Entretien avec Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Entretien avec Olivier Ducastel et Jacques Martineau

C'était l'un des sommets de la Berlinale : les réalisateurs français Olivier Ducastel et Jacques Martineau signent leur meilleur film avec Théo et Hugo dans le même bateau. Ce long métrage (en salles le 27 avril) raconte une formidable histoire d'amour qui débute... dans un sex club. Et cette séquence d'ouverture restera dans les annales. Théo et Hugo dans le même bateau est diffusé ce vendredi 1er avril au Luminor dans le cadre de la reprise des Teddy à Paris. Entretien avec ses réalisateurs...

  • Entretien avec Olivier Ducastel et Jacques Martineau
  • Entretien avec Olivier Ducastel et Jacques Martineau

Après avoir vu Théo et Hugo dans le même bateau, je me suis dit que c'est un film que j'aurais adoré voir étant ado, sans doute à cause de sa façon étonnamment bienveillante et romantique de représenter une découverte sans fard de la sexualité gay. Est-ce que dans votre esprit, le film s'adresse en partie à un public jeune?

Jacques Martineau: Je ne sais pas si on a pensé à ça, mais je dois reconnaître que ce genre d'image de l'homosexualité, ça nous a manqué dans notre propre jeunesse. Bon ça remonte à très loin dans nos cas (rires) mais des représentations de l'amour et de la sexualité homos qui soient un peu positives, ça nous a clairement manqué. Maintenant, est-ce qu'on avait ça en tête en faisant ce film-là? Pas vraiment. On a déjà une interdiction au moins de 16 ans et on s'attend à quelques soucis supplémentaires, donc on imagine que malheureusement le film ne sera pas visible par des adolescents.

Les interdictions aux moins de 18 ans causées par l'association Promouvoir se sont récemment multipliées. Avez-vous eu conscience de cette menace lourde dès le début du projet?

Olivier Ducastel: Oui, on était en montage au moment de la sortie de Love, mais il y avait déjà eu des précédents. C'est une chose sur laquelle on a blagué assez tôt avec notre producteur, mais ce n'est pas resté une blague longtemps, puisque le financement du film en dépendait. On a eu conscience très tôt qu'on n'aurait pas de chaînes hertziennes, le producteur n'a même pas perdu son temps à leur envoyer le scénario. Ensuite, j'ai tendance à oublier un peu ces questions de censure, de classification... A 15 ans, quand j'étais au lycée, je pense que je n'avais pas vu de pornographie même hétérosexuelle. J'avais uniquement vu des photos anatomiques dans des livres scolaires. Bon, c'était un temps très, très, très ancien...

Jacques: Il y avait les photos exposées à l'extérieur des cinémas pornos. Elles étaient un peu cachées mais on allait regarder quand même.

Olivier: Moi je n'allais pas les voir! Il me semble qu'a un moment donné du travail sur ce film, j'ai imaginé qu'il pouvait aussi être vu par des ados. Mais pas de façon très rationnelle. Après, bon je ne sais si je dois raconter ça. On rentre juste de Londres, hier on avait une projection à 14h au British Film Institute. A cet horaire-là, c'était vraiment une projection pour retraités. A la fin de la séance, on a parlé avec deux messieurs très, très âgés qui, sans le formuler exactement, nous ont fait comprendre que c'était le genre de film qu'ils attendaient de voir depuis qu'ils étaient ados. Ce rapport à l'adolescence, c'est en fait le rapport à ce moment de découverte de son homosexualité, le besoin de se construire des images. Plus les gens sont âgés, plus cette période a été compliquée pour eux.

Jacques: Mais c'est épatant, d'envisager le film comme un film pour adolescents.

Olivier: Bon après, de là à organiser des sorties scolaires...(rires)

Quand j'étais ado dans les années 90, c'était l'époque du new queer cinema : on pouvait trouver des représentations réalistes de la sexualité gay, mais c'était rarement accompagné d'une vision pleine d'espoir. C'était des films qui cherchaient au contraire à témoigner d'un vécu difficile. Aujourd'hui on voit nettement plus de films positifs, surtout sur des personnages jeunes, mais on y voit plus rarement du sexe cru. Votre film est singulier dans le sens où il combine les deux.

