Entretien avec Robin Campillo

Entretien avec Robin Campillo

L'un des meilleurs films français de ces derniers mois sort ce mercredi 2 avril en salles. Il s'agit d'Eastern Boys, long métrage qui raconte la rencontre d'un jeune quinqua français avec un jeune homme venu de l'est. Complexe et passionnant, Eastern Boys ne va jamais là où on l'attend. Collaborateur de Laurent Cantet et réalisateur des Revenants, Robin Campillo nous parle en détails de son nouveau film...

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Quel a été le point de départ de Eastern Boys ?

Au départ d'un projet, il y a souvent d'autres projets. Il y a quelques années, j'avais écrit un scénario où un homme gay rencontrait un autre homme dans une espèce de baraque abandonnée non loin d'une calanque, dans le sud-est de la France. Entre les deux hommes se nouait une relation en perpétuelle mutation : on passait d'un rapport de méfiance à la promesse d'un rapport sexuel tarifé. Le type de la baraque, un ancien casque bleu portugais, se montrait parfois menaçant, parfois bon camarade, parfois provocateur, n'hésitant pas à s'exhiber pour exciter son hôte. Ce personnage s'est sans doute scindé en deux au fil du temps pour donner les personnages de Boss et de Marek dans Eastern Boys.

Le film passe du documentaire au home invasion à la romance puis au thriller. Comment avez-vous abordé cet acrobatique mélange des genres ?

Je pense rarement en termes de genres, mais plutôt en termes de perspectives ou de formes musicales. J'avais dans l'idée de faire quatre parties dont chacune serait comme un monde, avec ses règles, son rythme et dans lesquelles les cartes des personnages seraient redistribuées, ainsi que les rapports de force qui s'instaurent entre eux. La première partie est un chaos original où la bande de jeunes hommes de l'est est comme un chœur dont on observe de loin la pantomime un peu bizarre. L'invasion domestique qui suit est une fugue où chaque personne qui pénètre dans l'appartement est une ligne qui se superpose à l'autre et qui se résout dans un ballet pour le coup réellement musical. La troisième partie est une suite de duos entre Daniel et Marek avec quasiment comme unique décor l'appartement. Enfin la dernière partie dans l'hôtel est pensée comme un moment d’heroic fantasy, où le duo de la troisième partie se confronte au groupe de l'ouverture du film, où l'intime et le collectif se bousculent l'un l'autre.

Comme dans Les Revenants, Eastern Boys montre des existences rangées qui sont perturbées par des invités qu’on n’attendait pas. Cela fait-il sens à vos yeux de tracer un tel parallèle entre vos films ?

Oui, mais en réalité ce qui m’intéresse dans l’idée de l’invasion par des étrangers, ou des morts comme étrangers, ce n’est pas qu’elle perturbe le quotidien de mes personnages, mais plutôt qu’elle en révèle l’étrangeté, elle déjoue le petit théâtre de la sédentarité, des rituels journaliers. Daniel n’est plus le même homme après le cambriolage de son appartement, comme si le passage des garçons de l’est, en le dépossédant, en mettant à nu son quotidien, avait ouvert en lui la possibilité de se réinventer lui-même. Comme si la menace qui avait pesé pendant toute la scène de la fête s’était renversée en une promesse inattendue.

A-t-il été compliqué de constituer le casting du film ?

J'ai eu la chance de devoir reculer le tournage d'une année et de prendre ainsi le temps de chercher les acteurs principaux. J'ai pensé assez vite à Olivier Rabourdin pour le rôle de Daniel, en revanche les rôles de Marek et Boss ont demandé plus de recherches. J'ai cherché les interprètes pendant près de neuf mois sur internet. J'ai vu pas mal de films russes, pas tous très bons d'ailleurs et je suis tombé assez vite sur Daniil Vorobjev qui m'intéressait au départ pour le rôle de Marek. Malheureusement je me suis aperçu que les films où je l'avais remarqué avaient déjà 5 ou 6 ans et qu'il était donc plus âgé que ce que j'avais imaginé, c'est à dire plus de trente ans alors que je cherchais un garçon entre 20 et 25 ans. C’est alors que j’ai découvert Kirill Emeliyanov qui m’a tout de suite séduit avec son jeu à la fois naturel et énigmatique. Par la suite, comme je ne trouvais personne pour le rôle de Boss, mes directrices de casting, Sarah Tepper et Leïla Fournier m'ont suggéré de demander à Daniil Vorobjev de faire des essais pour ce personnage. Daniil s'est donc filmé chez lui à Moscou et son interprétation, alors que je n'avais même pas eu l'occasion de discuter avec lui, s'est révélée stupéfiante.

Le film n’impose pas de morale, jusqu’à son dénouement. En quoi cela était-il important pour vous ?

J'avais envie d'une fiction suspendue à la frontière entre le licite et l'illicite, avec des personnages plongés dans des situations moralement indécidables. Dans le film, tous les personnages sont des clandestins, voire des "illégaux", mais ils ont tous aussi leur forme de légitimité et ce sont ces légitimités qui s'affrontent au cours du film. De fait, je ne tiens pas à imposer ma morale au spectateur car je dérive autant que lui au fil du film.

Eastern Boys est un film assez atypique. Y a-t-il néanmoins des longs métrages qui vous aient servi de référence lors de la conception du film ?

Dans le cinéma, les films sont hantés perpétuellement par d'autres films. Dans ce film-là, parmi les fantômes que je pourrais citer - et ils sont nombreux - je parlerai des fantômes de Resnais. J'ai revu Mon oncle d'Amérique à la télé et je me suis aperçu que l'appartement de mon film ressemblait beaucoup à un labyrinthe de laboratoire où mes deux acteurs principaux se perdent, se cherchent et apprennent à survivre ensemble. Le moment à la fin du film où Boss revient dans l'appartement vide est sans doute aussi inspiré par la fin de Muriel ou le temps d’un retour où un personnage que l'on n’avait pas vu auparavant surgit dans la maison que les protagonistes ont désertée.

Quels sont vos projets ?

Je travaille sur deux projets : un film d'anticipation qui se nomme Maison Alpha et un projet autour d'Act Up, le groupe de lutte contre le sida.

Entretien réalisé le 29 mars 2014.

par Nicolas Bardot

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