Entretien avec Sebastian Lelio

Entretien avec Sebastian Lelio

Avec Gloria (sortie France le 19 février), le Chilien Sebastian Lelio a été l'une des sensations de la Berlinale l'an passé. Irrésistible crowd-pleaser, Gloria raconte l'histoire d'une femme de 58 ans à la recherche de l'amour. Lelio s'affirme comme l'un des chefs de file de la formidable nouvelle génération de cinéastes chiliens. Rencontre.

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FilmDeCulte : Quel a été le point de départ de Gloria ?

Sebastian Lelio : Le point de départ, c’est que j’avais le sentiment qu’il n’y avait pas de films avec un personnage comme celui de Gloria. Une femme de 58 ans à Santiago aujourd’hui… Pour beaucoup de gens ça n’est pas spécialement attractif mais moi, faire un long métrage sur ce type de personnage « oublié », qui ne « mérite pas » qu’on lui consacre un film, qui est un personnage secondaire dans la vie des autres, c’est ce qui m’a enthousiasmé. Construire le film autour d’elle, la défendre, être de son côté. L’énergie est venue de là. Et puis il y a cette image d’une femme qui chante dans sa voiture: c’est la première image qui m’est venue, Gloria qui chante seule au volant une chanson un peu ringarde. C’était un point de départ émouvant qui illustre ce qu’elle traverse, ses sentiments.

FDC : Alors justement le personnage de Gloria est une femme comme on en voit peu au cinéma. Elle n'est ni une épouse, ni une mère courage; elle n'est plus très jeune mais elle veut toujours faire l'amour, elle boit etc. Est-ce que cette façon de jouer avec les clichés était aussi l'un de vos buts ?

SL : Tout à fait. Et ce qui m’attirait c’était la capacité du personnage à faire face à toutes les situations, à préserver sa dignité malgré tout, à célébrer la vie, à l’accepter avec tout ce qu’elle peut apporter. Je me suis senti très lié avec ce personnage. Ces caractéristiques la rendent différente, en tout cas pas si commune. Et ça, ça a toujours été là. Le scénario a complètement changé à plusieurs reprises, mais sa personnalité à elle n’a jamais été modifiée d’une version à l’autre. Elle était même de plus en plus forte au fil des réécritures. Elle absorbait de plus en plus l’attention, jusqu’à être ce personnage absolu. Il n’y a quasiment pas un plan sans elle dans le film.

FDC : Il y a un équilibre pas évident dans l’écriture, qui allie la cruauté des événements qui arrivent à Gloria à un regard toujours bienveillant à son égard. Était-ce pour vous un enjeu essentiel au moment de la conception du scénario ?

SL : Le ton du film s’est révélé petit à petit lors de l’écriture et vers le début du tournage. J’étais bien conscient de ce paradoxe dans la narration : il y a une certaine cruauté, on parle de solitude, de sujets difficiles. Mais on explore ces thèmes de façon douce-amère. Notre référence principale, c’était la bossa-nova. Qui est utilisée lors d’une scène-clef du film. Le ton du long métrage devait pour moi être similaire à celui de cette musique : doux-amer, sensuel, un poème hypnotique du quotidien. C’est ça la bossa-nova. Ça vous prend par la main, vous rend heureux ou vous fait danser tout en traitant de sujets graves, existentiels ou politiques. C’était très intéressant de travailler sur ce paradoxe, particulièrement au cinéma. La présence et l’absence, l’ombre et la lumière. C’est un langage filmique finalement assez naturel. Pour Gloria, il fallait combiner les aspects sombres avec un style sensuel, hypnotique. C’est comme un Cheval de Troie : on croit qu’on va vers quelque chose, mais ce qu’on cherche est finalement plus complexe.

FDC : Hormis la bossa-nova, aviez-vous des modèles en tête lorsque vous prépariez Gloria, qu’il s’agisse de personnages féminins ou d’autres films ?

SL : Une référence indéniable, c’était les personnages de Gena Rowlands dans les films de John Cassavetes. Ces personnages bigger than life, c’est quelque chose que j’adore. Gloria est comme ça, avec un verre dans une main et une clope dans l’autre, et une attitude très fière face à la vie même si celle-ci est dure avec elle. Le reste m’est venu de l’expérience, de la vie : le scénario est basé sur une combinaison d’anecdotes, de conversations avec des femmes de cet âge.

