Entretien avec Laia Costa et Frederick Lau

Victoria, le thriller "en temps réel" très remarqué lors de la dernière Berlinale, sort ce mercredi 1er juillet en France. Ce tour de force en plan séquence raconte l'histoire d'un braquage, une nuit à Berlin. Le film est notamment porté par les prestations de ses acteurs, Laia Costa et Frederick Lau. Les deux comédiens se confient sur leur expérience d'un tournage pas comme les autres...
Laia, comment êtes vous arrivée sur ce projet ? Le personnage de Victoria était-il d'origine espagnole dès le départ ?
Laia : Tout à fait, et Sebastian Schipper m’a recrutée de manière très classique : il passé par une directrice de casting en Espagne, j’ai passé une audition qui était déjà une improvisation, histoire de me donner une idée du film, et ma foi ça c’est très bien passé. Un mois après j’étais dans l’avion pour aller faire les répétitions à Berlin.
Comment se prépare-t-on à tourner en une prise ?
Frederick : On a eu quatre semaines de répétition sur les lieux du tournage. On a beaucoup échangé, chacun a pu apporter des idées et des améliorations, si bien que le film a beaucoup changé en cours de route. Il a bien fallu se lancer au bout d’un moment !
Laia : En fait, c’est très curieux, sur le moment je n’ai vraiment pas réalisé qu’il allait s’agir d’un plan-séquence de 2h15. Personne ne l’a vraiment réalisé. Sebastian Schipper nous l’avait pourtant dit, mais on s’attendait quand même à un tournage beaucoup plus conventionnel. Je vais même vous dire : je ne m’en suis pas rendu compte avant de voir le film fini à la Berlinale, en même temps que tout le monde! Pendant le tournage, j’étais trop « dedans », je n’ai finalement pas vu la différence entre les vraies prises et les répétitions. L’avantage c’est que je ne me suis pas mis la pression à ce niveau-là.
Frederick, vous avez vécu la première vision du film de la même manière ?
Frederick : Oui. Après la projection, j’ai dû passer toute la soirée assis car ce que je ne savais même plus quoi dire. Depuis, à chaque fois que je le revois, c’est douloureux et je ne sais pas pourquoi, c’est bien la première fois que ça m’arrrive. C’est comme si Sebastian avait capté quelque chose qui n’était pas seulement une performance, mais un bout de nos vraies vies. Et on n’a pas toujours envie de revoir sa vie sur grand écran.
Laia : Ce soir- là j’étais moi aussi en état de choc. On l’était tous. Frederick et les autres acteurs adorent faire la fête, mais ce soir là, ils en étaient incapables. On a tous dû s’asseoir pour reprendre notre souffle et mettre de l’ordre dans nos idées. Le film était complètement différent du souvenir que j’en avais. Effectivement, Sebastian a filmé des choses qu’on ne se rappelait absolument pas avoir filmées, tellement on était immergés dans nos personnages, et tellement chaque prise était différente. J’ai revu le film plusieurs fois, avec l’intention de prendre le plus de recul possible, mais à chaque fois j’en ressors épuisée. Sebastian dit que ce n’est pas un film qui s’adresse au cœur ou le cerveau du spectateur mais à son système nerveux. Je commence à comprendre ce qu’il veut dire.
Concrètement, comment avez-vous travaillé avec le directeur de la photographie Sturla Brandth Grøvlen, sur le moment ? Aviez-vous des repères chorégraphiques ou bien la caméra devait-elle obéir aux déplacementS des acteurs ?
Laia : C’était nous le boss ! Sturla devait s’adapter à nous et il a fait un boulot incroyable ! Il faut savoir que, les dialogues du film étant entièrement improvisés ainsi que la plupart des déplacements, il n’avait qu’une idée très vague de ce qui allait se passer la minute d’après.
Frederick : On le surnommait « notre reporter de guerre ». A chaque fois, au bout de cinq minutes, on oubliait complètement qu’il était à coté de nous. Au début on faisait bien attention à respecter certains détails, comme ne jamais refermer une porte derrière nous pour qu’il se retrouve coincé, mais Sebastian nous a poussés vers plus de spontanéité. A la fin, même si on lui rentrait dedans par mégarde, ce n’était pas grave.