Jacques: On a simplement la chance d'arriver au milieu des années 2000: je pense qu'aujourd'hui pour parler d'homosexualité on n'a plus besoin de passer par du tragique ou du trash. A un moment donné, il y a eu besoin de cette dimension un peu scandaleuse et sulfureuse, parce que l'image en elle-même faisait peur, et les réalisateurs eux-mêmes en avait peur. Aujourd'hui on peut se permettre davantage, même si on sait que derrière on va avoir des problèmes de censure. C'est peut-être aussi dans ce sens que ce serait intéressant de montrer le film à des adolescents, parce que c'est loin de l'image pornographique d'internet qui est assez violente. La sexualité du porno est rarement joyeuse. Ce n'est pas une sexualité qui peut raconter des histoires d'amour.

Une scène de sexe aussi réaliste que celle qui ouvre le film, qui parvienne aussi à rendre palpable la dimension affective impliquée, c'est quelque chose qu'on ne retrouve peut-être que dans le porno queer alternatif.

Olivier: On ne connaît pas très bien tout ça. On ne s'est pas immergés dans le porno pour préparer le film. Il se trouve qu'on a pu voir des pornos un peu arty, de façon marginale, souvent dans des festivals gay et lesbien, mais malgré tout, ces films restent dans la grammaire pornographique: ils n’échappent pas aux inserts, aux angles bizarres pour qu'on voit mieux... Voir du porno classique ou alternatif nous a surtout servi à identifier la grammaire cinématographique qui différencie d'emblée la pornographie du cinéma classique. On souhaitait n'avoir aucun interdit concernant la sexualité de nos personnages, mais on ne voulait surtout pas rester figé dans un état d'excitation.

Donc la frontière avec le porno, c'est une question de mise en scène?

Jacques: De point de vue. De regard. Quand le sexe arrive dans notre film, c'est toujours à travers le regard des personnages: c'est parce que Théo regarde Hugo en train de faire l'amour avec l'autre garçon que tout d'un d'un coup on voit son sexe en érection. Cela fait que l'on voit son sexe comme un élément de désir amoureux plutôt que comme un fétiche de film porno. Cela tient aussi beaucoup aux comédiens, bien sûr. Dans cette scène-là, ils jouent déjà quelque chose de l'ordre de la rencontre amoureuse, ils ne sont pas juste là pour exécuter un numéro pornographique.

Olivier: Ce qui est intéressant, c'est que dans le porno aussi, les acteurs jouent un rôle. Un peu comme les mannequins qui défilent en faisant la gueule pour mettre en valeur leurs vêtements. Les acteurs pornos font la gueule pour mettre en valeur l'acte sexuel parce que c'est ça qui excite. J'ai vu un film indépendant américain qu'on m'avait présenté comme un porno romantique, ou plutôt comme un film romantique incluant la sexualité: I Want Your Love. J'ai trouvé ça très intéressant mais c'était un peu l'inverse de ce qu'on m'avait dit: il y avait d'un côté des scènes de romance, et de l'autre des scènes pornos, mais ces deux aspects ne se rencontraient jamais. Les scènes pornos étaient très bien, pas trash, mais elles obéissaient toujours à cette grammaire cinématographique propre à la pornographie. Ce n'était pas du tout ce qu'on voulait faire, et ça nous a confortés dans notre démarche.

Vous vouliez montrer des personnages non seulement désirables, mais désirants... est-ce qu'on peut formuler ça de cette manière?

Olivier: Tout à fait. On a travaillé là-dessus dès la phase d'écriture. On avait écrit pour cette scène de sexe non pas un scénario mais une narration très précise de tout ce qui se joue pour chacun des personnages à partir du moment où on les découvre dans cet endroit. Chaque enjeu y était précisé: par exemple comment le désir d'un garçon pour un autre garçon peut éveiller le désir d'un troisième garçon, ou comment le fait de se sentir désiré par un voyeur rend ce dernier désirable à son tour. Très tôt on a su qu'on n'aurait pas le luxe de pouvoir faire des répétitions sur le lieu de tournage ou avec les techniciens. On a donc tout décortiqué et réécrit avec les acteurs, et ça a remplacé en quelque sorte les répétitions. Au final, il me semble que c'est tout à fait le genre de scénario qui peut avoir lieu dans ce type d’endroit. Je me suis rendu compte que j'ai adoré faire ce travail dramaturgique car c'était presque dénué de dialogues. Quand les scènes sont dialoguées, j'ai tendance à penser qu'il suffit de les jouer, inutile de faire un découpage psychologique.

Un travail complètement différent de celui sur la deuxième partie, j'imagine.

