Entretien avec Nine Antico

Entretien avec Nine Antico

Nouvelle rubrique sur FilmDeCulte ! En plus de nos interviews régulières avec des personnalités du cinéma, nous vous proposons de nouveaux entretiens avec des artistes dont le travail est lié de près ou de loin au 7e art. Première invitée : la Française Nine Antico, géniale auteure de bandes dessinées (dont Coney Island Baby, consacré à la star du porno Linda Lovelace et la pin-up Bettie Page). Nine vient d’illustrer le coffret intégral Eric Rohmer sorti chez Potemkine. Elle nous parle (entre autres) de Rohmer, d'Hélène et les garçons et de Mystic Pizza...

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FilmDeCulte : Comment avez-vous été contactée pour illustrer le coffret Rohmer ?

Nine Antico : Noémie, chez Potemkine, m' a contactée pour faire un test sur Ma Nuit chez Maud. Elle appréciait mes dessins aux crayons de couleurs qui sont exposés par la galerie Art's Factory.

FDC : Et étiez-vous familière de l'univers d'Eric Rohmer ?

NA : Je connaissais quelques films (Le Rayon vert, Ma nuit chez Maud, L'Ami de mon amie, L'Amour l'après-midi, Le Genou de Claire) qui m'avaient beaucoup plu et restent parmi mes favoris. Je dois avouer que je m'y suis prise à deux fois pour rentrer dans le monde de Rohmer. Ado, ça n'avait pas marché : à 20 ans, j'étais prête...

FDC : Faites-vous un lien entre certaines héroïnes de Rohmer et quelques personnages parfois un peu largués de vos bandes dessinées ?

NA : Oui, pour leurs tourments amoureux assez prosaïques, leur quête introspective sans fin. Delphine dans Le Rayon vert (jouée par Marie Rivière – lire notre entretien) est une de mes héroïnes préférées.

FDC : Vos bandes dessinées parlent souvent de sexe et de séduction. Le cinéma de Rohmer laisse souvent la sexualité hors champ mais parle aussi beaucoup de désir amoureux et notamment féminin. Est-ce une chose dans laquelle vous vous retrouvez ?

NA : J'admire chez Rohmer sa capacité à se mettre du côté (obscur) féminin pour raconter ses histoires. Mais il est vrai qu'il fait souvent abstraction de la sexualité. Moi j'ai envie de l'aborder pour ce qu'elle a de compliqué, terre à terre, pour la dés-idéaliser.

FDC : On trouve dans vos BD de nombreuses références à la culture ado des années 90, dont notamment Hélène et les garçons. Un parallèle a souvent été fait avec humour entre les films de Rohmer et les productions AB. Etiez-vous une spectatrice d'AB ? Est-ce que cet univers très particulier, cette façon de traiter les relations amoureuses résonnent d'une manière particulière dans ce que vous créez ?

NA : C'est particulier pour moi l'univers AB... Je le raconte d'ailleurs dans Le Goût du paradis. Je regardais ces séries avec une fascination emprunte de dégoût. Ces personnages, blancs, aux t-shirts couleur arc en ciel, au vocabulaire publicitaire, qui passaient leur temps à sortir les uns avec les autres, semblaient venir d'une autre planète. Sulfurisée. Que j'avais envie de dynamiter. Si ado j'ai pu faire l'amalgame entre Pauline à la plage et Hélène et les garçons, ce n'est heureusement plus le cas !

FDC : Dans Coney Island Baby, vous retracez l'histoire de Linda Lovelace. Vous établissez également un parallèle le temps d'une case entre les gloires déchues de Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? et le destin de la pin-up Bettie Page. En quoi votre imaginaire de spectatrice de cinéma nourrit-il votre imaginaire d'auteure et dessinatrice de bandes dessinées ?

NA : Le cinéma est ma première passion, avant la bande dessinée. Ma culture visuelle est bien plus cinéphilique que graphique. Je suis venue à la bande dessinée en autodidacte, j'ai l'ai donc abordée de façon spontanée, instinctive. Et pour moi le découpage de l'histoire (mon étape préférée) s'apparente à un découpage de film. Je pense mes cases comme des cadrages, je rythme mon histoire comme si je la montais.

FDC : Trouveriez-vous un intérêt à ce qu'une de vos bandes dessinées soit adaptée au cinéma ? Vous a t-on déjà fait des propositions dans ce sens ?

NA : Oui, tout à fait. J'ai déjà été contactée. Abdellatif Kechiche, par exemple (avant qu'il n'adapte Le Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh). Je travaille moi-même sur un scénario de long-métrage, depuis qu'une production, Sombrero, m'a sollicitée. J'ai réalisé un court-métrage l'année dernière, adaptée de l'une des histoires de Tonight (paru chez Glénat), et je compte en faire un autre l'année prochaine.

FDC : Vous avez déclaré que vous admiriez le cinéma de Noah Baumbach, qui est un grand admirateur des dialogues et personnages de Rohmer (Margot at the Wedding s'inspire de Pauline à la plage et il a même appelé son fils Rohmer). Voyez-vous, en tant que spectatrice, un lien particulier entre leurs deux univers cinématographiques ?

NA : Je ne soupçonnais pas une telle corrélation ! Moi je suis fan depuis la sortie de The Squid and the Whale (Les Berkman se séparent en français), mais j'avoue n'avoir jamais fait de rapprochement entre les deux réalisateurs. Les films de Rohmer me paraissent plus hors du temps, en raison de leurs dialogues et du jeu des acteurs très décalé, j'imagine... Et je trouve les personnages de Baumbach frontalement plus cruels, vicieux.

FDC : De quel cinéaste aimeriez-vous dessiner le coffret intégral ? De quel film rêveriez-vous de dessiner l'affiche ?

NA : Le coffret des frères Coen. Et pour l'affiche, disons Mystic Pizza !

FDC : Vos bandes dessinées sont, paradoxalement, très musicales. Les personnages écoutent (ou entendent !) du Mariah Carey, du Ace of Base voire la Compagnie créole. Quel est, sans tricher, le morceau le plus inavouable de votre ipod ?

NA : Le chanteur, de Balavoine. Pour le côté narcissique...

Entretien réalisé le 25 novembre 2013

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par Nicolas Bardot

En savoir plus

Notre dossier Eric Rohmer

Les bandes dessinées de Nine Antico
Le Goût du paradis, éd. Ego Comme X
Coney Island Baby, éd. L'Association
Girls Don't Cry, éd. Glénat
Tonight, éd. Glénat
I love Alice, éd. Les requins marteaux

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