Entretien avec Kim Jee-Woon

Entretien avec Kim Jee-Woon

Le réalisateur coréen Kim Jee-Woon a tenu une conférence à Deauville, à l'occasion de la présentation de son nouveau film, J'ai rencontré le diable, et de l'hommage qui lui est consacré. Morceaux choisis.

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Ses débuts

J’ai toujours aimé voir des films. J’ai commencé à en réaliser après avoir rompu avec ma copine. J’ai causé un accident de voiture, j’avais besoin d’argent. J’ai alors écrit un scénario. On l’a jugé tellement bizarre qu’on m’a proposé ensuite de le filmer moi-même. Aujourd’hui, le cinéma est aussi important pour moi que l’air que je respire. C’est comme un bouclier contre mon envie de me suicider.

Sur le visuel de ses films

Quand j’étais petit, j’adorais dessiner. Je dessinais de la bd. En Corée, dessinateur est considéré comme un métier instable. Un jour, mon père a déchiré mes dessins. Je me souviens avec essayé de les recomposer, mon goût du montage vient peut-être de là ! Une photo peut me servir de point de départ pour un film. C’était le cas pour 2 sœurs. Je suis tombé sur la photo de deux sœurs, se tenant par la main, l’air heureux. C’était une photo, donc une image fixe. Qu’est-ce qui s’est passé avant cette image ? Qu’est-ce qui se passe après ? Et comment, d’une photo aussi belle, suis-je arrivé à un film aussi sombre ? Dans ce cas là, je pense qu’il faut rester fidèle à sa propre interprétation d’une œuvre. Pour A Bittersweet Life, je suis parti d’une peinture de Hopper, de la solitude urbaine qui s’en dégage. Que peut ressentir cet homme, de dos, sur cette peinture ? Pour moi, A Bittersweet Life est presque un film sur le dos d’un homme.

Sur la préparation de ses films

Le story-board est pour moi une base, comme une autoroute sur laquelle on va circuler. Mais l’essentiel se passe sur le tournage. Je suis très sensible à ce que peuvent raconter des éléments du décor, des costumes. Ça peut paraître ridicule mais c’est comme s’ils me parlaient.

Comment filmer l'action

La scène d’évasion dans A Bittersweet Life était très simple, à l’écriture. On a tourné près de Séoul, dans une usine de sacs. Comment utiliser cet espace ? Comment apporter du neuf à une telle scène ? On a cherché des armes originales, c’est pour ça que le héros se bat avec des bâtons enflammés. L’usage de la caméra dans des espaces exigus a été un casse-tête avec le chorégraphe. Mais pour moi, un bon réalisateur cherche toujours les problèmes. C’est une façon de stimuler la créativité. Entre la préparation et le tournage, cette scène nous a demandé 2 semaines de travail. Lee Byung-hun [ndlr : le comédien du film] a déclaré que cette seule scène avait été plus dure à tourner que dix films entiers.

Sur ses influences

Sur A Bittersweet Life, j’ai voulu faire un mélange entre le cinéma de Jean-Pierre Melville et Kill Bill de Quentin Tarantino. Sur Le Bon, la brute et le cinglé, j’ai voulu mélanger les arts martiaux et le western européen. J’ai toujours aimé le western. Mais j’avais l’impression que c’était un genre éloigné des goûts du public d’aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai voulu rajouter ces éléments pour dynamiser le film. Le Bon, la brute et le cinglé n’a pas été réalisé avec un budget hollywoodien. On n’avait pas le budget de Spiderman. On n’a pas eu le matériel qu’on voulait, et on a dû faire avec. Il y a très peu d’effets spéciaux dans les scènes d’action, on se servait notamment de câbles. On a peut-être parfois été un peu inconscient mais le résultat était finalement plus fort car plus brut.

Sur le choix des genres

Pour moi les genres sont liés à différentes peur. Le film d’horreur est sur la peur en tant que telle. La science fiction parle de la peur du futur. Le polar traite de la peur de notre côté sombre. Le mélo parle de la peur suscitée par la perte de l’amour. Peut-être ferai-je un mélo prochainement ? Ou un film de science fiction parlant de la peur des catastrophes naturelles ? Changer de genre, c’est aussi une façon d’échapper au film précédent. Après 2 sœurs, film très féminin, je voulais faire un film d’homme. Après A Bittersweet Life, film très intérieur, j’ai voulu faire Le Bon, la brute et le cinglé, beaucoup plus « extérieur ». C’était un film très spectaculaire, basé sur le visuel. J’ai voulu faire ensuite quelque chose de plus dense et précis : J’ai rencontré le diable. Mon prochain film sera peut-être sur un ange !

Sur J’ai rencontré le diable

C’est le premier de mes films dont je n’ai pas écrit le scénario. Il a fallu que je m’approprie cet univers sombre qui ne m’appartenait pas. J’ai rencontré le diable existe en réaction aux films de vengeance qui, à mes yeux, ne vont pas jusqu’au bout de leur propos, freinés par la morale. Ici il n’y a aucun salut de l’âme, jusqu’à ce que le héros devienne lui-même un monstre. Sur J’ai rencontré le diable, j’ai pensé aux propos de William Friedkin au sujet de L’Exorciste, sur sa volonté de faire un film où il serait impossible pour le spectateur de détourner les yeux de l’écran.

Sur ses projets

Je n’ai aucune garantie (ndlr : sur The Last Stand, son premier projet américain). Tout dépend de Liam Neeson, dont l’agenda est très chargé. Je ne sais pas si je parviendrai à m’exprimer comme je le souhaite dans le cadre d’une production américaine mais s’ils m’ont appelé, j’imagine que c’est qu’ils veulent que je fasse ça à ma façon.

par Nicolas Bardot

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