Entretien avec Sabrina Jäger

Entretien avec Sabrina Jäger

Primée au dernier Festival Cinéma du Réel, la jeune Allemande Sabrina Jäger signe avec Hier Sprach der Preis un documentaire étonnant. Jäger raconte les derniers jours d’un grand magasin de bricolage qui va fermer. Quotidien tragi-comique, employés désabusés, clients horribles : Jäger varie les tons avec talent et donne une dimension humaine à la sinistre fermeture d’un entrepôt. FilmDeCulte vous fait les présentations.

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Quel a été le point de départ de votre film ? Qu’est-c e qui vous a intéressée dans cette histoire ?

J’ai entendu parler aux infos de la fermeture immédiate d’un magasin de bricolage Praktiker. Ce magasin est juste à côté du village de mon enfance, à Bruchsal, et les souvenirs me sont revenus d’un coup – il est là depuis 35 ans. J’y allais enfant avec mon père. Je connais beaucoup de gens qui y ont été employés et qui viennent de ma ville. Lorsque j’ai appris la nouvelle de l’insolvabilité du magasin, j’y suis retournée. L’atmosphère, le contraste avec mes souvenirs étaient incroyables : les clients pas très sympas, les employés tristes et énervés, les panneaux colorés signalant les promotions partout, les étagères qui se cassent la figure, et cette joyeuse musique de fond. Je l’ai su immédiatement : je devais suivre ce qui se passe avec ma caméra. C’était une opportunité unique, parce que tout cela allait bientôt disparaître. Et les travailleurs allaient perdre leur seconde maison.

Les événements décrits par le film peuvent être durs et tristes. Pourtant, il y a des moments drôles, doux-amers, avec cette horrible musique d’ascenseur qui donne le sentiment que tout se passe bien. Comment avez-vous travaillé sur cet équilibre ?

Ce n’était pas si compliqué parce que finalement le contraste entre ces moments doux-amers étaient déjà là. La musique d’ascenseur par exemple. On l’entendait tout le temps dans le magasin. Ca m’a d’abord étonnée de me retrouver face à ces situations assez drôles dans ce magasin où les gens perdent leur emploi. Mais rien n’est jamais noir ou blanc, la vie est ainsi faite. La tristesse n’est pas la seule conséquence de cette situation. Les deux femmes que l’on voit dans le film ont rapidement accepté leur destin et ont développé une sorte d’humour noir. C’était important pour moi de montrer cet aspect humain, cela donnait de la profondeur au film.

Il y a quelque chose de visuellement impressionnant à voir ce grand entrepôt qui se vide petit à petit. Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous avez voulu filmer ces lieux ?

Pour les deux employées que j’ai filmées, le magasin était comme une seconde maison. Elles étaient contraintes d’assister à la lente désintégration de leur lieu de travail, pièce par pièce, jour après jour. Mais je ne voulais pas seulement me concentrer sur elles – je voulais aussi raconter l’histoire du magasin. Les images des allées désertes et les rayons vides capturaient une véritable atmosphère d’apocalypse. A chaque fois que j’étais là, j’ai bien pris soin de saisir ce vide grandissant avec ma caméra. En fait ce déclin était assez progressif, mais avec le montage on a le sentiment que celui-ci était plus brutal et soudain.

Comment avez-vous réussi à garder les séquences où certains clients ne sont pas montrés à leur avantage ?

On a installé un panneau pour indiquer que les lieux étaient filmés à l’entrée du magasin. Beaucoup de clients sont venus me voir et m’ont demandée de ne pas les filmer – bien sûr j’ai respecté ce souhait. J’ai essayé d’être aussi ouverte que possible, mais il y avait une vraie crispation dans le magasin. Surtout du côté des clients. Beaucoup sortaient du magasin et ne se souciaient pas du tout de la caméra. Il est possible néanmoins que, rétrospectivement, certains se sentent présentés de façon tendancieuse. C’est le danger de tout tournage et je l’accepte en tant que réalisatrice.

Aviez-vous une quelconque influence venant du documentaire ou de la fiction ?

J’ai déjà travaillé par le passé pour des boites spécialisées dans le documentaire – c’est là que j’ai acquis le savoir théorique. Mais je n’ai jamais fait d’école de cinéma ou pris des cours sur l’histoire du cinéma. J’ai lu quelques livres sur la mise en scène documentaire, et je voulais simplement faire un film dans un style qui me plairait. Ca peut être risqué, si personne ne le voit de la même manière que vous – surtout que j’ai tout fait toute seule. Heureusement, beaucoup de spectateurs et de festivals ont apprécié mon travail de composition, cette façon de tourner et de monter, comme je l’ai fait.

Entretien réalisé le 10 avril 2015.

par Nicolas Bardot

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