c’était très important de rester dans quelque chose de plus froid. Et cela n’empêche pas que finalement, l’une des images que les gens retiennent le plus de la bande-annonce, c’est justement Carole qui débarque toute nue ! Ça me fait comprendre des choses sur le fonctionnement du spectateur. Je pense qu’il y a quelque de très fort dans le cinéma autour de l’érotisation du corps de la femme. Je pense que Les Coquillettes ne va pas du tout dans ce sens là, et c’est justement ce qui me plait beaucoup. Sans pour autant que le film fasse de ces filles des laiderons.

Si ça avait été un mec qui avait réalisé le film, leur amitié n’aurait pas été filmée de la même manière. Comme elles dorment dans le même appart, il y aurait forcément eu un moment où elles se seraient roulées une pelle pour se marrer, un moment où le spectateur se serait senti « invité » avec elles trois. Là ce n’est pas du tout le cas. Je trouve ça très important qu’il y ait des films où ça se passe comme ça, où l’on montre que l’amitié féminine ça ne va pas être une espèce de fantasme où un mec pourrait espérer se taper tout le monde (rires). Je voulais que les filles fassent marrer sans forcément exciter les spectateurs, quitte à perdre un peu ces derniers.

Mais je pense qu’il y a un truc à faire au niveau de l’érotisme et du comique, parce que ce sont deux choses qui ne vont du tout ensemble. Cameron Diaz dans Bad Teacher elle est super bien foutue et drôle en même temps, et pourtant je pense qu’elle n’a pas le même pouvoir érotique qu’une actrice de Lynch par exemple. Justement parce qu’elle est drôle. Cameron Diaz est super belle et pourtant elle n’est jamais élue dans les listes des actrices les plus sexy. Il y a un vrai questionnement derrière tout ça : est ce qu’on peut être ridicule et sexy ? Ou alors, on peut être drôle mais juste un peu, comme Louise Bourgoin. C'est-à-dire qu’il faut quand même se tenir et ne pas se ridiculiser, il ne faut pas casser sa propre image.

FDC : Il y a comme un mystère féminin qu’il faudrait absolument respecter…

SL : Le mystère et l’idée de la possession. Pour moi tout est très lié à ça : l’envie pour le spectateur masculin de posséder le personnage féminin. L’humour c’est pareil, il y a une question de supériorité intellectuelle à conserver. Il y a un truc de pouvoir derrière tout ça.

FDC : D’où vient l’idée de la nouvelle affiche inspirée par Spring Breakers ? C’est ton idée ?

SL : Oui. On va avoir une toute petite sortie, alors que j'aurais aimé que ce soit un film populaire. On va sortir dans le réseau art et essai, or pour avoir fait la tournée des salles art et essai avec La Vie au ranch, je sais qu'il y a surtout des vieux dans les salles. Or, finalement le public du film c’est qui ? Ce sont des gens qui ont de l’humour, des gens qui ne sont pas snobs, et les jeunes. Or les jeunes de province ils ne foutent pas les pieds dans les salles art et essai, ils n’en ont rien à foutre (rires) ! Et pourtant le film est drôle, je vois bien les réactions dans les salles, même auprès des ados. A Belfort il y avait une projection pour les sorties lycéennes, ils étaient morts de rire. Les gens qui ont aimé La Vie au ranch parce que c’était radical, brut, qui se sont montés le bourrichon sur des trucs auxquels je n’avais même pas pensé, quand ils vont voir Les Coquillettes , ils vont peut-être se dire « Mais c’est quoi cette vulgarité ? Pourquoi elle fait des compromis ? ». On n'a pas trop le soutien de la presse pointue, par exemple les Cahiers détestent. Or, dans mes goûts de spectatrice, je me sens beaucoup plus proche de Première. On aurait pu avoir également un partenariat avec Grazia, qui ont adoré le film.

J’ai donc demandé à créer une page Facebook, au cas où on pourrait passer par les réseaux pour toucher le public. Je me suis dit qu’il y avait plein de trucs marrants à faire, comme parodier Spring Breakers. J’aurais adoré qu’on ait autant de marketing qu’eux sur Les Coquillettes ! Il y avait plein d'autres idées, on aurait pu par exemple rebondir sur l’article de Maraval dénonçant les salaires des acteurs... On a fait les photos dimanche en trois quarts d’heure, et depuis qu’on les a postées, ça a plutôt l’air de marcher. On m’a dit « On ne va pas mentir sur le film », mais Spring Breakers, ils mentent sur le film et ils ont raison ! Parce que les gens qui sont habitués à voir de la merde, ils y vont pour le cul des actrices, et au final ils se retrouvent à voir un film de bonne qualité !

FDC : C’est paradoxal dans la mesure où Les Coquillettes est justement plus facile d’accès que La Vie au ranch.

SL : Mais oui ! L’important pour une comédie c’est avant tout que les gens se marrent. Mais qu’est ce qui fait qu’un film marche aujourd’hui en salles ? C’est le marketing. La presse est là pour soutenir, mais elle le fait quand c’est un film qui rentre clairement dans le réseau art et essai, comme Tabou par exemple. Les Coquillettes, non, parce qu’on a on essayé de faire une comédie grand public, type Very Bad Trip mais version française, féminine et un peu lose…

FDC : On en revient au « paradoxe » dont on parlait au début. Derrière tout le travail théorique, il ne faut pas oublier que Les Coquillettes c’est avant tout une comédie.

SL : Mais oui. De toute façon, moi ça fait longtemps que j’ai envie de faire des comédies grand public. On ne me donne pas les moyens de les faire et en même temps je ne suis pas dans le réseau art et essai. Tout est tellement cloisonné, j’ai l’impression qu’on me demande de choisir mon camp. La comédie d’auteur en France c’est compliqué. Il y a Mouret, les frères Podalydès, mais y en a pas beaucoup d’autres.

FDC : C’est la première fois que tu te concentres sur des personnages adultes. Est-ce que ça a changé quelque chose dans ta manière de les appréhender ? Parce que finalement ces filles-là se comportent elles aussi un peu comme des ados.

SL : Voilà. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai choisi comme titre Les Coquillettes, pour ce côté régressif. Le film parle beaucoup d’une solitude affective, de filles qui rêvent de rencontrer l’amour. Elles s’imaginent des choses, projettent, fantasment, elles sont perdues. Ce côté régressif, ce côté gamine, léger, c’est ça qui m’intéresse. Ça me fait du bien dans la vie d’être parfois comme ça, et ça me fait du bien de le transmettre dans mes films. Et même si je suis mère de deux enfants, je pense que mes films me ressemblent. J’ai un côté enfantin : au-delà des films, je ne prends pas grand-chose très au sérieux. Et puis en festival, tout le monde garde un peu ce côté ado, même les mecs de 50 ans les plus sérieux, ils envoient des textos pour draguer (rires) !

Entretien réalisé le 12 mars 2013. Un grand merci à Chloé Lorenzi.

par Gregory Coutaut

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