Entretien avec Paula Markovitch

Entretien avec Paula Markovitch

Découverte en tant que scénariste des films du Mexicain Fernando Eimbcke (Temporada de patos, Lake Tahoe), Paula Markovitch vient de réaliser son premier long métrage, El Premio, remarqué à Berlin et Paris Cinéma. Nous l'avons rencontrée.

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FilmDeCulte : El Premio est votre premier film en tant que réalisatrice mais vous avez auparavant longtemps travaillé comme scénariste. Comment ces expériences vous ont-t-elle préparée ou aidée sur ce projet ?

Paula Markovitch: Cela fait des années que j’écris. Depuis que j’ai eu l’âge de Cecilia, à vrai dire. J’ai écrit pour différents médias : pour le cinéma, la radio, le théâtre. Il se trouve simplement que Temporada de patos et Lake Tahoe sont mes deux œuvres les plus connues. Et pour moi, El Premio s’inscrit dans la lignée de Lake Tahoe, dans le sens où j’y parle à nouveau des orphelins et de leur douleur. Juan, le personnage principal de Lake Tahoe, est presque passif. Ce n’est qu’un enfant qui tente de fuir une douleur qu’il ne comprend pas, un être presque ivre de douleur. Cecilia, par contre, a une réaction plus énergique face à cette souffrance. Elle ne se laisse pas faire, elle cherche des réponses… elle rit, même !

FDC : Vous avez déclaré que El Premio est basé en grande partie sur des événements autobiographiques. Si certaines scènes semblent recréer certains souvenirs avec précision, vous ne donnez pourtant que très peu de détails sur la situation politique du récit, vous ne faites jamais de référence précise à tel événement ou tel personnage célèbre. Pouvez-vous nous parler de ce contraste ?

PM: Je considère que l’Histoire mondiale c’est uniquement l’addition des millions et des millions de petites histoires que vivent les gens. Pour moi, la "grande Histoire" ça n’existe pas vraiment. Je n’avais pas pour but de parler d’un passage de l’Histoire mais de relater une expérience personnelle. La violence et la cruauté du monde peuvent se manifester de bien des manières. Lors d’un crime, quel qu’il soit, il y a des signes évidents, tels que le sang de la douleur. Mais cela peut aussi se répercuter et se retrouver sous des aspects en apparence plus anodins, comme par exemple dans l’amitié entre deux fillettes de sept ans. Je crois que nos âmes ne sont jamais définitivement en sureté, la cruauté du monde peut pénétrer dans nos rêves et dans nos cœurs.

FDC : La nature joue un rôle fondamental dans votre film. Comment avez-vous trouvé ces différents lieux et décors (la maison, l’école, la plage…)? Quelle importance souhaitiez-vous leur donner ?

PM: J’ai passé toute mon enfance dans cette ville de San Clemente. J’ai fait ma scolarité à l’école qu’on voit dans le film. Ma maison ressemblait à celle de Cecilia, face à la mer, et servait de bar en été. C’était vraiment les décors rêvés pour le film, je n’aurais pas pu le tourner ailleurs. Ces paysages me font retomber en enfance, et étrangement, je m’y sens moi-même un peu orpheline. Et même temps, le fait que le vent et la tempête puissent rentrer dans cette maison laisse les personnages du film sans abri, et crée une atmosphère générale de découragement. Ils se retrouvent nus, exposés face à ce vent qui leur glace le sang.

FDC : Le silence est tout aussi fondamental dans El Premio. Les différents bruits de la nature mettent en relief l’absence de dialogues et d’explications chez les adultes. Comment avez-vous travaillé cet aspect-là ?

