Entretien avec Michael Bartlett

Entretien avec Michael Bartlett

C'est l'un de nos coups de cœur du dernier Festival de Gérardmer. House of Last Things est un film ludique et mystérieux qui raconte une histoire de possession, de transfert d'identité et... de golf. Entretien avec son réalisateur, Michael Bartlett !

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FilmDeCulte : Il s'est écoulé 15 ans entre la réalisation de votre avant-dernier long métrage et celle de House of Last Things. Que s'est-il passé dans ce laps de temps ? Était-ce voulu ou aviez-vous des difficultés à produire ce que vous vouliez ?

Michael Bartlett: J'étais à Los Angeles, occupé par différents projets en développement. L'un d'entre eux était le remake du film que j'ai réalisé à Berlin (Ein tödliches Verhältnis, ndlr). C'est un projet qui me tenait (et me tient toujours) à cœur mais malheureusement ça n'a pas marché. Anne Heche devait jouer dedans, c'était quasiment signé, et le studio a fait faillite. Pendant ce temps, ma famille a traversé quelques drames, et je n'étais plus concentré sur le cinéma. J'ai vécu en Europe la plus grande partie de ma vie avant de retourner aux États-Unis. J'avais très envie de découvrir le pays, j'ai pas mal voyagé avant de m'installer à Portland, dans l'Oregon, où je vis désormais.

FdC : House of Last Things est un titre à la fois poétique et mystérieux. Comment l'idée d'appeler votre film ainsi vous est-elle venue ?

MB: J'ai écrit ce film en ayant en tête ma propre maison. Du coup il a toujours été clair pour moi que la "MAISON" serait quelque part dans le titre. Ça a donné aussi suffisamment de temps à Rene Berndt pour penser à ce qu'il voulait faire du décor. J'ai tourné mon film berlinois dans des décors construits pour l'occasion à Babelsberg. Rene a travaillé avec Sarah Horton sur ce projet et on voulait que le design de House of Last Things donne le sentiment d'un décor parfaitement construit. Pour que ça marche, il fallait écrire le scénario spécifiquement pour ce décor. C'est une façon étrange de travailler mais qui aussi ses avantages. Je m'éloigne un peu de votre question ! Je suis heureux qu'on ressente cette dimension mystérieuse dans le titre. On a échangé beaucoup de titres avec mes amis proches, et celui-ci est resté ancré dans nos têtes. On savait aussi que le film allait être plus cérébral qu'horrifique, et je voulais que le titre reflète cette sensibilité. Last things, c'est juste une autre façon de dire The past. En anglais, House of the Past me semblait trop forcé, trop gros pour correspondre vraiment au climat du film, à son mystère. Même si j'aime la façon dont il sonne en français: La Maison du temps passé !

FdC : Le prologue est très particulier et installe immédiatement le climat étrange du long métrage. Cette séquence est longue, elle est mise en valeur par sa place, en ouverture de film. Etait-ce une scène-clef pour vous ?

MB: Tout à fait. Je voulais que ce prologue annonce directement la nature surréaliste de l'histoire à venir. Alors que le public ne se doute encore de rien, cette scène le berce jusqu’à le faire entrer dans un monde onirique, et tant que réalisateur, je suis un peu un guide silencieux. On me voit brièvement accompagné d’un chien, je suis le premier personnage que le public voit et on ne me revoit plus ensuite. Par rapport à ce qui se fait aujourd'hui, ce prologue est long, mais pas ennuyeux à mon sens. Même s'il y a des sons et de la musique tout le long, c'est aussi un hommage aux grands films muets qui ont été une inspiration importante pour moi.

Le golf était en fait la vraie inspiration de cette histoire. Le récit devait débuter dans le passé, sur un terrain de golf. Comme je vous l'ai dit, le décor principal est une maison dans laquelle j'ai vécu. Après avoir vécu dans cette maison pendant des années, j'ai découvert que le voisinage était auparavant un terrain de golf qui a été racheté par un promoteur immobilier. Cette maison se trouve sur ce qui était probablement le 8e trou de ce parcours. C'était vraiment l'inspiration de toute cette histoire, et je dois dire que ça m'a donné une force: ce que j'écrivais puisait ses racines dans quelque chose de tout à fait réel, malgré le développement surnaturel de l'histoire.

FdC : La musique joue un rôle essentiel dans House of Last Things. Comment avez-vous décidé des musiques que vous avez employées ?