Olivier: Complètement! Pour le deuxième partie, on a fait un travail préparatoire qui était purement mécanique, dans l'espace. On a beaucoup refait les trajets des personnages avec le chef-opérateur, qui trouvait parfois que telle ou telle rue manquait de lumière, ce genre de chose. Sans nous le dire, les acteurs ont fait la même chose de leur côté, et ils nous ont fait remarqué quelques incohérences dans l'itinéraire qu'on avait prévu. Au final, il y a quelques toutes petites tricheries sur l'espace. Les deux acteurs étaient vraiment au taquet: ils savaient que le tournage serait très court et à chaque répétition ils étaient prêts comme pour une représentation. On avait parfois envie de les pousser dans certaines directions de jeu, il n'y avait pas d'improvisation à proprement parler mais on a laissé le maximum de place à l'imprévu.

Laisser la place à l'imprévu, c'était justement le leitmotiv de Jacques Rivette, auquel le titre de votre film fait référence. Quel est votre rapport à son cinéma?

Olivier: En fait il y a une histoire amusante sur la filiation du film a la nouvelle vague. Clairement, on pensait beaucoup plus à Cléo de 5 à 7 d'Agnès Varda. A un stade de l'écriture, on s'interrogeait sur la temporalité à donner au récit: au départ il était prévu que l'histoire s'étale sur une nuit entière, puis dans une autre version ça devait durer 28 jours. J'ai vu le film britannique Locke, et je me suis dit que le temps réel, c'était quand même vachement bien! On a revu Cléo et on s'est dit dit que cette contrainte servirait parfaitement nos personnages. Notre producteur trouvait que ce n'était pas du tout une bonne idée d'appeler le film Théo de 4 à 6, il trouvait que ça faisait trop blague. Mais il voulait un titre avec les deux prénoms des protagonistes, et on a fini par trouver celui-ci.

Jacques: Qui fait tout aussi blague!

Olivier: Oui, c'est pas mieux. Et c'est après ça que j'ai pensé à Rivette. J'ai vu Céline et Julie vont en bateau il y a très longtemps, donc s'il y a des résonances, ce serait d'avantage le fait d'une imprégnation souterraine. J'ai d'avantage pensé à L'Amour fou ou Paris nous appartient. Ces images d'un Paris désert, qui n’existait déjà plus au moment où j'ai vu le film, m'avaient complètement fasciné.

Jacques: On ne travaille pas du tout comme ça, dans la référence. Ce n'est qu'une fois le film fini que j'ai vu que notre rapport à Cléo de 5 à 7 était beaucoup plus étroit que ce que je pensais!

Olivier: J'ai quand même envoyé un message à Rosalie Varda: "Dis à Agnès que cette fois c'est davantage à elle qu'à Jacques Demy qu'on pensera pendant le tournage".

Jacques: Je l'imagine se demander pourquoi on a pensé à elle, en voyant les vingt premières minutes (rires).

Je voulais revenir sur les choix esthétiques que vous avez faits pour la mise en scène de cette scène d'ouverture, justement. La musique, les couleurs, tout ressemble effectivement à ce qu'on pourrait trouver dans ce genre d'endroit... mais en mieux!

Jacques: C'est clair, on est quand même dans une exacerbation du réel. Dans le réel c'est platement rouge, la lumière n'est pas travaillée, c'est moche. L'idée géniale de notre chef opérateur c'est d'avoir rajouté de la lumière bleue en contre-jour.

Olivier: Le lieu est très petit, c'était très compliqué d'y installer des projecteurs et on avait très peu de temps pour tourner. C'est le chef opérateur qui m'a convaincu que le temps qu'on perdrait à installer la lumière (ce qui nous prenait juste une heure le matin puis le soir) nous permettrait de styliser encore davantage l'image. Le travail autour des images de cette scène s'est vraiment fait à moitié sur le tournage et à moitié à l'étalonnage. L’étalonneur a beaucoup renforcé les contrastes entre le rouge et le noir, entre l'ombre et la lumière, il a beaucoup focalisé l'attention sur le centre de l'image. C'était une expérience assez nouvelle: c'était la première fois que je travaillais avec un étalonneur qui n'était pas seulement un technicien de laboratoire, mais une sorte d'artiste. C'est un plasticien qui sort du Fresnoy, et il a vraiment un rapport de mise en scène à l'image.

Et la musique?

