Entretien avec Maren Ade

Entretien avec Maren Ade

Doublement primée à Berlin pour Everyone Else, Maren Ade, issue de la jeune génération des cinéastes allemands, est une des révélations de l'année. Elle répond à nos questions.

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FilmdeCulte: Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire ce film ? Quel était votre point de départ ?

Maren Ade: Je voulais raconter l’histoire d’un amour naissant, d’une relation qui n’a pas encore été mise à l’épreuve du temps, où les règles de base n’ont pas encore été établies, et où chacun a encore peur de se dévoiler entièrement. Ce qui m’intriguait c’était donc cette nouvelle entité, à la fois unique et complexe, que forment deux personnes lorsqu’elles entament une relation où s’entrechoquent toutes sortes de désirs, de secrets, d’exigences, de tensions et de rituels. Je voulais que ce soit le couple qui soit au cœur de l’histoire, et pas un seul personnage.

FdC: Le couple dans Everyone Else a ceci d'atypique qu'il semble jouer avec les notions de masculinité et de féminité, en brouillant les pistes, en n'étant pas là où on les attend, en opposition avec le couple plus traditionnel qu'ils croisent sur l'île. Est-ce là pour vous que se situe la modernité de ce couple, et de cette histoire ?

MA: Je dirais que pour les gens de ma génération, il n’existe plus vraiment de répartition des rôles. Il n’y a pas de structure extérieure pour nous dire comment nous comporter. Et on peut d’ailleurs s’estimer heureux. C’est justement un certain coté de cette liberté qui m’intéressait. Les deux personnages ont la liberté de pouvoir choisir qui ils sont et comment ils peuvent vivre, et du coup la non-définition de leur rôle commence à les mettre mal à l’aise. C’est dans ce moment de faiblesse qu’ils rencontrent l’autre couple. Cet autre couple représente une relation plus traditionnelle, voire conservatrice. Un autre jour, ils auraient pu passer une bonne soirée avec eux, quitte à se moquer d’eux après. Mais ce soir-là, ils voient en eux quelque chose de spécial qui leur parle beaucoup. A tel point qu’ils commencent à reproduire ce schéma. Peut-être trouvent-ils qu’il s’agit de rôles socialement plus acceptables.

FdC: Chris et Gitty ont parfois des jeux enfantins, et il y a cette maison qui ressemble à un terrain de jeux. Est-ce que ça fait partie, selon vous, de la perte de repères dont parle Everyone Else, cette quête d'identité de personnages qui ont passé la trentaine ?

MA: Pour moi, ce coté enfantin est quelque chose qui appartient vraiment à leur intimité en tant que couple. C’est quelque chose dont ils ne parleraient jamais à quelqu’un d’autre. Au moment de l’écriture, j’ai demandé à beaucoup de couples de me parler de leur private jokes, de leurs petits surnoms et de leurs petites habitudes. Ils avaient toujours quelque chose à raconter. Peu importe l’âge, peu importe qu’on se comporte de manière traditionnelle ou plus enfantine. Pour moi l’humour fait partie du couple.

FdC: Pouvez-vous nous parler du choix de situer cette histoire sur une île, où les personnages sont loin de chez eux ?

MA: Je voulais me concentrer sur le couple, et les sortir de leurs habitudes et de leur vie de tous les jours. Ça ne m’intéressait pas de filmer leur appartement, leurs amis, le bar où ils sortent, c'était donner trop de détail. Et puis les vacances c’est une sorte de défi. On ne peut pas échapper à la présence des autres, et il y a beaucoup de choses en jeu. J’aimais bien l’idée d’isolement, ça permet de se recentrer sur l’intrigue. Je voulais observer de près la vie de tous les jours d’un couple, lorsque celle-ci se passe loin du domaine public. J’ai voulu que l’histoire se passe sur une île, parce que les îles sont étroitement liées à une promesse de bonheur, enfin du moins pour moi. Mais je ne voulais pas non plus d’un décor entièrement neutre. La maison parentale représente un morceau d’Allemagne, c’est une source de dispute. Au début, être dans la maison leur permet de se comporter à nouveau comme des enfants, mais plus le film avance et plus ils finissent par se conformer aux rôles de leurs parents.