FDC : Il y a une scène où Gloria fait face à marionnette de squelette qui danse. Il y a aussi, dans votre film, une pulsion de vie, jusqu’au générique de fin. Pouvez-vous nous parler de l’énergie, du rythme que vous avez voulu insuffler à votre narration ?

SL : C’est très intéressant parce que justement on est amené à se demander d’où vient cette énergie ? Le film est une illusion, ce sont juste des lumières sur un écran. C’est essentiellement le spectateur qui le construit dans sa tête. La seule chose qu’on peut faire en tant que réalisateur, c’est créer une sorte de système de résonance qui, peut-être, va toucher le spectateur de l’intérieur. Quand vous parlez de cette énergie que vous ressentez, je dirais que c’est très flatteur pour le film, et que cette énergie... vient de vous, spectateur. Parce qu’il a réussi à éveiller quelque chose en vous. Il y a certainement une connexion avec ce que vit le personnage, ce qu’elle traverse, ce qu’elle résout. Le but de cette combinaison de lumières, de textures, de mouvements de caméra, de jeu d’acteurs, d’écriture, c’est de faire en sorte que cette énergie s’exprime, jaillisse. Et ça, ça se passe entre le film et le spectateur. Je ne sais pas si vous me suivez (rires)

FDC : Si si ! Paulina Garcia est formidable dans le rôle de Gloria. Comment avez-vous effectué le choix de votre actrice ?

SL : J’attendais le bon projet pour la contacter. Je l’admire depuis longtemps en tant qu’actrice. Elle joue au théâtre au Chili, elle met en scène des pièces également, mais Gloria est son premier rôle important au cinéma. J’ai tout de suite pensé à elle lors de l’écriture, elle a toujours été au centre du projet. Deux ans ont passé avant le tournage et elle était toujours Gloria, elle a toujours été le film.

FDC : L’accueil de Gloria à la Berlinale a été extrêmement chaleureux, le film a été primé. Qu’est-ce qu’un tel accueil change concrètement à la carrière d’un film comme Gloria ?

SL : Toute l’équipe était surprise par l’intensité de la réaction. On imaginait que le film pourrait trouver un public, mais on ne s’attendait pas à une telle unanimité. Les critiques étaient très enthousiastes, le public était vraiment avec le film. Avant même la cérémonie, Gloria a été vendu à plus de 40 pays ! On n’était pas préparé à ça. Donc c’était très bien et ça a offert de belles opportunités au film. C’est fantastique. Parce que dès le départ, le film était pensé pour être vu. C’est dans le cœur du projet : il fallait qu’il se connecte à un public. Et que cette connexion marche, c’est à la fois formidable et très émouvant. Qu’il soit vu au Chili, en Australie, en Roumanie, en France etc… et qu’il génère toujours ce type de réaction ! On peut espérer ce type d’accueil mais on ne pouvait pas imaginer ce qui s’est passé.

FDC : Cela fait plusieurs années que le cinéma Chilien est de plus en plus remarqué en Europe, en festivals ou ailleurs. Notamment grâce à des cinéastes tels que Pablo Larrain, Sebastian Silva, Dominga Sotomayor, Marcela Said... Avez-vous le sentiment qu'il se passe quelque chose de "nouveau" dans le cinéma chilien ?

SL : Cette forte présence en festivals ces deux dernières années, la nomination aux Oscars de No, tout cela vient d’un long processus. Gloria comme No sont des troisièmes ou quatrièmes longs métrages. Depuis 2005, de nouveaux réalisateurs sont apparus, et il y a eu une énergie nouvelle. C’est quelque chose de très vivant. Je suis très proche de Pablo Larrain. On travaille ensemble, mais j’aime aussi beaucoup ses films. J’aime aussi beaucoup Sebastian Silva, José Luis Torres Leiva, Alejandro Fernandez, Cristián Jiménez… Ils sont très actifs et font des films très différents. Ces films sont faits dans une certaine urgence et on ressent une véritable faim.

FDC : Quels sont vos projets ?

SL : Je suis en Résidence à la Berlinale et je travaille donc à Berlin sur le développement d’une nouvelle histoire, tout en assurant la promotion de Gloria. Mais il est encore un peu tôt pour en dire plus !

Entretien réalisé le 21 août 2013.

par Nicolas Bardot

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