MB: Bon là il va falloir que je me contrôle parce que sinon je vais vous répondre tout un roman. Avant que je devienne réalisateur, j'étais un musicien classique à Berlin. Quand j'étais jeune, à Salinas, en Californie, j'avais l'impression que tout le monde chantait ou jouait d'un instrument, pour le meilleur et pour le pire. Et je dois dire que je jouais mieux que quasiment tout le monde. Je suis allé à la Juilliard School de New York, puis j'ai intégré un orchestre à Berlin avant d'aller étudier à l'American Film Insitute de Los Angeles, des années plus tard,. J'ai énormément appris sur la façon dont on dirige un film en observant les grands chefs d'orchestre pour lesquels je jouais à Berlin. Il n'y a pas une différence fondamentale entre diriger un film et diriger un orchestre.

J'ai décelé dans House of Last Things l’occasion unique de lier musique et image ensemble dans une histoire originale. De les travailler à part égale et de les rendre inextricables à travers la métamorphose kafkaesque que subissent involontairement mes personnages. Si la caméra représente les yeux de la maison, la musique est sa voix, et sans vouloir aller trop loin, la musique devient un personnage à part entière qui se révèle pleinement lors de la scène finale de Jesse. Les choix musicaux ne pouvaient pas être arbitraires, il fallait qu’on sente son évolution progressive.

Je me rappelle d'un critique qui m'avait donné comme tache de faire un choix parmi les morceaux de musique classique les plus populaires. Mais une fois qu'on a comprend que la maison va donner à Jesse une éducation, le familiariser à la musique qui jusqu'ici lui était étrangère, le choix de morceaux classiques très accessibles allait de soi. Choisir la musique classique n'était pas un problème. Le problème, c'était plutôt le mélange entre la musique classique et la musique originale qu'il restait encore à composer. Par chance, j'ai trouvé en Alessandro Ponti et Andrew Poole deux merveilleux jeunes compositeurs. Ensemble, on a développé ce qui allait devenir la voix unique de la maison : son cœur ardent, palpitant.

FdC : Il y a quelque chose de très ludique dans la façon qu'a le film de jouer avec les dimensions parallèles ou la possession. Pouvez-vous nous parler de cette dimension de jeu, de labyrinthe ludique qu'emprunte votre narration ?

MB: Oui le style n'est pas linéaire. Le passé, le présent et le futur sont en compétition pour dominer la narration. C'est un style avec lequel le public plus jeune est familier, et je crois que ça reflète plus précisément la façon dont on pense. La plupart de nos actions sont en réaction aux expériences du passé, et ces réactions ont généralement des conséquences sur notre futur. De cette façon, passé, présent et futur sont inséparables, dépendent des circonstances, peuvent être un joyeux labyrinthe comme vous le dites ou un labyrinthe tout à fait cauchemardesque. Ces dimensions parallèles sont dans notre tête jusqu'à ce que quelqu'un les projettent à l'écran.

La possession et l'obsession sont, selon moi, tout à fait liées. Dans House of Last Things, Sarah est clairement obsédée par la perte tandis qu'Alan est en possession d'une information qu'il lui cache. Quand Jesse, de façon aussi maladroite qu'involontaire, kidnappe Adam et le ramène dans la maison, c'est une manifestation directe du tourment traversé par Sarah et Alan. Adam est toujours dans leurs pensées, et il n'a nulle part où aller sauf à l'endroit où ces souvenirs de lui sont prisonniers: dans la maison.

FdC : Kelly, le personnage principal, pourrait être un cliché de film de genre, une blonde sexy écervelée. Elle est finalement un personnage responsable, au contraire de son copain, qui passe son temps à poil comme les potiches féminines de certains films fantastiques. Aviez-vous à cœur de jouer avec certains clichés ?

MB: Oui, Jesse, le petit ami de Kelly, est souvent nu. Il est jeune, il est séduisant, et il doit montrer quelque chose qui va se révéler très important dans le développement de son personnage: son grand tatouage. Que Kelly soit la plus responsable des trois personnages dela maison (quatre avec Adam) était clair pour moi dès le début. La relation entre Kelly et son demi-frère handicapé, joué par RJ Mitte, nous permet d'entrer dans son coeur. Sans ça, Kelly aurait pu rester le cliché de la blonde qu'on rencontre en début de film. Mais Kelly évolue à mesure qu’elle se perd dans la "maison d'Adam". Comment rester un cliché quand les situations sont aussi imprévisibles ? J'aime beaucoup la façon dont mes acteurs, Lindsey, Blake et RJ se perdent dans cette maison.