FdC: Vous avez parlé de votre admiration pour Bergman et Cassavetes. Comment ces cinéastes influencent-ils votre travail ?

MA: Pour Cassavetes c’est facile, c’est la liberté d’interprétation que j’aime chez lui. Mais Scènes de la vie conjugale a été une grande source d’inspiration pour moi, en ce qui concerne les rôles tenus par chacun dans un couple, même si l’époque était différente. J’étais fascinée par le combat qu’ils se livrent pour le pouvoir, par la manière dont ce couple perd son équilibre au fur et à mesure que la pouvoir change de mains. Ce combat subtil finit par mener d’ailleurs à la liberté.

FdC: L'une des clefs de la réussite du film est son interprétation. Comment avez-vous abordé la direction d'acteurs ?

MA: J’étais formelle dès le début : les acteurs devaient passer avant tout, et la caméra devait leur laisser beaucoup de liberté. On a répété pendant quasiment un mois tous ensemble, réparti sur une période d’un an et demi. On lisait le scénario, on répétait les scènes, on parlait du film et on en regardait d’autres. Une fois le tournage commencé, on tournait énormément, et vite. On a fait un énorme travail sur le sous-texte, sur tout ce qui pouvait se cacher derrière les dialogues. C’était un processus très exigeant pour les acteurs, ils devaient être à la fois précis et transparents. Travailler avec les acteurs a certainement été le plus gros défi sur ce film.

FdC: Le Grand Prix et le prix d'interprétation reçus à Berlin ont-il pu jouer sur la visibilité du film en Allemagne ?

MA: Oui, j’en suis persuadée. En Allemagne on a beaucoup parlé du film après ça. Il est sorti sur 40 copies et a fait presque 200 000 entrées. Ce succès m’a prise complètement par surprise.

FdC: On parle souvent, ces dernières années, de nouvelle vague allemande, d'Ecole de Berlin. Est-ce une appellation qui vous agace, que vous trouvez limitée? Avez-vous le sentiment d'appartenir à un groupe, un mouvement ? Quel regard portez vous sur les jeunes cinéastes allemands de votre génération?

MA: Je suis toujours très fière d’être citée parmi ces autres réalisateurs, et la plupart d’entre eux sont des amis. Mais il ne s’agit pas d’un mouvement. L’appellation « Ecole de Berlin » a été inventée par un journaliste qui avait vu des corrélations entre ces films. Mais pour moi c’est un terme qui a ses limites, parce que ça réduit ces long-métrages à certaines ressemblances, alors qu’ils sont uniques et très différents. En tout cas c’est définitivement le type de cinéma allemand que je préfère et que je recommande le plus.

FdC: Le film, qui ne sort que maintenant en France, a été présenté à Berlin en 2009. Avez-vous développé un nouveau projet entre temps ?

MA: Janine Jackowski, qui est ma productrice, et moi-même possédons notre propre compagnie, pour laquelle on tourne également. Entre mes films, j’aime bien travailler comme productrice, ça me libère de la pression que je peux ressentir à devoir lancer un nouveau projet, et qui fait partie de chaque film. Par exemple, en ce moment, on travaille avec Valeska Grisebach, Benjamin Heisenberg et Ulrich Köhler. Mais il faut bien dire que je ne suis pas très rapide avec mes propres films. Ça m’a pris presque cinq ans pour écrire et réaliser Everyone Else. Mais ces derniers mois j’ai quand même commencé à chercher des idées. Ce n’est pas facile de trouver un sujet ou une histoire qui vaille la peine de passer autant de temps dessus.

FdC: Vous produisez le prochain long métrage d'Ulrich Köhler. Pouvez-vous nous donner quelques détails sur ce film ?

MA: C’est trop tôt… ne serait-ce que parce qu’on n’a même pas encore trouvé de titre !

Traduction: Gregory Coutaut

par Nicolas Bardot

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