Entretien avec Shinya Tsukamoto

Entretien avec Shinya Tsukamoto

Le réalisateur culte de Tetsuo, Shinya Tsukamoto, livre avec Fires on the Plain un drame antimilitariste puissant. Inédit dans les salles françaises, ce long métrage est désormais disponible en dvd, dans une édition qui comprend un autre film inédit du cinéaste, Tetsuo : The Bullet Man (réalisé en 2009). Nous avons rencontré le cinéaste qui nous parle de ce projet qu'il porte en lui depuis des années. Mais aussi de ses surprenants films de jeunesse ou de sa participation au prochain Martin Scorsese...

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Fires on the Plain est une nouvelle adaptation des Feux de Shohei Ooka. Pourquoi ce livre plutôt qu'un autre?

J'ai lu ce livre quand j'étais au lycée, et il m'a fait forte impression. J'ai toujours voulu en faire un film. L'idée n'était pas tant de faire un film de guerre que de vivre une expérience de la guerre. Ce projet m'est longtemps resté en tête sans que je ne puisse trouver l'argent nécessaire pour produire le film. Et puis, il y a 3 ans, je me suis dit que le Japon était dans une situation difficile. Qu'il allait vers la guerre. Notre gouvernement actuel me donne l'impression qu'il permet au Japon d'entrer en guerre. Ça me semblait donc le moment pour réaliser ce film, pour montrer au peuple ce que peut être la guerre. Alors j'ai forcé les choses.

Vous aviez déjà adapté un grand auteur il y a une quinzaine d'années avec Edogawa Rampo, pour Gemini. Est-ce que l'adaptation implique un travail de scénariste différent à vos yeux ? Avec plus de pression ou plus de liberté ?

Je n'ai pas ressenti de pression, peut-être que j'aurais dû ! (rires) Mais ce n'était pas le cas. J'avais également adapté Hiruko The Gobelin à partir d'un manga. Pour Gemini comme pour Hiruko, j'étais déjà admirateur de leurs auteurs. J'aurais pu ressentir la pression de la part d'autres fans, mais j'étais déjà moi-même un très grand fan. Donc ce n'était pas très intimidant, d'autant que je partais du principe qu'une adaptation cinématographique impliquait forcément des différences, qu'il fallait que je m'éloigne de l’œuvre originale pour me l'approprier. Tout a été très différent sur Fires on the Plain. Je souhaitais être aussi proche que possible du roman, de son univers. Ce n'était pas du tout la même approche.

On est habitué dans votre cinéma à des univers urbains forts, de Tetsuo à Snake of June, avec des personnages qui se confrontent à la ville. Ici, c'est à la nature que les soldats se confrontent.

Avant, je filmais les grandes villes comme des boites qui enferment les personnages. C'était des milieux artificiels où l'on perdait la notion de réalité. Mais déjà à l'époque, j'avais envie d'aller « dehors », de sortir de la boite et de tourner dans la nature. Pour Fires on the Plain, j'ai réussi à sortir de cette boite. Filmer en ville, c'était filmer quelque chose de presque fantastique, suréel. La violence dans ces films avait quelque chose de fantastique. Dans Fires on the Plain, face à la nature, la violence est bien réelle. Cela constitue une nette différence entre ces deux univers.

Le roman de Shohei Ooka est très concis, assez factuel. Votre film est très vif, avec dès le départ un enchaînement rapide des actions. Pouvez-vous nous dire comment, en termes de mise en scène, vous avez voulu retransmettre ce sentiment d'urgence?

A vrai dire, comme j'avais envie d'adapter ce roman depuis des dizaines d'années, j'ai assez peu pensé aux aspects les plus techniques : j'avais le roman dans la peau. Je me suis en fait beaucoup plus obstiné sur les costumes, les accessoires, la direction artistique. J'ai beaucoup travaillé avec mes collaborateurs sur les détails de la reconstitution. J'en avais une idée précise.

Vous êtes-vous posé des questions quant à la représentation de la violence ? Avez-vous été tenté par l'autocensure ou au contraire était-ce essentiel de représenter la violence comme c'est le cas dans Fires on the Plain ?

C'est là aussi venu naturellement, comme les choix de mise en scène. C'était très naturel de décider ce qu'on devait montrer dans telle scène (et ce qu'on ne montrait pas dans une autre). Il n'y a pas eu d'autocensure, je pense avoir réussi à prendre ces décisions instinctivement.

La première adaptation du roman par Kon Ichikawa s'achève sur un plan d'un homme qui s'affaisse, qui est mort. Fires on the Plain s'achève sur un homme debout. Était-ce essentiel à vos yeux de terminer le film ainsi?