Olivier: On cherchait le type de musique qu'on aurait envie d'entendre dans ce genre d'endroit, et qu'on n'y entend jamais. Dans ce lieu en particulier, il n'y a pas de politique musicale, et ils peuvent passer n'importe quoi: de la musique de dancefloor, de la variété internationale connotée un peu gay, ou alors de l’électro un peu basique. Ça ne pouvait pas du tout être une inspiration. Mais comme dans ce genre d'endroit on s'attend quand même à entendre de l’électro, et que je ne suis pas un spécialiste de ce genre là, j'ai essayé de repérer des trucs. J'habite en face du 104, je suis allé y écouter des choses haut de gamme, trop haut de gamme d'ailleurs. Et puis j'ai appris que le mixeur du film faisait parti d'un collectif de musiques électroniques, je lui ai fait écouter quelques morceaux en guise de pistes, il m'a fait des contre-propositions, c'est comme ça qu'on a trouvé les morceaux que l'on entend dans le film. Quand au morceau d'Asaf Avidan, il est là parce que je tenais à ce qu'il y ait à un moment l'éruption d'une musique plus facile.

Avez-vous l'impression d'avoir réalisé une publicité géante pour ce club, L'Impact?

Olivier: (rires) Je pense que c'est une bonne carte de visite pour eux! Après, il faut que ce qui s'y passe soit à la hauteur de ce qu'attendent ceux qui iront après avoir vu le film. Il y a effectivement des garçons qui y vont pour tomber amoureux, mais ce qui se produit dans le film n'arrive pas tous les soirs. C'est un lieu que je connais, et je me suis inspiré des soirs où il y a un bon feeling. Comme c'est très petit, l’énergie y est hyper palpable, c'est très sympa. Et puis il y a d'autres soirs où, comme dans n'importe quel sex club... ben il suffit qu'il y ait deux gym queens qui fassent la gueule et ça casse toute l'ambiance. Mais la petite taille du lieu joue clairement en sa faveur: ce n'est pas du tout comme ces immenses sex clubs où les gens errent dans des lieux vides en cherchant désespérément quelqu'un. Et puis le fait que ce club soit nudiste tout le temps participe beaucoup à cette ambiance positive.

C'est le lieu que vous aviez en tête dès le départ?

Olivier: Oui, c'est le lieu pour lequel on a écrit. La même scène à deux dans une chambre aurait eu beaucoup moins de force. C'est aussi le seul lieu où on pouvait tourner tout en restant dans l'économie du film, même si ils nous ont demandé une petite note. Ils nous ont vraiment facilité les choses : quand on arrivait le matin à 7 heures, tout était propre!

Ils ont accepté facilement?

Olivier: Oui, mais j'ai eu de la chance parce que je connaissais un peu le gérant à l'époque, et il aime le cinéma, il a d'ailleurs été acteur. La grande inquiétude de ses patrons était que le film donne une image négative du lieu et qu'il soit pro-bareback. Une fois que le gérant à lu notre scénario, il a été rassuré.

Comment avez-vous travaillé l'équilibre et le contraste entre les deux parties du film?

Jacques: C'était calculé sans être planifié. On avait l'intime conviction que ça allait marcher comme ça. La première scène que j'ai écrite, c'est la scène de fin, donc on savait qu'on irait pas au-delà dans l'histoire. C'est quand j'ai demandé à Olivier combien de temps devait durer la toute première scène qu'il m'a décidé spontanément... 20 minutes!

Olivier: Je trouvais que les premières versions du scénario n'étaient pas assez romantique, mais quand on a fait lire l'une d'entre elles à notre producteur Emmanuel Chaumet, il s'est exclamé "oh la la qu'est ce que c'est fleur bleue!". Ouf!

Vos films ont souvent une manière bien à eux, et presque paradoxale, de parler de la maladie et de la mort: c'est quelque chose qui est présent en permanence mais qui n’empêche jamais la légèreté...

Olivier: On essaie dans nos vies d'avoir ce rapport à la mort le plus détendu possible, le moins anxiogène, et cela influe sur notre art. C'est dans ce sens-là que ça fonctionne. Dans mon cas, je sais que c'est très volontariste. C'est un travail.

Jacques: Je n'éprouve aucune fascination pour la mort. Dans l'art, dans le cinéma, je trouve que ce genre de fascination c'est toujours de la pose. Ça fait sérieux, ça fait artiste. On en parle tout le temps dans nos films, mais j'essaie toujours de la mettre en marge. Pour moi, la mort ne fait pas plus partie de l'amour qu'elle ne fait partie de la vie.

