Entretien avec Sally Potter

Entretien avec Sally Potter

Dévoilé en début d'année en compétition à la Berlinale, The Party sort ce mercredi 13 septembre au cinéma. Cette comédie noire au cast all-star est réalisée par la Britannique Sally Potter. Elle raconte la célébration qui a lieu chez une femme politique (incarnée par Kristin Scott Thomas), celle-ci venant d'obtenir un poste prestigieux. La réunion sera mordante. Nous avons rencontré la réalisatrice qui nous en dit un peu plus sur ce long métrage...

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Vous décrivez The Party comme un film sur l'"Angleterre brisée". Que recouvre cette formule ?

Quand j'ai commencé à écrire le film, nous étions en plein dans les élections en Angleterre. Nous avions le choix entre Ed Miliband à gauche et David Cameron à droite, mais tous deux se sont progressivement rapprochés du centre, de telle sorte qu'on ne parvenait plus très bien à faire la différence entre eux deux. Leur principal point commun restait néanmoins qu'ils donnaient tous deux l'impression de ne pas être sincère. Tous ces mensonges dits dans l'espoir de gagner m'ont dérangée, et m'ont paru très dangereux. Puis, bien sûr, le Brexit a eu lieu, mais cela s'est fait durant le tournage. Ce n'est pas du tout quelque chose que nous avions en tête lors de l'écriture, mais rétrospectivement, je vois dans le film quelques éléments annonciateurs. L'implosion du microcosme que nous avons dépeint ressemble à une mini guerre civile. The Party n'est pas à proprement parler un film sur le Brexit, ses thèmes sont plus universels: la difficulté qu'il y a à dire la vérité, à être une bonne personne, la trahison, les hommes envers les femmes, les femmes envers les femmes.

Le film est à la fois joyeux et mordant. On y rit beaucoup, et pourtant la peinture du monde politique y est amère. Voyez-vous The Party comme un film désabusé ou optimiste ?

Oh je trouve qu'il reste de l'espoir. Absolument ! Ce qui est intéressant, c'est que beaucoup de spectateurs viennent me voir en sortant du film pour me dire "Oh je me sens beaucoup mieux maintenant" (rires). Je pense qu'il y a quelque chose de salvateur dans le fait de rire de choses douloureuses. Nous vivons dans une époque très difficile, je ne me rappelle pas avoir traversé une ambiance aussi déprimante ces dernières décennies. Parvenir à en rire, c'est déjà réagir. Rire est non seulement sain, mais c'est indispensable, c'est la première étape. Le film opère un va-et-vient entre le rire et la tragédie. Au moment de présenter mon projet, j'utilisais d'ailleurs souvent la même expression, je disais: "je veux faire une tragédie cachée à l'intérieure d'une comédie". A première vue, The Party ressemble à une farce, ou à un film à suspens, mais le film trouve ses racines dans la tragédie grecque.

The Party emprunte beaucoup au théâtre: d'abord la triple unité (de lieu, de temps, d'action), mais aussi différents registres, telle que la farce par exemple.

Je n'ai pas commencé l'écriture en pensant d'emblée au théâtre, mais je me suis très vite rendu compte que c'était pourtant évident. Le point de départ que je me suis fixée, c'était de travailler avec des contraintes très fortes: un seul décor, une seule soirée, une poignée de personnages, un tournage très bref. Je voulais créer une immersion et une intensité qui feraient que la moindre surprise deviendrait encore plus explosive. Si je me construis ma propre cage, je me sens encore plus libre de m'exprimer comme je l'entends à l'intérieur de celle-ci. J'ai adoré travaillé ainsi, même si, techniquement, le tournage était un enfer. Comme je souhaitais un tournage de deux semaines seulement, il y avait des tonnes de détails à anticiper.

Est-ce pour cela que vous avez renoncé à tourner dans une vraie maison ?

Oui, même si c'était mon désir à l'origine. Mais sur deux semaines, on ne pouvait pas se permettre de refaire une scène au cas où on aurait entendu un avion passer dans le ciel, ou ce genre de détails. De plus, le film commence en journée et se termine en pleine nuit, il nous fallait pouvoir contrôler les éclairages minutieusement. Mais j'ai visité beaucoup de maisons similaires avant le tournage, et je me suis beaucoup inspirée de vrais maisons appartenant à des personnalités politiques. La manière dont ils arrange leur intérieur est souvent révélatrice.

