Entretien avec Kristina Buozyté

Entretien avec Kristina Buozyté

La réalisatrice lituanienne Kristina Buozyté se distingue comme un nom à suivre avec son ambitieux et envoûtant film de science-fiction Vanishing Waves. Ce long métrage sort ce mercredi 29 mai en France. Kristina Buozyté a répondu aux questions de FilmDeCulte...

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FilmDeCulte : Quel a été votre parcours avant la réalisation de Vanishing Waves ?

Kristina Buozyté: J'ai étudié la mise en scène à l'Académie de cinéma et de musique de Lituanie. Après avoir réalisé quelques courts métrages, j'ai obtenu mon diplôme grâce à mon premier film The Collectress qui a bien marché en Lituanie (et a remporté le prix du meilleur film aux Silver Crane Awards [l'équivalent lituanien des César, ndlr]) ainsi que dans des festivals à l'étranger comme à Karlovy Vary, Pusan, Sao Paulo, Valence, le Caire, entre autres. Tout cela m'a permis de faire Vanishing Waves. Ma première collaboration avec Bruno Samper, coscénariste sur Vanishing Waves, s’est faite sur The Collectress.

FdC : Le film a un budget modeste mais ne semble jamais cheap. Comment produit-on un tel projet en Lituanie ?

KB: Ce projet m'a pris quatre ans, ce fut un combat long et difficile parce qu'on avait un tout petit budget pour de grandes ambitions. Beaucoup de choses n’ont pu être réalisées que grâce à l'enthousiasme et le soutien de quelques personnes. Dès le début, notre but était de maintenir un niveau de qualité professionnel, et toute l'équipe s'est battue pour ça. Grâce à OKTA, une société lituanienne d'effets spéciaux, qui a collaboré avec les Canadiens de Alchemy24, Cyberpunks (qui sont également lituaniens), et la société de postproduction française La Planète rouge, il a été possible de finir ce film avec le niveau qu'on souhaitait atteindre.

FdC : Aviez-vous des références en termes de science-fiction lorsque vous prépariez Vanishing Waves ?

KB: Pendant que j’écrivais le scenario, je revoyais beaucoup de films de science-fiction pour me rafraichir la mémoire et pour me rappeler de choses qui avait déjà été faites, avec succès ou non. D’ailleurs je ne me suis pas limitée aux films, j’ai également lu des nouvelles de J.G. Ballard, Thomas Pynchon and Hubert Selby Jr. Mais l’histoire, les conditions de tournage et notre budget imposaient leurs propres conditions. Nous n’avions pas les moyens d’être à la pointe de la technologie en matière d’effets spéciaux, mais dès le départ nous avons décidé de rester le plus réaliste possible, en utilisant des décors minimalistes pour mieux consacrer les effets spéciaux au traitement visuel de l’image.

FdC : Votre science-fiction n’est pas du tout froide et clinique mais très sentimentale et même très sexuée. Pouvez-vous nous parler de cet aspect particulier de Vanishing Waves ?

KB: La science fiction est un genre idéal pour explorer différents concepts et pour travailler la matière visuelle. Avec Vanishing Waves, nous n’avons pas simplement voulu faire un film de science fiction, mais explorer certains aspects intangibles de relations humaines : comment rendre visuellement parlantes des choses telles que ressentir la passion et le désir. Ce serait difficile de montrer tout ça de manière froide et clinique (sourire). Ce désir de combiner science et émotions nous est venu en nous penchant sur les avancées scientifiques dans le domaine de la neurologie : comment expliquer la nature des sentiments et des émotions. Chaque action ou sentiment humain est la conséquence d’un processus chimique dans notre système. Ces processus peuvent être analysés et anticipés avec l’aide de différentes théories comportementales. Mais ces connaissances peuvent-elles réellement nous aider à contrôler la nature de nos désirs ? Peut-on vraiment réduire l’essence même d’un être humain à un ensemble de composantes neurochimiques ? De plus, dans la société contemporaine, la technologie se développe très rapidement et les gens sont intimement liés les uns aux autres par delà de longues distances. La proximité et l’intimité physique est de moins en moins indispensable pour avoir des relations profondes avec l’autre. La science-fiction nous semblait être le genre parfait pour aborder toutes ces questions.

FdC : Le film est visuellement ambitieux et impressionnant. Comment s’est organisée votre relation avec votre chef opérateur Feliksas Abrukauskas ?