C'est la fin du roman, et dans ce sens on peut dire que mon adaptation est plus fidèle que celle d'Ichikawa. En général, les personnages principaux de mes films ne meurent pas. Il y a une raison à cela: ce qui se passe après le film compte autant que ce que raconte le film. Du coup, il ne meurt pas.

Vous avez eu de grandes difficultés pour réunir un budget suffisant et produire le film. Pensez-vous qu'il cela vient du fait qu'il ne s'agit pas d'un divertissement grand public, ou est-ce parce qu'il s'agit encore, un demi-siècle après, d'un sujet délicat ?

Je pense que ce sont les deux principales raisons. C'est un thème qui reste très difficile. Autrefois, on voyait la guerre comme le mal absolu. C'était à fuir. Mais les mœurs sont en train de changer. On sent que le Japon peut entrer en guerre. Les opinions ont changé à ce sujet. On a davantage tendance à accepter la guerre, du coup cela devient plus compliqué de produire ce genre de film.

L'an passé, Koji Fukada nous avait expliqué qu'il était impossible de trouver des financements auprès des grands studios pour financer son nouveau film, qui traite de Fukushima. Ressentez-vous une frilosité au Japon pour traiter de sujet politiques plus contemporains?

Oui, c'est difficile. Tout simplement qu'il est plus compliqué de faire un film qui va à l'encontre du courant politique dominant et du pouvoir. Si l'on va dans le sens du poil, là ça ne posera aucun problème.

Votre père vous a offert une caméra Super 8 lorsque vous aviez 14 ans. Vous souvenez-vous de ce que vous avez filmé en premier?

En fait il se l'est achetée pour lui. Jamais il ne m'aurait offert quelque chose d'aussi cher !

Et vous n'avez pas eu la tentation de vous en servir?

Comme mon père ne l'utilisait pas trop, je m'en suis effectivement servi. Dès le départ je voulais créer des fictions. Faire des films de kaiju ! Mais il fallait créer des monstres et ça c'était une autre paire de manches. J'ai d'abord fait un film sur des primitifs, d'ailleurs ça s'appelait Monsieur Primitif. Il racontait l'histoire d'un homme primitif qui détruisait tous les gratte-ciels pour que tout redevienne comme avant. C'était une adaptation de Shigeru Mizuki.

Vous êtes un admirateur de Mizuki?

Oui, je l'aime beaucoup, comme la plupart des Japonais !

Est-ce que aimeriez adapter un manga de Mizuki un jour?

Je n'ai pas d’œuvre précise en tête que j'aimerais adapter mais j'adore l'ambiance qui règne dans ses mangas. Et j'aimerais m'en servir pour mes films.

Vous avez récemment joué dans le prochain film de Martin Scorsese, Silence. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?

Je ne peux pas du tout dévoiler le contenu du film. Mais j'ai l'autorisation de vous dire que j'ai joué dedans ! (sourire) C'est une adaptation de Shūsaku Endō qui est un autre grand écrivain japonais. Scorsese voulait tourner ce film depuis 20 ans. Si l'on compare à Fires on the Plain, en termes de production, c'était le ciel et la terre ! Ce n'était pas du tout pareil. Je suis content d'avoir participé à ces deux projets qui ont été mûris pendant de longues années. C'est une très bonne année pour moi.

Il y a une quinzaine d'années, on a entendu parler d'un projet intitulé Flying Tetsuo, sur lequel vous auriez collaboré avec Tarantino. Était-ce une rumeur farfelue ou est-ce qu'il a réellement existé?

Si si, il a bien existé ! Il y a pratiquement 20 ans. Ça ne s'appelait pas Flying Tetsuo mais Tetsuo America. Je tenais à faire voler Tetsuo, mais cela coûtait trop cher. Et puis le projet est tombé à l'eau.

Avez-vous déjà de nouveaux projets?

J'ai déjà quelques idées, mais c'est important pour moi de montrer Fires on the Plain à beaucoup de spectateurs. Je veux m'en occuper encore pour le moment, et pour mes autres projets on verra plus tard.

Comment Fires on the Plain a t-il été accueilli par public japonais ?

Il a été très très bien accueilli, il y a eu beaucoup de spectateurs. Ils ont donné des opinions passionnantes et passionnées. Je crois bien qu'il s'agit du film le mieux accueilli de toute ma filmographie.

Entretien réalisé le 3 décembre 2015. Un grand merci à Karine Jean et Megumi Kobayashi.

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par Nicolas Bardot

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Fires on the Plain est désormais disponible en dvd. Toutes les infos ici.

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