Avez vous écrit les personnages avec vos acteurs en tête ?

Non, pas du tout. J'avais des idées et des désirs concernant le castings, bien sûr, mais j'essayais de ne pas me focaliser dessus. Au final, quasiment tous les comédiens que j'avais imaginé, tous mes premiers choix, sont de l'aventure. On s'est tous très bien entendus, même si ils sont tous très différents les uns des autres! Ils ont chacun leur sensibilité, et j'ai dû faire des petite modifications dans le scénario, le rééquilibrer afin qu'aucun personnage de prenne le dessus sur les autres. J'ai étoffé un petit peu le rôle tenu par Cillian (Murphy, nldr) . D'une part parce que, même si je le savais déjà, il était prodigieux, et d'autre part parce qu'il connaît bien le monde des affaires et qu'il avait beaucoup d'idées à ce sujet. Tous les acteurs ont pris place à l’écriture des personnages.

A la Berlinale, vous avez déclaré avoir choisi de tourner en noir et blanc pour les "couleurs émotionnelles". Pouvez-vous nous en dire plus?

Le cerveau est tout à fait capable d'interpréter le monde en noir et blanc, on n'a pas l'impression de manquer un paramètre fondamental. Dans un film, la couleur peut être superflue, elle peut même rendre le spectateur paresseux. Avec le noir et blanc, les lumières et les ombres sont plus extrêmes, et cela donne l'impression de redimensionner des choses familières, cela crée un nouvel espace à explorer. J'ai d'ailleurs une théorie, je pense qu'il y a quelque chose qui se passe dans le cerveau face à des images en noir et blanc. L’œil scanne l'image en bougeant extrêmement rapidement, or si l’œil passe sans cesse de zone de lumière très vive à des ombres très profondes, 24 fois par secondes, la pupille se dilate et se contracte sans cesse, et je pense que cela fait naître une sensation très particulière, unique même. Quelque chose de paradoxalement très agréable. Ce n'est qu'une théorie, mais j'y crois entièrement.

D'un courte durée, en noir et blanc, se présentant comme une comédie... The Party est à contre-courant de ce que l'on croit devoir attendre d'un "grand film à message". Mais sa forme n'est-elle pas à elle toute seule un message politique ?

Il y a une tendance contemporaine à la surenchère, dans tous les domaines, qui est parfois étouffante. J'ai voulu faire un film de façon écologique, en évitant toute forme de gaspillage: je ne voulais pas gaspiller de budget superflu, de temps de tournage superflu. Je voulais économiser le temps des spectateurs, c'est à dire tout faire pour qu'ils passent un excellent moment, mais également faire en sorte qu'ils puissent bénéficier de leur temps pour également faire quelque chose à la sortie du film, pour agir. Je n'ai rien contre les films à gros budgets, j'en vois régulièrement. Ce dont je me méfie, c'est de la paresse que la surenchère peut susciter chez le spectateur, qui demande qu'on lui en donne toujours plus. Je voulais rendre le spectateur à nouveau actif, à la fois dans sa manière de voir le film, et après, dans sa manière d'agir.

Quant à la forme du film, je n'avais pas anticipé que sa durée serait si réduite. Je pensais qu'on se rapprocherait davantage des 90 minutes. Mais je voulais que le film soit rapidement prêt, et surtout que le rythme ne faiblisse jamais. Et puis ne dit-on pas que les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures?

Comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur, Aleksei Rodionov ?

C'est notre troisième collaboration. Ce que j’apprécie particulièrement avec lui, c'est qu'il n'impose jamais son propre style, il travaille toujours en amont avec le réalisateur pour comprendre le sens du film. On a fait beaucoup de tests différents, la seule chose que j'ai imposée, c'est que je voulais que la caméra soit tenue à la main.

Travaillez-vous actuellement sur un nouveau projet ?

Oui, d'une part il y a un scénario que j'écrivais en même temps que The Party, sans savoir lequel des deux se concrétiserait en premier, et d'autre part, la réaction des spectateurs à The Party me donne envie de faire une nouvelle comédie. On a tous tellement besoin de rire, donc en ce moment je me demande sans cesse "quel sujet grave et terrible je pourrais bien tourner en dérision cette fois ?" (rires).

Entretien réalisé le 05 septembre 2017. Un grand merci à Isabelle Duvoisin à l'équipe d'Eurozoom.

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par Gregory Coutaut

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