Vous avez tourné les scènes d'extérieurs, qui sont pour la plupart très insouciantes, dans les rues qui ont par la suite été frappées par les attentats du mois de novembre. Cela jette une lumière particulière sur le film.

Jacques: C'est au moment du montage qu'on a réalisé. Aujourd'hui, je ne sais pas du tout si on pourrait refaire la même chose. On passe carrément là où a débuté la fusillade, et je ne sais pas si on peut faire comme si de rien n'était.

Olivier: Le moment où Théo passe devant le bar Le Carillon, il se met à avoir des visions fantasmées et cauchemardesques. C'est le lendemain des attentats qu'on s'est rendu compte de cette coïncidence. Si on refaisait le film aujourd'hui, je pense qu'on changerait d'itinéraire. Ça n'aurait pas de sens de faire réagir les personnages artificiellement aux événements qui ont eu lieu, et en même temps on ne peut pas passer devant sans y penser.

Jacques: En tant que personne, j'ai déjà eu du mal à repasser devant, alors que c'est à côté de chez moi.

Olivier: C'est comme la place de la République: après l'attaque de Charlie, le rapport à cette place a beaucoup changé. On ne peut plus y passer avec indifférence. Dans un film de fiction, on ne pourrait plus faire passer un personnage par cette place sans sous-entendu, de la même manière qu'on le faisait avant.

Jacques: Oui mais c'est dans nos têtes. Dans la vraie vie on est bien obligé de marcher comme si de rien n'était. Moi j'y passe tout à fait normalement.

Olivier: Non c'est pas tout à fait vrai, Jacques. Moi j'y passe jamais normalement, sans y penser.

Jacques: Oui mais de l'extérieur tu agis normalement. Tu ne t'arrêtes pas faire une prière. Tu marches comme tout le monde. De toute façon tu vas jamais déposer de fleurs.

Olivier: C'est pas vrai. Je ralentis toujours, moi.

Jacques: J'ai pas de cœur. (rires)

Les brèves scènes de fantasmes dont vous parlez m'ont fait penser à Kenneth Anger et Pink Narcissus. C'est un hasard?

Jacques: Oui, parce qu'en fait c'est encore une référence à Cléo de 5 à 7! Il y a une scène où l’héroïne revoit les personnages qu'elle a croisés, et ces personnages regardent face caméra, comme dans une série de portraits. A un moment, on avait pensé inclure dans cette séquence des images pornographiques, voire des images carrément tirées de vrais films pornos. Et finalement, le résultat est beaucoup plus abstrait, et ça renvoie encore à la question du regard.

Dans la bande-annonce, le nom de chacun d'entre vous apparaît sur le visage d'un des deux acteurs. Là aussi c'est un hasard?

Olivier: (rires) Oui, c'est juste une proposition du monteur! Cette bande-annonce, c'est l'exception qui confirme la règle, puisqu'on dit en général qu'il ne faut jamais confier la bande-annonce d'un film au monteur ou au réalisateur. Là c'est notre monteur qui l'a faite intégralement, et tout le monde en était très content!

Pour terminer: comment finance-t-on aujourd'hui un film aussi risqué?

Jacques: C'est financé par les poches de notre producteur, et c'est tout. C'est son argent, c'est un très petit montant, mais on espère qu'il va rentrer dans ses frais. On a tenté en catastrophe l'avance sur recette du CNC, même si le producteur nous le déconseillait, mais on s'est fait virer au premier tour.

Olivier: Le film s'est fait à crédit. Le producteur a profité du fait qu'il avait d'autres films mieux financés à côté. Quant aux futurs recettes, le film a été vendu dans quelques pays étrangers: États-Unis, Canada, Allemagne, Grande-Bretagne, Pologne. Dans d'autres pays on ira surtout en festivals, ce qui fait quand même des rentrées d'argent pour le producteur.

Jacques: Il faut être clair: les films comme ça, ça ne se finance pas. On peut même dire qu'indirectement, le film est financé par le ministère de la culture et le ministère de l'éducation nationale: je travaille à la fac et Olivier à la Fémis, et comme on a des métiers à côté, on peut se permettre ce genre de risques. Mais faire ce métier pour vivre, c'est devenu quasiment impossible.

Entretien réalisé le 24 mars 2016. Un grand merci à Karine Durance.

par Gregory Coutaut

Commentaires

Partenaires