Entretien avec Michelangelo Frammartino

Entretien avec Michelangelo Frammartino

Sept ans après Il Dono, Michelangelo Frammartino revient avec Le Quattro Volte, un second film tout aussi atypique et intriguant. Nous l'avons rencontré.

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FilmdeCulte: Comment fait-on pour financer un film comme Le Quattro volte, sans dialogues, sans personnages ?

Michelangelo Frammartino : Il faut un producteur complètement fou ! Non, plus sérieusement, ça a été très compliqué de réunir le budget, de devoir passer devant des commissions en expliquant que le personnage principal était une chèvre. Mais la production d’un film est une étape qui m’intéresse, j’essaie de me battre contre le conformisme télévisuel de l’image. L’argent est venu principalement du Torino Film Lab, qui est un festival avec lequel j’ai grandi. Le reste des fonds est venu de la région Calabre, de la télévision suisse et d’Arte.

FdC: Le terme de docu-fiction a souvent été employé pour décrire vos films. Est-ce que vous vous retrouvez dans ce terme ? Correspond-il à votre projet initial ?

MF: Je fais un peu de résistance face aux étiquettes. Je me méfie de ce mot-là, pour moi c’est un terme de producteur pour trouver des fonds. Un réalisateur de documentaire dirige autant qu’un réalisateur de fiction. Pour moi la distinction n’existe pas vraiment. Le Quattro volte est un film, point final. Ceci dit il y a des avantages à être à cheval sur les deux. Le fond suisse par exemple nous a été attribué en tant que documentaire.

FdC: Aviez-vous un scénario définitif avant le tournage, ou avez-vous au contraire laissé le plus de place possible à l’improvisation ?

MF: Le film n’est pas né de l’écriture, d’une page blanche. C’est plutôt le résultat d’un travail d’observation qui a duré deux ans. J’ai visité les lieux du film et j’ai récolté différents documents. En général au lieu d’écrire, je prends beaucoup de photos et je fais des dessins. Le film nait ensuite de tout cela. Par contre, une fois que le scénario est terminé, je n’y touche plus jusqu’au tournage. Il n’y a aucune modification d’apportée.

FdC: Comment avez-vous travaillé avec les nombreux figurants et les comédiens amateurs ?

MF: Je ne demande pas grand-chose aux acteurs qui ne soit pas déjà dans leur nature dès le départ. Il n’y a pas vraiment de jeu à proprement parlé. J’utilise surtout les corps. Pour moi, l’action est un geste et mon film est un film sur les gestes, sur les rituels. Par exemple l’acteur principal se penche, marche, mais il n’y a jamais de récitation.

FdC: Le Quattro volte a obtenu une mention à la Palm Dog à Cannes. La scène du chien de berger est en effet très impressionnante. Comment l’avez-vous préparée ?

MF: C’est vrai que c’est la scène centrale du film, le cœur du film. C’est une scène très symbolique, puisque les hommes quittent les villages et les chèvres viennent en quelque sorte prendre leur place. Ça été très compliqué à mettre en place. Il a fallu toute une semaine de préparation et de répétitions, et deux jours de tournage. Il y avait 150 figurants, 200 chèvres et un enfant.

FdC: Il y a un esprit commun qui traverse les différents « personnages » du film. Si l’ont dit que c’est un film sur la réincarnation, cela vous semble-t-il adéquat, ou réducteur ?

MF: Il y a évidemment plusieurs interprétations possibles mais ça me fait très plaisir que l’on voie mon film de cette manière-là.

FdC: Le Quattro volte est-il pour vous un film religieux ?

MF: Notre religion catholique exclut la réincarnation. Donc non, c’est plutôt justement un film païen.

FdC: Vous avez également dit qu’il s’agissait d’un film politique. Pourriez-vous développer ce point de vue ?

MF: En fait c’est né d’une polémique à Cannes, et ça a été amplifié par la suite. A la base j’avais pris position pour défendre Sabina Guzzanti (qui présentait son film Draquila hors-compétition) face aux attaques du ministre de la culture. Ce que j’ai dit, c’est qu’en Italie, le moindre film qui prend le parti de respecter le public est en effet un film politique.

FdC: Vos films sont justement très différents du reste de la production italienne actuelle telle qu’on la connait ici. Comment vous situez-vous par rapport à vos contemporains ?

MF: Vous savez, quand j’étais étudiant en cinéma, je regardais des films du monde entier, mais pas nécessairement des films italiens. Je connais très mal le cinéma italien des années 80 et 90. Aujourd’hui on commence à voir apparaître quelques jeunes cinéastes qui cherchent à faire des films différents, qui ne se basent pas forcément sur un scénario. Par exemple j’ai beaucoup aimé La Bocca del lupo, qui est sorti récemment en France. Pietro Marcello part également de lui pour au final raconter quelque chose de très différent. Mais ce genre de films est encore très peu vu chez nous.

FdC: Comment le film a-t-il été accueilli en Italie?

MF: Les critiques étaient bonnes à la sortie du film. Mais j’ai surtout une dette énorme envers la France et surtout le Festival de Cannes. En Italie, mon premier film a à peine été distribué dans le circuit art et essai, c’est comme s’il n’était même pas sorti, alors qu’à Cannes, on a pu le vendre à plus de cinquante pays, et pareil pour Le Quattro volte. Cannes est une très bonne vitrine. Et il y a surtout un très bon public.

FdC: Y'a-t-il des réalisateurs qui vous ont influencé ou guidé pour ce projet atypique ?

MF: Des géants que j’adore, oui, tels qu’Abbas Kiarostami et Jacques Tati. Mais également des réalisateurs contemporains, comme Bruno Dumont, Tsai Ming Liang, Sharunas Bartas, Béla Tarr. J’aime aussi beaucoup Rossellini et Dreyer.

FdC: J’ai lu que votre prochain projet sera un film d’animation. Pouvez vous nous en parler ?

MF: Oui, c’est une idée qui est née alors que le projet de Le Quattro volte a été interrompu pendant un an et demi pour des raisons financières. A ce moment-là je trouvais qu’un tournage était quelque chose de très fatiguant, alors j’ai voulu travailler sur le dessin. C’est un film de 30 minutes environ, qui parle de l’arrivée des télévisions dans les foyers italiens dans les années 70 et 80. C’est l’histoire d’un enfant, seul à la maison, qui met en scène son propre monde grâce à son imagination. Il regarde les images de la télévision et les met en scène.

par Gregory Coutaut

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