PM: Tout le travail sur le son a découlé de celui sur la musique, qui a été fait en amont. Mon compositeur, Sergio Gurrola, inventait les morceaux pendant que j’écrivais le scénario. Du coup, la musique était déjà présente tout au long du tournage. On a appréhendé le travail du son selon un angle précis : il fallait que les sons de l’extérieur (le vent, la radio, tous les différents paysages sonores) se retrouvent également à l’intérieur. Et ce sont ces bruits qui justement réduisent les personnages au silence. Il leur est tout simplement impossible de s’exprimer face à une tempête aussi puissante.

FDC : Comment avez-vous travaillé avec votre jeune actrice principale ? Comment êtes-vous parvenu à la rendre si naturelle ? Discutiez-vous avec elle du contexte politique de l’histoire ?

PM: Dans mon travail avec les enfants pour le film, j’ai eu une alliée de choix : ma collaboratrice et grande amie Silvia Villegas. Je dirigeais les acteurs principaux, Laura Agorreca, Uriel Iasillo et la petite Paula Galinelli Hertzog, et elle dirigeait tous les autres enfants, c’est à dire « la classe ». Je voyais un peu cette classe comme un chœur antique, et je ne voulais surtout pas tomber dans les travers de la standardisation industrielle du cinéma : il était absolument hors de question de les considérer comme de simples figurants ! Ça non ! Mon but était clair : je voulais montrer que cette classe était vivante, ce n’est pas juste un décor : ce sont de vrais enfants, qui vivent et qui respirent. En ce qui concerne les protagonistes (Cecilia, Silvia et Walter), ma méthode consistait simplement à leur faire entièrement confiance. Pour moi, un réalisateur doit faire confiance aux artistes qui l’entourent, quel que soit leur âge. Je considère ces jeunes acteurs avant tout comme des artistes. J’ai été très claire avec eux sur le contexte du récit. Pour moi il n’y a pas de différence entre travailler avec des adultes ou des enfants, je m’y prends de la même manière. On entend parfois dire que les enfants ont beaucoup de facilités avec le jeu, et que pour cette raison ils peuvent facilement « jouer la comédie », et il y a d’autres personnes qui disent qu’un film est le résultat d’un véritable travail d’équipe, dont le sérieux est difficile à appréhender pour des enfants. Pour moi, l’art n’appartient à aucune de ces deux catégories. L’art n’est pas un jeu, et l’art n’est pas un travail. Un jeu, c’est forcément sans contrôle et surtout sans conséquences, et un travail c’est forcément tiède. Pour moi, l’art est moins un travail qu’une discipline qui permet d’évoluer et d’explorer. Je veux que mon art transcende le jeu ! Qu’il n’ait ni la tiédeur ni la monotonie du travail. Les enfants savent aussi bien que les adultes que ce n’est pas drôle de travailler ! Dès le début de mon travail avec la petite Paula, j’avais énormément confiance en elle, en sa force et en son talent. J’ai essayé de lui donner à son tour confiance en elle en tant qu’artiste (et non pas en tant qu’enfant) pour relever le défi qu’on s’était lancé : celui de faire ce film.

FDC : El Premio est-il sorti en Argentine ? Si oui, comment a-t-il été accueilli par le public ? Les Argentins sont-ils plus à l’aise aujourd’hui avec ce sujet ?

PM: Le film n’est pas encore sorti en Argentine, et il m’est difficile d’anticiper la réaction du public. Mais jusqu’à présent, les spectateurs Argentins qui ont pu voir le film ont réagi avec beaucoup d’émotion. Certains ont même eu l’impression qu’il racontait leur propre vie.

FDC : Savez-vous si le film sortira en France ?

PM: Pour l’instant il n’y a pas de date de sortie prévue, mais je serais particulièrement heureuse que mon film sorte chez vous.

FDC : Quels sont vos prochains projets, en tant que scénariste ou réalisatrice ?

PM: J’écris énormément, j’ai plusieurs histoires sur le feu. J’ai notamment pour projet un nouveau film, basé sur la vie de mon père. C’était un artiste, qui a vécu et créé dans un contexte de marginalisation politique et économique la plus totale.

par Gregory Coutaut

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