FdC : Il y a une citation de Diane Arbus qui dit : "Une photo est un secret à propos d’un secret, plus elle vous en dit, moins vous en savez". Pensez-vous qu'on puisse dire la même chose de votre film, et par extension du cinéma ?

MB: Absolument. Je crois que le but d'une bonne histoire surnaturelle est de poser beaucoup de questions, mais d'apporter peu de réponses. Les questions sans réponse, les secrets ont quelque chose d'intangible qui ne s'accorde pas avec nos lois. Tout résoudre, nouer chaque chose pour aboutir à une petite fin bien rangée, ça ne peut être que décevant. Jetez un oreille à The Unanswered Question de Charles Ives. Une musique extraordinaire, qui passe son temps à poser la même question en boucle sans jamais y répondre...

FdC : Une sortie du film est-elle prévue ?

MB: C'est entre les mains de notre vendeur international au Canada, Double Dutch Media. J'ai entendu qu'ils avançaient pas mal à ce sujet.

FdC : Quels sont vos projets ?

MB: Je suis au travail à nouveau sur trois scénarios que j'ai achevés avant House of Last Things. Trois genres très différents. Il y a même une comédie.

Entretien réalisé le 13 mars 2013.

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FilmDeCulte : 15 years have passed between your previous movie as a director and House Of Last Things. What happened during this period? Did you intend it that way or did you have difficulties to find ways to get your projects produced ?

Michael Bartlett: I was in Los Angeles and involved in several projects in development. One was the remake of the movie I directed in Berlin. I still love that project but unfortunately it didn't work out at the time. Anne Heche was attached and we were close to final signatures when the studio went bankrupt. Around that time, my family was hit with a series of tragedies and I lost my focus for awhile. I lived in Europe most of my life before returning to the US, so I was eager to discover the country and moved around quite a bit before settling in Portland, Oregon, where I live now.

FdC : House Of Last Things is both a very mysterious and poetic title. When and why did you decide to name your movie this way ?

MB: I wrote the film for the house we lived in, so for me it was always clear that "HOUSE" would in some way be a part of the final title. It also gave Rene Berndt more time to develop the look we wanted for the set. My Berlin film was shot on a soundstage in Babelsberg and both apartments were built. Rene assisted Sarah Horton on that project and we wanted "House of Last Things" to have the design and feel of a perfectly constructed set. To make that work, "House.." was actually written to fit the location exactly. A strange way to work that also has its benefits. But I see I am wandering away from your original question. I'm glad you sense some mystery in the title. I shared many titles with my closest friends and this one seemed to stick in our heads. We also knew that the film was going to be more cerebral than horrific and I wanted the title to reflect that sensibility. "Last Things" is just another way of saying "The Past". In English "House of the Past" felt too forced and bold to capture the mood and mystery I was going for, although I do like how it sounds in French: MAISON DU TEMPS PASSÉ.

FdC : The prologue is a very particular scene: it’s long, it immediately announces the movie’s odd atmosphere and its presence at the very beginning of the movie only highlights it. Was that a key scene for you ?

MB: Yes, it was. I wanted the title sequence to establish the surreal nature of the story to come; lull the unsuspecting audience into a dream-like world with me the director as their silent guide. I am seen briefly in the opening as the surveyor with his dog, the first character the audience encounters, never to appear again. The title sequence is by today's standards long, but not boring I think. Although there is music and audio throughout, it's also a nod to the great silent films that were such an inspiration to me early on.

Golf was actually the inspiration for the story, so it was only right that the narrative should begin in the past on a golf course. As I said before, the main location was the house we lived in. After living in the house a few years, I discovered that the neighborhood was once an eighteen hole golf course that had been sold to a housing developer. Our house very likely stood on what was once the eight hole. This was really the inspiration for the entire story, and I have to say that it gave me strength to know that what I was writing had its roots in something very real however unreal it would soon become.

FdC : The soundtrack is one of the key elements of House Of Last Things. How did you decide which songs and music you wanted to use ?

