Entretien avec Marina de Van

Entretien avec Marina de Van

La réalisatrice des fascinants Dans ma peau et Ne te retourne pas a fait partie du jury du Festival de Gérardmer en début d'année. Elle nous parle de son rapport au genre, de la difficulté à produire du cinéma fantastique en France, et de son nouveau projet présenté à l’Étrange Festival: Dark Touch.

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FilmDeCulte : Quelle spectatrice de cinéma fantastique êtes-vous ? Y’a-t-il des registres, des réalisateurs qui vous parlent plus particulièrement ?

Marina de Van: Je suis une spectatrice occasionnelle. Je n'ai pas beaucoup de culture dans ce domaine, je ne suis pas cinéphile du tout, cinéphage non plus. Je vois les films un peu au compte-goutte. Je ne saurais pas vous citer un réalisateur que j’aime particulièrement, ou une tradition, une école, je n’en suis pas capable. Ce que j’aime, c’est quand le cinéma traduit des angoisses métaphysiques qui me touchent. Je ne suis pas très horreur même si ça peut m’intéresser occasionnellement. Le gore me fait rire. Je préfère l’angoisse.

FdC : Vous avez déjà été membre du jury à Gérardmer, vous l’êtes à nouveau cette année. Qu’est-ce qui selon vous constitue les qualités d’un bon Grand Prix ? Est-ce qu’il y a des aspects que vous souhaitez privilégier ?

MdV: Les qualités d’un bon Grand Prix ? D’avoir une authentique proposition de cinéma, avoir quelque chose qui, en mise en scène, tient le coup. Quelque chose d’un peu original aussi, qui ne soit pas du recyclage de recette toute faite et qu’on a vue 5000 fois. Que ce ne soit pas consensuel. Et finalement ce ne sont pas forcément les meilleurs films qui font les Grand Prix parce que ce ne sont pas forcément les meilleurs films qui font le consensus. Alors que les films plus originaux suscitent aussi des réactions d’aversion qui ne permettent pas d’avoir la majorité ou l’unanimité. Un bon Grand Prix, c'est quelque chose qui serait assez authentique en termes de cinéma et qui serait également assez « consensuel » entre guillemets pour satisfaire la variété des goûts du jury.

FdC : Est-ce qu’il y a des choses que vous avez déjà vues à Gérardmer qui correspondent à ces critères ?

MdV: Je n’ai pas le droit de répondre à cette question, c’est vraiment interdit ! (sourire)

FdC : Vous considérez-vous comme une réalisatrice de genre ?

MdV: Pas du tout ! J’emprunte des codes du genre mais mes résolutions sont toujours de nature psychologique. A part dans Dark Touch où le surnaturel n’est pas désavoué, dans les autres ce qui est extraordinaire ou spectaculaire ne valide aucune réalité surnaturelle. Les résolutions sont psychologiques. La fêlure n’est pas dans le monde mais dans le psychisme de celle qui explore le monde. C’est différent du fantastique où il y a une quatrième dimension.

FdC : Du coup est-ce que vous comprenez d’être incluse dans un jury composé spécifiquement de réalisateurs de genre ?

MdV: Oui je comprends parce qu’on peut sentir dans mon cinéma une sensibilité aux questions propres au fantastique, à ce qui questionne la réalité. Et puis mon goût pour un cinéma assez visuel par opposition à une tradition du théâtre filmée, valorisation du dialogue, qui n’est pas mon truc. Je comprends tout à fait et ça me semble pertinent.

FdC : Il y a une conférence qui est organisée dans le cadre du festival et qui s’intitule « La peur : genre féminin ou masculin ? ». Qu’est-ce que ça vous inspire, est-ce que vous pensez que les réalisatrices abordent le genre de façon différente ?

MdV: Je pense que toute personne aborde le genre de façon différente. Mais je ne suis peut-être pas faite pour répondre à cette question. Le public peut l'analyser dans mon travail, y voir quelque chose de spécifiquement féminin. Et que je ne peux voir parce que je suis plongée dans mon propre rapport aux choses. Tel que je le vis, je vois plus des choses d’ordre infantile qui ne relèvent pas de questionnements sur l’identité sexuelle. Mais c’est difficile de me rendre compte parce que je n’ai jamais été un homme. Donc peut-être que je pense en femme. Mais pour moi, je pense tout court.