Sebastian Schipper a présenté le film en commentant "Victoria n’est pas une histoire à propos d’un braquage de banque. C’est un braquage de banque !". Est-ce que cette formule s'applique à la façon dont avez envisagé le jeu d'acteur et l'investissement dans ces rôles ?
Frederick : Oui, c’était radicalement différent des autres tournages que j’ai pu faire. Ici on n’avait ni le temps ni le droit de sortir du film. On n’avait pas le loisir de réfléchir entre les prises, mais en contrepartie on avait la possibilité de faire des erreurs, et du moment qu’on restait dans nos personnages, ça passait. Au final, chacune des trois prises que l’on a faites possédait sa propre vérité, car on y proposait des choses différentes.
Laia : On n’avait pas de dialogues, et rien que cela impose une liberté et un investissement particuliers. Quand on a un texte comme point de départ, on doit le défendre mais on peut aussi se cacher derrière. Sebastian voulait avant tout qu’on soit spontanés, et au bout de deux mois de répétition, on connaissait tellement bien nos personnages qu’on se sentait libre de faire ce qu’on voulait, d’improviser. On avait un cadre à l’intérieur duquel on était libre. Cela a créé des moments de magie avec un degré de vérité que même le meilleur acteur ne pourra jamais atteindre de façon classique.
Avez-vous ressenti de la peur ou de la pression avant de vous lancer dans ces différentes prises de plan-séquence ? Qu’est ce que cela vous a apporté ?
Frederick : Oui, mais on avait surtout peur avant le début de chaque prise. On avait tous la trouille, mais dès qu’on entendait action, et que la caméra descendait les escaliers, ça disparaissait. Par contre, à la fin de la prise, on ne pouvait même plus parler, on restait avec le regard dans le vide.
Laia : Ces moments-là, juste avant que la caméra ne commence à tourner, ça reste mon meilleur souvenir du tournage. On tournait chaque prise à la même heure, au même endroit, et chaque soir on était dans cette boite, à cinq heures du matin, dans un état d’attente très particulier, et cinq minutes avant l’heure exacte, on se séparait et on se concentrait. Vous savez quand on se penche dans le vide depuis un balcon ou une terrasse, on ressent à la fois de l’excitation et une peur animale, eh bien c’est exactement comme ça qu’on se sentait à ce moment-là. Mais paradoxalement, je me suis sentie beaucoup moins crevée en faisant le film qu’en le regardant. C’était même tout l’inverse. Pendant les prises il se passait toujours quelque chose, il fallait toujours réagir, du coup je n’ai même pas eu une seconde à moi pour me demander comment j’allais. A la fin du dernier « plan », quand on m’a fait signe de m’arrêter de marcher, j’en étais incapable. Il était 7h du matin et j’ai été incapable d’aller me coucher, je voulais absolument aller boire des bières pour me calmer !
Est-ce que vous vous sentez prêts désormais à braquer une banque ?
Frederick : (rires) Putain oui ! D’ailleurs on a rencontré des vrais braqueurs, qui nous ont donné beaucoup de conseils pour améliorer notre crédibilité !
Laia : J’en rêve. C’est déjà en projet.
Si vous deviez citer un acteur et une actrice que vous admirez particulièrement, à qui penseriez-vous ? Y'a t-il une interprétation qui vous ait inspirés pour vos personnages dans Victoria ?
Frederick : J’aime les acteurs français. J’adore Jean Reno dans Léon. La manière dont je tiens mon flingue dans quelques plans est d’ailleurs un hommage à ce film. Je ne suis pas du genre à avoir des modèles, mais certains acteurs ne peuvent susciter que mon admiration, comme Edward Norton, Vincent Cassel.
Quels sont vos projets ?
Frederick : Je vais bientôt tourner avec Moritz Bleibtreu. Je ne me rappelle plus du nom du film, mais c’est adapté d’un livre très connu en Allemagne. Ca se passe au 17e siècle, c’est l’histoire d’un mec qui vend son âme. Ca devrait être très dark, très cool.
Laia : Tout le monde me dit que maintenant que j’ai eu un Lola, et que je suis la première étrangère à en obtenir un, plein de portes vont s’ouvrir, mais il y a plein de contre-exemples de comédiens qui n’ont pas forcément fait carrière après un prix d’interprétation. Pour l’instant je n’ai pas de projet mais je choisis de ne pas me prendre la tête avec ça.
Entretien réalisé le 26 Juin 2015. Merci à Céline Petit.