KB: J’avais déjà travaillé avec Feliksas sur mon précédent film. C’est l’un des jeunes chefs opérateurs les plus doués et professionnels de Lituanie. Notre collaboration a donc commencé sur The Collectress, un film quasiment sans budget où le style visuel était clairement dicté par nos ressources financières. Pour Vanishing Waves, ça s’est passé différemment. Nous avions enfin un budget, ce qui nous a permis de respirer un peu plus ! Bien entendu nous n’avions pas toute la liberté que nous aurions souhaitée, mais au moins nous avions plus d’espace pour mettre en application nos idées visuelles. De plus, Bruno Samper, qui était à la fois coscénariste et directeur créatif, a eu beaucoup d’influence sur l’aspect visuel du film (des décors aux effets spéciaux), de manière à le fois qualitative et créative.

FdC : La séquence de longue poursuite nocturne est particulièrement marquante. Pouvez-vous nous en dire plus sur la mise en scène de cette scène clef ?

KB: Tout est parti de la musique. Je connaissais cette superbe chanson, Lila par le groupe français Limousine, bien avant de tourner cette scène. Le tournage et le montage ont donc été faits en fonction de la musique. J’ai même demandé aux acteurs d’écouter la chanson, pas seulement pour les mettre dans l’ambiance mais aussi pour qu’ils comprennent qu’ils allaient devoir courir assez longtemps. Merci Limousine pour ce morceau magnifique et apaisant !

FdC : Il y a une scène d’orgie dans le film qui m’a évoqué Society de Brian Yuzna. Est-ce une influence revendiquée pour cette séquence ?

KB: Il est devenu très difficile aujourd’hui de parvenir à créer des images entièrement nouvelles, qui ne soient pas susceptibles d’être interprétées comme des références à d’autres films ou œuvres d’art. Les gens ont un champ de références de plus en plus grand et tant mieux. Cela permet d’étendre leur interprétation et compréhension du film qu’ils regardent. Lorsque nous écrivions le scénario, le plus important pour Bruno et moi était que chaque scène devait avoir sa propre signification et devait être indispensable. Nous n’avons pas placé des références çà et là juste pour le plaisir, celles-ci sont plus subtiles ou cachées. J’ai bien sûr vu Society, mais en l’occurrence c’est surtout une question de représentation visuelle. La scène d’orgie et de métamorphoses apparaissait dans le scénario pour symboliser le flux des sensations qui vont et viennent lorsqu’une personne peut complètement se laisser aller dans un océan de sensations. Comme tout se passe dans la tête d’Aurora, tous les autres personnages sont des extensions d’elle-même. Ils sont tous elle. Donc lorsqu’elle atteint le summum de son ressenti et de son plaisir il est naturel qu’elle se mélange à tous ceux qui l’entourent. (sourire)

FdC : Lors de la présentation du film à l'Etrange Festival, votre producteur a dit avec humour: "Nous cherchions la dernière frontière de la science-fiction, quelque chose qui n'avait jamais été encore exploré au cinéma: le cerveau d'une femme nous a semblé correspondre parfaitement à cette définition". Qu'en pensez-vous ? Est-ce réellement le sujet du film à vos yeux ?

KB: Chaque cerveau est unique et digne d’être exploré ! (sourire)

FdC : Quels sont les cinéastes que vous admirez ?

KB: Je pense qu’il est impossible de n’admirer qu’UN SEUL réalisateur, parce que l’histoire du cinéma est remplie de personnes talentueuses qui ont innové et élargi notre vision avec des films très différents. J’aime cet éclectisme, car cela me permet de trouver l’inspiration dans des choses très diverses. Au moment où j’ai commencé à écrire le scénario de Vanishing Waves, j’étais très inspirée par Michelangelo Antonioni. Ce qui me frappe chez lui, c’est sa manière de se baser sur des éléments purement visuels plutôt que sur un scénario (alors que cela devient plutôt la norme aujourd’hui). Quand je regarde un de ses films, je suis complètement absorbée par ce qui se passe sur et derrière l’écran. Et une fois le film terminé, il continue à vivre indépendamment dans ma tête. Je pense qu’un artiste ne peut pas viser plus haut.

FdC : Quels sont vos projets ?

KB: J’espère poursuivre ma collaboration avec Bruno parce que j’apprécie et partage sa sensibilité visuelle très personnelle, et nous avons réussi à construire un langage créatif complémentaire. Je serais très tentée de faire un autre film de science-fiction, j’aimerais adapter Blood Music de Greg Bear. C’est rempli d‘images fortes et puissantes, qui sont accompagnées par des idées philosophiques tout aussi fortes. Je pense que les gens apprécieraient beaucoup cette adaptation. Si jamais un producteur souhaite que je la réalise, qu’il n’hésite pas à prendre contact avec moi ! (sourire).

Entretien réalisé le 14 septembre 2012

par Nicolas Bardot

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