Entretien avec Roman Coppola
Il n'avait plus réalisé de long métrage depuis une dizaine d'années: Roman Coppola revient avec Dans la tête de Charles Swan III (en salles depuis le 24 juillet). Une fantaisie mélancolique qui met en scène Charlie Sheen dans la peau d'un graphiste de Los Angeles venant de se faire larguer par son grand amour. Nous avons interviewé le réalisateur qui nous parle de son film, de sa famille de cinéma, de Sofia Coppola ou de ses projets de vacances.
FilmDeCulte : Quel a été le point de départ de Dans la tête de Charles Swan III ?
Roman Coppola : Il y a quelques années, j’ai eu envie de faire un film complètement fou. Quelque chose d’inventif, de déchainé, comme on ne l’aurait jamais vu. Le cinéma est une forme artistique tellement ouverte, et il faut tirer avantage de ça. Je voulais essayer quelque chose de totalement fantaisiste qui corresponde à mes préoccupations de l’époque. Je me suis concentré sur le personnage principal, cet homme qui traverse une crise personnelle, qui est assez débonnaire, charmant et beau. Je savais que je voulais le faire évoluer dans le monde du design, dans les années 70. Puis cette histoire de rupture et la façon dont on gère une rupture sont devenues évidentes. A partir de là, la structure éclatée s’est imposée comme l’expression de ce que traverse le personnage principal. Tout cela est parti d’une intuition, de cette envie basique de faire un film un peu fou.
FDC : Vos collaborations avec Wes Anderson vous ont-elles été utiles pour ce nouveau film ?
RC : Probablement. Wes est devenu un ami proche et nos collaborations sont très stimulantes. Nos films sont très différents même si certains éléments peuvent se rapprocher. Pour moi cette impression est aussi due à la présence d’acteurs qui ont joué pour Wes, qu’il s’agisse de Jason Schwartzman qui est mon cousin ou de Bill Murray qui est devenu un ami depuis que Sofia [Coppola, ndlr] l’a dirigé. Ce que travailler avec Wes m’a appris, c’est me questionner sur mon propre style, sur ce qui m’intéresse. Après nos collaborations, je dirais que ce que j’ai appris ne vient pas tant de ce que Wes fait, mais de sa liberté, de la façon dont son travail reflète précisément ce qu’il souhaite accomplir. Toute ma vie j’ai collaboré avec d’autres personnes, en second équipe sur des tournages par exemple, en essayant de comprendre ce que d’autres voulaient. Sur mon film, c’était à mon tour d’exprimer ma propre créativité. Voilà ce que j’ai fait.
FDC : Quand Charles Swan divague, il s'échappe dans des parodies de western ou dans une séquence musicale. Vous avez vous-même grandi dans le milieu du cinéma. Dans la tête de Charles Swan III est-il, en quelque sorte, un film sur le cinéma, dont l'imaginaire est nourri par le cinéma ?
RC : Il est difficile pour moi de répondre à ce type de question. Pour moi c’est à ceux qui voient le film de le dire. Je peux dire effectivement que le film exprime un amour du cinéma, notamment du cinéma de genre des années 30 et 40, du western, des serials, des films hollywoodiens musicaux et dansés. Ce sont des choses que j’aime, qui m’inspirent. Le film se déroule quelque part dans les années 70 où il y avait un grand amour pour l’art déco et l’imagerie hollywoodienne, des Marx Brothers aux films de Fred Astaire et Ginger Rogers. Et cela se voit dans le film. Le personnage de Dans la tête de Charles Swan III souffre et a besoin de s’évader. Lors de la Grande Dépression, les longs métrages qui sortaient alors étaient des divertissements étincelants, enjoués, imaginatifs. Un pays en dépression s’évade dans la fantaisie. Un personnage déprimé s’évade dans la fantaisie.
FDC : Parmi vos comédiens vous dirigez Patricia Arquette, qui fait son retour au cinéma après une longue absence. Pourriez-vous nous parler de votre envie de tourner avec elle ?
RC : Patricia, comme Charlie, Jason et Bill, fait partie de mon entourage. J’ai rencontré Charlie quand on était encore des gosses, sur le tournage d’Apocalypse Now. Bill, comme je vous l’ai dit, est quelqu’un que je connais depuis des années puisqu’il a tourné avec Sofia et Wes, Jason fait partie de ma famille et donc de ma vie depuis toujours. Et Patricia a été mariée à l’un de mes cousins, et elle fait partie de ma vie. Nous sommes amis. Ce qui est important quand on tourne avec quelqu’un, c’est cette confiance mutuelle. C’est un film assez inhabituel donc j’avais besoin de ce soutien. L’esprit du film correspond assez à celui des films de Cassavetes. J'ai utilisé les gens qui m’entourent, les vêtements qui sortent de mon placard, la maison de Charlie qui est ma maison, son bureau qui est mon bureau, les invités de sa fête qui font partie de son monde font aussi partie du mien. Il y a quelque chose de très intime là-dedans.
FDC : Dans The Bling Ring, Sofia Coppola filme des adolescents qui vivent dans un monde de fantaisie coupé de la réalité avant que celle-ci ne les rattrape. Dans la tête de Charles Swan III reste dans l'imaginaire, la fantaisie, jusqu'au générique de fin inclus. Pouvez-vous nous parler de ce choix, de ce parti-pris ?
RC : Disons que ça n’est pas évident pour moi de faire des liens entre le film de Sofia et le mien. Même si ça me fait plaisir qu’on fasse nos films, qu’ils sortent et que les gens ensuite y voient un lien auquel on n’aurait nous-mêmes pas pensé. Je n’y ai pas pensé mais j’accueille avec plaisir les remarques de ce type. En ce qui concerne mon film et le générique de fin en particulier : celui-ci est inspiré par le générique de Candy de Christian Marquand, où le « quatrième mur » est brisé. On voit les acteurs et le réalisateur lui-même dire au-revoir. Dans Charles Swan…, il y a une rupture avec la narration, on me voit, les acteurs parlent directement à la caméra, et on quitte la pure fiction. Cette révérence, ce salut de l’équipe, de notre compositeur Liam Hayes qui a fait un boulot énorme, c’était quelque chose de sympa. C’était un moment spécial aussi pour les techniciens. Tous les films devraient finir comme ça ! Il y a quelque chose de très charmant dans cette idée. Et puis aussi il y a une note de tristesse dans le dénouement, dans le rapport entre Charles et son ex. Mais dans le générique de fin, Charlie Sheen et Katheryn Winnick se tiennent la main, disent « Je suis Charlie Sheen, je suis Katheryn Winnick », et ce moment a quelque chose de charmant. Les deux personnages ont rompu mais se réunissent ici dans cet esprit de célébration.
FDC : Quels sont vos projets ?
RC : Mon nouveau projet c’est prendre du temps pour ma famille et moi, me relaxer, profiter de l’été, de rêvasser un peu. J’ai toujours des projets sur le net, pour la télévision, par contre je n’ai pas encore de projet concret pour le cinéma. Je m’accorde encore un peu de temps avant qu’une idée ne jaillisse.
Entretien réalisé le 27 juillet 2013. Un grand merci à Anaïs Monnet.
