Entretien avec Juliana Rojas et Marco Dutra

Entretien avec Juliana Rojas et Marco Dutra

Juliana Rojas et Marco Dutra, réalisateurs brésiliens, signent leur premier long métrage avec Trabalhar cansa (Travailler fatigue), intrigant mélange d'horreur, de réalisme social et de comédie sélectionné à Un Certain Regard. Le film sort le 11 avril. FilmDeCulte les a rencontrés!

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FDC : Quel était le point de départ de Travailler fatigue ? Qu’est ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire en particulier ?

Marco Dutra & Juliana Rojas: On a eu peu de temps pour décider du sujet de notre premier film. En 2007, on a été sélectionnés à la Semaine de la critique avec notre court Um Ramo, et on voulait en profiter pour présenter notre projet de long-métrage à la productrice Sara Silveira, et qu’elle puisse commencer à travailler dessus tout de suite. On a imaginé plusieurs synopsis et on en a choisi un écrit par Juliana : l’histoire d’une femme qui décide d’ouvrir une épicerie de quartier. On trouvait ce personnage très intéressant et c’était un univers qui nous parlait (des membres de nos familles ont vécu des histoires similaires). L’idée, c’était de raconter l’histoire d’une famille avec un coté sombre (comme ce qu’on a fait dans nos courts-métrages), mais cette fois en parlant également de la difficulté d’entrer pour la première fois dans le monde du travail.

FDC : Ce n’est pas très commun de réaliser un film à quatre mains. Comment vous répartissez-vous le travail ?

MD & JR: Justement, on ne répartit jamais rien. On fait tout à deux, dès la pré-production, même si ça nous arrive d’écrire chacun de notre coté, ou de diviser les taches pour des raisons pratiques, évidemment. Mais sinon on travaille tous les deux avec les acteurs et le reste de l’équipe, et quand on a un doute sur une scène on arrête tout pour en parler tous les deux. C’est un processus particulier, mais ça fait dix ans qu’on travaille comme ça, et on s’en tire de mieux en mieux.

FDC : Quels ont été vos parcours avant ce premier long-métrage ?

MD & JR: On est tous les deux diplômés de l’école de cinéma de São Paulo (ECA-USP), et on a réalisé plusieurs courts-métrages ensemble. Le dernier film d’école qu’on ait réalisé s’appelait Le Drap blanc (O Lencol Branco), et il a été sélectionné par la Cinéfondation à Cannes (en 2005 ndlr). Après cela, on a réalisé Un rameau (Um Ramo), qui était la Semaine de la critique en 2007 et qui y a remporté le Prix Découverte. Nos autres courts-métrages s’appellent As Sombras, Vestida et Concerto Nùmero Três. Ça nous arrive de travailler comme scénaristes ou monteurs pour d’autres réalisateurs, mais rarement ensemble. Marco a écrit pour des séries télé et le cinéma, et Juliana a monté de nombreux documentaires, entre autre.

FDC : Vous avez dit en interview être fans de films d’horreurs. Y en a t-il qui vous aient particulièrement servi d’inspiration pour Travailler fatigue ?

MD & JR: Pas particulièrement… On adore George Romero, John Carpenter, M.Night Shyamalan et Wes Craven. On aime aussi énormément ce que Cronenberg et Polanski ont fait autour du genre. Mais on n’a pas vraiment utilisé de références spécifiques pour Travailler fatigue, cela dit c’est sans doute possible d’y trouver des traces des réalisateurs qu’on admire.

FDC : Dans votre film, la dimension fantastique est bien présente tout en restant subtile, avec très peu d’effets spéciaux. Est-ce que c’est votre manière préférée d’aborder le fantastique ou est ce que c’était ce qui correspondait le mieux à cette histoire en particulier ?

MD & JR: Tout au long de l’écriture du scénario, on laisse l’histoire nous guider et décider d’où vont venir les éléments fantastiques. Cette dimension fantastique s’est précisée au fil des réécritures, et à notre sens elle devait rester subtile et non pas spectaculaire. Mais on apprécie tout aussi bien des formes de fantastique beaucoup plus explicites, comme par exemple dans L’Amie mortelle de Wes Craven. Il faut trouver la forme qui correspond le mieux à l’histoire.