MB: Well I'm really going to have to control myself here or you'll have a novel to translate. Before I became a filmmaker, I was a classical musician in Berlin. Where I grew up, in Salinas, California, it seemed everyone sang or played something for better or worse and as it happened I was the one who played much better than almost everyone else. I went to Juilliard in New York and later took an orchestra position in Berlin before leaving years later to study at the American Film Institute in LA. I learned a lot about directing film from observing the great orchestra conductors I played under in Berlin. There's really not all that much difference in directing an orchestra or directing a film.

I saw in HOUSE OF LAST THINGS a rare opportunity to bring music and image together in a very original storyline and develop them as equal and inseparable partners in the Kafkaesque metamorphosis my unwitting characters are doomed to undergo. If the camera is the house's eyes, music is its voice, and without giving away too much, the music becomes a fully developed character in its own right, revealing itself with full symphonic force in Jesse's final scene. So the music choices couldn't be arbitrary, they never are anyway, but here the music needed to build steadily throughout.

I remember reading that one critic took me to task for choosing in the main mostly familiar classical music. But once you understand that house is actually giving Jesse an education, introducing him to music very foreign to his character, the easily accessible classical choices start to make sense. Choosing the classical music wasn't the problem. The problem was going to be how to blend the classical tracks with an orginal soundtrack that had yet to be composed. As luck would have it, I found in Alessandro Ponti and Andrew Poole Todd two wonderful young composers. Together we developed what would become the house's unique voice. It's yearning, throbbing heartbeat.

FdC : There is something quite playful in the way the movie deals with parallel dimensions or possession. The narrative sometimes feels like a joyful maze. Could you tell us about this particular aspect ?

MB: Yes, the style is non-linear. Past, present, future, they compete to dominate the narrative. It's a style that younger audiences have become very familiar with, and I think it reflects more closely the way we actually think. Most of our actions are reactions to experiences from our past, and those reactions usually have consequences for our future. In that way, past, present, and future become inseparable, and depending on the circumstances, can be either a joyful maze as you put it or even a nightmarish one. Either way, these parallel dimensions are only in your head until someone puts them on the screen.

Possession and obsession are closely related I think. In "House of Last Things" Sarah is clearly obsessed with her loss whereas Alan is in "possession" of information he has kept from her. When Jesse, in his own clumsy, involuntary way, kidnaps Adam and brings him to the house, it is a direct manifestation of Sarah and Alan's emotional turmoil that makes this happen. Because Adam is always in their thoughts, he has nowhere else to go but where their thoughts of him are trapped - inside the house.

FdC : Kelly’s character could have been another stereotypical stupid blond, as in many genre movies. Yet she quickly proves to be the opposite: she’s the adult and responsible character, unlike her boyfriend who happens to be the one spending all his time naked. This is strictly the opposite of what would happen in a typical bad horror movie. Could you tell us about the interesting way you wanted to give these clichés a twist ?

MB: Yes, Kelly's boyfriend, Jesse, does show a lot of skin. He's young, he's attractive, and he has on display something very important to the later development of his character - an extremely large tattoo. That Kelly would be the more responsible of the three living in the house (four if you count Adam) was clear to me from the start. Kelly's interaction with her mentally challenged half-brother Tim, played by RJ Mitte, allows us a look into her heart. Otherwise Kelly could have easily remained the blonde cliche we met in the very beginning, but as with Jesse, Kelly's character evolves too as she looses herself to the twisted needs of "Adam's house". How can you remain a cliche when the situations defy predictability? I really love the way Lindsey, Blake, and RJ, loose themselves to the house.

FdC : There is this quote by Diane Arbus : "A picture is a secret about a secret, the more it tells you the less you know". Do you think the same could be said about you movie? Is that something you can relate to as a filmmaker ?

MB: Absolutely. I believe it is the job of a good supernatural story to ask many questions, but to answer only very few. The unanswered questions, the secrets, are never tangible in the supernatural and can't be expected to line up according to our laws. To resolve and tie up everything in a bow for a neat little ending - that can only disappoint. Listen to Charles Ives' "The Unanswered Question". Amazing music, asking the same question over and over again without resolution...

FdC : What are the plans concerning the release of House Of Last Things ?

MB: That is in the hands of our International Sales agent in Canada, Double Dutch Media. But I hear they are making good progress.

FdC : What are your projects ?

MB: I'm back at work on three screenplays that I completed before HOUSE OF LAST THINGS. Three very different genres. Even a comedy.

par Nicolas Bardot

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