Entretien avec Radu Muntean

Entretien avec Radu Muntean

Avec L’Étage du dessous, le Roumain Radu Muntean signe un vrai-faux polar à la fois subtil et tendu. Remarqué au Festival de Cannes, le film sort ce mercredi 11 novembre au cinéma. Nous avons rencontré son réalisateur.

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L’Étage du dessous marque une nouvelle collaboration avec vos co-scénaristes Alexandru Baciu et Razvan Radulescu. Comment vous repartissez-vous le travail d'écriture à trois?

Tout d'abord on parle beaucoup, et il nous faut parfois des mois pour arriver à nous mettre d'accord sur ce que nous souhaitons dire, pour mettre nos points de vues en commun. Une fois les scènes écrites, nous nous les repartissons pour les développer dans notre coin, mêmes si chacun intervient sur les scènes des autres. En tout, nous n'avons pas besoin d'écrire plus de deux ou trois versions du scénario. Nous sommes d'ailleurs en train de discuter de notre cinquième film ensemble, et c'est de loin le plus difficile ! Peut-être à cause du sujet. Au début, cela devait traiter de parentalité, mais on se rapproche de plus en plus du point de vue de l'adolescence. A suivre.

Comme dans vos films précédents, vous privilégiez ici des scènes de dialogues surprenantes: les conversations de vos personnages ont l'air superficielles mais elles révèlent toujours une forte tension, comme si chacun craignait de parler de ce qui le travaille réellement. Comment travaillez-vous ce suspens paradoxal?

Et encore, il y a beaucoup moins de dialogues dans L’Étage du dessous que dans mes précédents films. On ne peut pas dire qu'il n'y ait que de l'action non plus, mais je tenais à ce que les personnages soient définis à travers leurs actions avant tout. Cette tension vient en partie de l’écriture, et pour chaque scène tout dépend du contexte. Si vous prenez la scène de la rencontre dans l'escalier, où les protagonistes parlent de voitures : hors contexte, cette discussion est un peu plate, mais une fois replacée dans le reste du récit, elle prend toute sa tension.

Créer de la tension, c'est plutôt une question d'écriture ou de mise en scène, selon vous?

Construire de la tension est fondamental, mais pas seulement au moment de l'écriture, c'est aussi une question de mise en scène. Pour moi la tension ne doit pas nécessairement grandir et exploser à l’intérieur d'une même scène, c'est un processus qui s'étale sur tout le film. Si je privilégie les scènes longues, c'est que j'aime tourner en temps réel, afin que le spectateur puisse faire concrètement la même expérience que les personnages.

J'imagine que vous faites beaucoup de répétitions en amont ?

Oui, tout d'abord dans le but de maîtriser le texte. Puis avec les acteurs nous discutons beaucoup du sens de chaque scène. Puis nous faisons d'autre répétition pour caler les déplacements d'acteurs ainsi que les mouvements de caméra (même si je ne filme alors qu'avec mon iphone) et enfin nous faisons une dernière salve de répétitions sur les lieux de tournage. Au moment du tournage, le film est déjà entièrement prêt dans ma tête et dans mon iphone ! Je tiens à travailler avec autant de précision, mais je tiens quand même à laisser une petite place à l'imprévu, sinon on court le risque d'obtenir un résultat en-deçà des répétitions, ce qui peut être très décevant.

Vous ne découpez jamais vos scènes en champ-contrechamp. Comment envisagez-vous alors l'étape du montage ? Quelle marge de manœuvre vous laissez-vous pour apporter des modifications ?

Au moment d'entamer le montage, le film est quasiment déjà fini dans ma tête. Je choisis de faire un travail de précision, et cela exige de faire beaucoup de répétitions. J'ai besoin de connaître à l'avance chaque mouvement de personnage car dans des prises aussi longues, le moindre petit déplacement subtil attire immédiatement l'attention, et influence l'attention du spectateur. En quelque sorte, c'est presque du montage avant le montage, car je tiens à bâtir les scènes en fonction de ces variations, comme une chorégraphie. Des fois le spectateur va s'attacher à un détail mis en avant, puis revenir à la scène dans son ensemble. Mais je ne veux pas générer cela avec du montage, en tant que réalisateur je souhaite demeurer le plus invisible possible, d'être le relais le plus discret entre le spectateur et l'histoire. Je tiens à ce que chaque spectateur puisse conserver son propre point de vue, je ne veux rien imposer.

L'image est par moments étonnamment lumineuse, comme un contraste visuel des tourments intérieurs des personnages. Comment avez vous travaillé avec votre chef opérateur ?

Nous nous connaissons depuis que nous sommes gamins. Nous travaillons ensemble depuis la fac de ciné, et nous sommes très proches. Nous nous sommes mis d'accord sur une lumière effectivement franche et forte, mais qui ne proviendrait que d'une seule source. Très concrètement, nous avons beaucoup étudié les bâtiments dans lesquels nous allions tourner, pour savoir à quelle heure de la journée le soleil passerait par la fenêtre! Le plan qui sert pour l'affiche du film, où l'on devine les nuages et le soleil qui se reflètent en alternance sur le visage du protagoniste, est né de cette recherche. Ces nuages qui défilent, on ne pouvait pas les prévoir mais on a tout fait pour les avoir.

D'où est venue la métaphore du somnambulisme ?

De ma propre vie. A un moment, mon fils faisait des crises de somnambulisme, à cause de tous les jeux vidéos auxquels ils jouait. Mais bien sûr, une fois dans le film, cela prend une valeur symbolique très forte. Mais c'est aussi le cas d'autres personnages, comme le voisin qui pousse toujours le protagoniste à la réflexion. Dans les deux cas, c'est un peu comme si sa propre conscience s'exprimait à travers les autres. Comme quoi on ne peut pas échapper à sa conscience, c'est ce qu'il faut comprendre.

A propos de récit métaphorique, un film comme Aferim! a récemment obtenu un écho inattendu auprès du public roumain. Quelle est la situation en salles pour les film d'auteurs roumains?

En Roumanie, les spectateurs privilégient le divertissement. Les gens n'ont pas forcément envie d'aller voir des films qui leur rappellent leurs problèmes. Cela change dans le cas où le film gagne un prix important en festival.Aferim! a bien marché, c'est effectivement en partie à cause du prix de la mise en scène à Berlin mais aussi surtout à cause du sujet. La conditions des Rom est un sujet très important en Roumanie. Mais en général, ce genre de film ne fait pas long feu en salle, ils trouvent leur public sur la longueur grâce au dvd. Mon type de cinéma n’intéresse pas vraiment les foules au moment de sa sortie.

Entretien réalisé le 4 novembre 2015. Un grand merci à Robert Schlockoff et Betty Bousquet.

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par Gregory Coutaut

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L’Étage du dessous - notre critique du film

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