FdC : Est-ce que vous envisagez de retravailler avec François Ozon ?

MdV: Je ne crois pas. Parce que François n’a pas besoin de moi et ça fait très longtemps qu’on n’a plus travaillé ensemble. Ça s’est toujours bien passé mais ça fait longtemps qu’il n’a plus fait appel à moi comme co-scénariste ou actrice. Je pense qu’il n’a plus besoin de ce que je pouvais lui apporter, mais on est toujours amis. C’est très très vieux notre collaboration, maintenant c’est un copain.

FdC : Est-ce que votre travail d’actrice est une récréation par rapport à votre travail de réalisatrice ?

MdV: Je n’ai pas de travail d’actrice. Je ne joue jamais. Dans ma peau c’était il y a dix ans. Je n’ai pas eu de propositions, j’aurais été ravie de le faire et c’était un travail que j’adorais. Mais à part Je pense à vous de Pascal Bonitzer, je n’ai pas eu de proposition. J’envisageais de faire des rôles secondaires parce que je ne suis pas très connue, ça m’aurait très bien convenu. Mais je n’ai pas eu de demande. Je ne devais pas correspondre à ce dont les gens avaient envie à cette époque-là. Du coup le jeu c’est très vieux.

FdC : Lors de notre entretien avec Hédi Zardi, ce dernier nous a parlé du fait que des réalisateurs comme Pascal Laugier ou Pitof étaient contraints à tourner leurs films à l’étranger. Avez-vous eu des opportunités de ce côté-ci ?

(lire notre entretien avec Hédi Zardi, programmateur du Festival de Gérardmer)

MdV: Je viens de tourner Dark Touch à l’étranger, et ce que j’écris pour un prochain film sera également tourné à l’étranger, ça ne pourra pas se faire en France. Moi aussi je suis obligée de me délocaliser parce qu’en France je ne trouve pas de soutien.

FdC : L’accueil de Ne te retourne pas a compliqué les choses ?

MdV: L’échec du film ? Je ne pense pas que ça m’aide. C’est un handicap oui.

FdC : Pouvez-vous nous dire quelques mots de Dark Touch ?

MdV: C’est un film de genre, un film d’horreur. Qui est plutôt un thriller horrifique qu’un film gore. De l’horreur fantastique qui s’appuie sur le surnaturel, sur les objets et les meubles familiers qui tuent, autour d’une petite fille qui est abusée. Le thème c’est la maltraitance de l’enfant, l’abus sexuel. Les meubles assassinent d’abord sa famille. Le film raconte l’évolution de cette petite fille dans cette tourmente surnaturelle et meurtrière.

FdC : Comment vous est venue cette idée pas banale de meubles tueurs ?

MdV: Je n'en ai aucune idée ! J’aime tout ce qui est familier. Le corps dans Dans ma peau, les membres de la famille et le visage dans Ne te retourne pas. J’aime ce qui est familier et qui devient étranger et menaçant. Donc finalement c’est la même logique, sauf que ce n’est pas appliqué à des corps et à des visages mais à des objets qui paraissent constituer notre environnement rassurant et qui d’un coup se mettent à nous tuer.

FdC : Savez-vous quand on pourra le voir ?

MdV: Ach nein ! Je n’ai pas encore de distributeur en France. Le film est quasiment fini.

FdC : Qu’est-ce qui selon vous pose problème pour financer des films tels que Dark Touch en France ?

MdV: En France, il n’y a pas de marché pour les films de genre. Ça n’intéresse pas au niveau du financement, ça n’intéresse pas les producteurs, les distributeurs, ça paraît concerner un tout petit public. Je ne sais pas si c’est une réalité, ou si c’est parce qu’on les sort en catimini. Mais ce n’est pas notre tradition et c’est devenu quasiment impossible. C’est dommage.

Entretien réalisé le 1er février 2013. Un grand merci à Clément Rébillat

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par Nicolas Bardot

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