Festival du Film Policier de Beaune: Entretien avec Johnny Ma

Festival du Film Policier de Beaune: Entretien avec Johnny Ma

Old Stone, réalisé par Johnny Ma, a été remarqué à la Berlinale l'an passé. Ce mélange de drame social, thriller et film d'horreur raconte l'histoire d'un chauffeur de taxi dont la vie s'écroule le jour où il renverse un homme qui tombe dans le coma. Le jeune réalisateur chinois présente son film cette semaine au Festival du Film Policier de Beaune. Il nous parle de la genèse de ce projet (initialement écrit... pour Michael Shannon !), de ses inspirations ou encore de son amour pour Ozu...

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Pouvez-vous nous raconter ce qui vous a inspiré Old Stone?

L'idée de Old Stone est venue d'un article de journal, racontant l'histoire d'un camionneur qui a percuté un homme en pleine nuit. Mais au lieu de lui porter secours, sachant que personne ne l'a vu, le chauffeur a pris la décision de rouler une seconde fois sur l'homme afin de le tuer. Après enquête de la police, le chauffeur a avoué son crime en expliquant son acte de manière tout à fait concrète : si sa victime avait survécu, le chauffeur aurait été contraint à payer les soins médicaux pour le reste de sa vie. En cas de mort, en revanche, le chauffeur n'aurait qu'à payer une compensation moindre à sa famille. Après avoir observé ces options, le chauffeur a décidé qu'il était tout simplement plus pratique de tuer quelqu'un que de sauver une vie. Cette décision m'a glacé le sang... parce que je comprends tout à fait ce raisonnement. Je me suis demandé ce que j'aurais fait à sa place. Et j'ai été effrayé de me rendre compte que je n'avais pas vraiment de réponse à ma question.

Mais à la base, Old Stone n'était pas pensé pour être tourné en Chine. La première version du scénario a été rédigée pour Michael Shannon et aurait dû se dérouler dans la ville de Detroit. A l'époque, j'étais en Chine sur un autre projet qui devait être mon premier film. Celui-ci a été repoussé à plusieurs reprises, les investisseurs trouvaient qu'il faisait trop "cinéma d'auteur". Ça m'a frustré, et j'ai du coup décidé de partir sur un projet plus petit et plus facile à monter. J'ai réécrit l'histoire de Old Stone en la déplaçant en Chine, dans une ville où il était possible de filmer.

Votre film mélange le drame social, le thriller et l'horreur. De quelle façon l'utilisation de ces différents genres s'est imposée pour raconter cette histoire en particulier ?

Quand on filme on a naturellement envie de se lancer des défis pour explorer toutes les possibilités offertes par le cinéma. J'avais envie de tester cela avec Old Stone, ça pouvait être intéressant. Mais il y avait aussi une raison tout à fait pratique. Mon précédent projet n'a pu être financé parce qu'il s'agissait d'un drame familial, et les investisseurs pensaient qu'il n'y avait pas de place sur le marché pour un tel film. La manière d'accrocher ces investisseurs, avec Old Stone, c'était les éléments de cinéma de genre. En fait, ce mélange de genres était à la fois un challenge lancé à moi-même en tant que cinéaste, mais aussi un moyen concret pour obtenir un financement.

Il y a des images mentales et récurrentes qui sont utilisées dans votre film. Comme ces plans d'arbres balayés par le vent et que l'on voit dès l'ouverture. Cela crée une tension à la fois étrange et mystérieuse. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre utilisation de ces plans?

J'ai le sentiment que mettre en scène constitue une expérience tout à fait organique. L'environnement peut changer l'histoire, et inversement. C'est pourquoi j'ai tenu à utiliser tout ce que les lieux de tournage avaient à offrir. Les bambous qu'on voit dans le film sont célèbres parce qu'ils ont déjà servi de décor pour la séquence dans les airs de Tigre et dragon. Nos guides ont insisté en nous disant que si nous voulions de "belles" images, nous devions filmer là. Mais personnellement, j'ai ressenti quelque chose de beaucoup plus sombre et mystérieux en voyant ces arbres. J'ai davantage pensé à l'ouverture d'Apocalypse Now, avec cette jungle avant qu'elle ne soit envahie par les bombes. Cela a servi d'inspiration pour le film. C'est dans ces arbres que j'ai cherché les ténèbres de cet homme. Ce n'est pas expliqué dans le film, mais avec un peu de chance le public pour le sentir.

Le titre original de votre film est Lao Shi, et il s'agit également du nom de votre personnage principal. Pouvez-vous nous expliquer le choix de votre titre international, Old Stone?

On s'est beaucoup questionné sur ce titre international. Lao Shi est le nom du héros, et en chinois ce nom signifie littéralement "vieille pierre". Mais il y a un double sens car cela peut également évoquer une certaine forme d'honnêteté, avec une nuance de naïveté. Cela ne peut être compris que si vous êtes Chinois. Mais même avec ce titre de Old Stone, je pense que le public étranger peut deviner que ce personnage appartient au passé. C'est un héros tragique, qui ne peut plus survivre dans notre société moderne.

Aviez-vous des références en tête lors de la préparation de Old Stone?

Les références peuvent être très utiles ! Mais parfois, quand on en a trop, cela peut créer une confusion avec vos collaborateurs quant à ce que vous désirez vraiment en tant que réalisateur, et lorsqu'on n'en a qu'une, votre film risque d'être un simple décalque du modèle. Lors de mes précédents courts, généralement, je prenais trois ou quatre films que je montrais à mon équipe pour qu'ils sachent que notre film se situera quelque part entre ces différentes œuvres.

Au sujet de Old Stone, j'ai pensé au film roumain Mère et fils pour son histoire et la façon dont la tension est construite, les films chinois Black Coal pour sa palette de couleurs et sa photographie et A Touch of Sin pour son sentiment de colère, et enfin le film coréen Sea Fog pour ses extraordinaires scènes d'action. Si vous y regardez de plus près, Old Stone vit parmi ces films, en plein milieu.

Quels sont vos cinéastes favoris?

Je suis un très grand admirateur d'Abbas Kiarostami, Werner Herzog, Aki Kaurismaki et Yasujiro Ozu. Mon dieu Ozu, c'est un réalisateur unique en son genre. Il n'y a pas un réalisateur qui s'approche de l'humanité et de l'éloquence de sa mise en scène et de ses histoires. Je pense que tous les réalisateurs devraient chercher une telle pureté dans l'art de raconter, mais je ne sais pas si l'un de nous aurait la discipline et le courage de le faire aussi simplement qu'Ozu. C'est le maître.

Avez-vous de nouveaux projets?

Oui, je vais travailler dès le mois prochain en Chine sur mon nouveau projet. Il s'agit en fait du film que je devais réaliser avant Old Stone. J'espère avoir plus de chance cette fois ! Il s'intitulera Ten Thousand Happiness et racontera l'histoire d'une riche famille chinoise confrontée à la décision du grand-père qui, à 80 ans, demande le divorce. Cela parlera de la relation de chaque génération au mariage et au bonheur dans la famille chinoise contemporaine et pékinoise. Je suis très enthousiaste à propos de ce projet et j'espère pouvoir le montrer au plus vite. Old Stone est né de ma frustration et c'était un film sur la colère, Ten Thousand Happiness fera, je l'espère, naître des sourires et verser des larmes. Ce sera mon Ozu !

Entretien réalisé le 8 mars 2016. Un grand merci à Jing Wang.

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par Nicolas Bardot

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