FDC : L’épilogue est l’une de scènes les plus marquantes du film. Cette scène faisait-elle partie du scénario dès le départ ? D’après-vous, qu’est ce qui la rend si particulière ?

MD & JR: Oui, cette scène faisait partie du film dès les toutes premières versions du scénario. Au début, on n’était pas très surs que le personnage du mari aurait autant d’importance que celui de la femme. C’est clairement Helena qui mène de récit, mais on trouvait que cette dernière scène avec le mari résonnait de manière intéressante avec ce que disait le film. Et comme c’est un peu une scène-choc, ça nous a paru important de la mettre à la fin.

FDC : Que signifie pour vous le titre du film ?

MD & JR: Le titre vient d’un poème de l’écrivain Italien Cesare Pavese, qui s’appelle Lavorare Stanca. L’histoire de notre film n’a rien à voir avec celle du poème, mais on aime beaucoup Pavese, et son poème a quelque chose de très mélancolique, un peu comme dans le film. Malheureusement quand il a fallu trouver un titre international en anglais, on n’ a pas trouvé de formule aussi forte (le titre international est Hard Labor ndlr).

FDC : Cela a-t-il été facile de faire financer un projet qui mélange réalisme social, horreur et humour ?

MD & JR: On a eu la chance d’avoir deux excellentes productrices, Sara Silveira et Maria Ionescu, et leur maison de production Dezenove Som e Imagens. Elles ont été d’une aide décisive pour obtenir des financements du gouvernement brésilien. Certes l’argent donné pour financer le film était déductible des impôts, et ça a peut-être motivé certains, mais ce qui nous donne confiance en la solidité de notre projet, c’est qu’il n’a pas été long à financer, justement : il n’a fallu que deux ans pour réunir les fonds, ce qui est très court pour le Brésil.

FDC : Travailler fatigue est passé par Paris Project, la plateforme de financement du festival Paris Cinéma. Pouvez-vous nous en expliquer le fonctionnement ? Comment cela vous a-t-il aidé ?

MD & JR: Juliana s’est rendue à Paris Project avec le scenario en 2009, et Marco y est retourné en 2010 avec une copie promo du film, qui venait d’être tourné mais pas encore monté. C’était une grande opportunité que de pouvoir faire lire le scénario à d’éventuels co-producteurs, puis de revenir leur montrer ce qu’on avait fait. Ça nous a beaucoup aidés pour finir le film, et on est très contents de pouvoir revenir au festival avec le film terminé. Ça nous a également permis d’entrer en contact avec Urban Distribution, qui va s’occuper des ventes internationales, et Bodega, notre distributeur en France. Paris Project a joué un rôle très important dans la carrière du film.

FDC : Comment avez-vous réagi à l’annonce de votre sélection à Cannes ? Comment le film a-t-il été reçu là-bas ?

MD & JR: On savait qu’on aurait peu de chances d’être sélectionnés , d’une part parce qu’ils reçoivent un très grand nombre de films, mais aussi parce qu’il y avait beaucoup de bons films brésiliens qui leur ont été présentés. On était très heureux d’avoir été retenus, et on espérait surtout être à la hauteur, et que notre film plairait au public. Heureusement pour nous, le film a été très bien reçu. Chaque séance était complète et personne n’est parti durant les projections (ce qui pour nous est très bon signe). Le film a été applaudi et a eu des bonnes critiques. Tout le monde n’a pas aimé le film, mais on a eu l’impression que tout le monde s’accordait à dire qu’il s’agissait d’un film difficile à oublier. On été très contents des réactions suscitées, parce qu’on n’avait aucune idée de comment le public allait réagir. Et puis la présentation à Cannes a été la toute première projection du film, même pour l’équipe !

FDC : Vous avez annoncé que votre prochain projet serait un film d’horreur avec un coté romantique. Pouvez-vous nous donner quelques précisions ?

MD & JR: Cela s’appellera As Boas Maneiras (Les Bonnes manières). On est justement en train de travailler sur la seconde version du scénario. Ce sera l’histoire d’une femme qui doit élever un enfant qui n’est pas le sien. C’est une histoire assez délicate, mais en même temps plus franchement horrifique que Travailler fatigue. Du moins, c’est ce qu’on espère !

par Gregory Coutaut

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