Festival de Gérardmer: Entretien avec Hédi Zardi

Festival de Gérardmer: Entretien avec Hédi Zardi

Après notre premier entretien à l'occasion du 20e anniversaire du Festival de Gérardmer, Hédi Zardi, programmateur du festival, nous parle des temps forts de la 21e édition qui débute ce mercredi 29 janvier ! Challenges, tendances et coups de coeur: gros plan sur la programmation 2014...

  • Festival de Gérardmer: Entretien avec Hédi Zardi
  • Festival de Gérardmer: Entretien avec Hédi Zardi

Tout d’abord quel bilan avez-vous tiré de l’édition anniversaire de l’an passé ?

On est très content que le Grand Prix, Mama, ait rencontré un succès public. You’re Next a connu une belle sortie française. C’est bien que des films qui étaient au palmarès aient attiré l’adhésion du public et de la presse aussi. Le bilan est bon, ça a suscité la curiosité, l’envie de partenaires de revenir cette année et c’est plutôt bien !

Avez-vous de regrets au sujet de la sélection 2013 ou au contraire est-ce qu’il y a des paris qui ont particulièrement bien marché à vos yeux ?

Le pari c’est toujours de continuer ! Chaque fois qu’on y arrive c’est déjà bien. C’est un festival avec un public très présent, curieux, exigeant. L’idée c’est de toujours trouver le meilleur de ce qui se fait en cinéma de genre et ça c’est toujours un pari. Cette année on est vraiment ravi de notre compétition. Le cinéma de genre connait des petits problèmes en termes de production selon les pays mais on est très heureux d’avoir par exemple trouvé plusieurs production francophones et françaises, d’avoir des films asiatiques très forts, d’avoir des challenges comme la présentation juste après sa première mondiale à Sundance de The Babadook, un premier film australien qui sera en compétition. D’avoir également après sa présentation à Sitges et Toronto The Sacrament de Ti West qui a encore très peu tourné en festivals qu'on aura en première française. On a également en exclusivité mondiale les 13 premières minutes en 3D de la suite de 300, 300 - La Naissance d'un empire et on sait que ça fera plaisir à tous nos festivaliers.

Il y a beaucoup de premiers films cette année en sélection. Est-ce que ça traduit un renouveau que vous avez noté au fil des visionnages lors de la composition de la sélection ?

Clairement ! Le genre regagne l’adhésion du public et de la presse quand il est repris en main par les auteurs. C’est ce qui est en train de se passer. Quand Marina de Van refait un film de genre, elle le fait brillamment et je pense qu’elle aura l’adhésion de la presse et j’espère du public. Lorsque le réalisateur du court métrage Tommy, Arnold de Parscau, prend en main les codes du genre pour son premier long, c’est passionnant, lorsque Jennifer Kent signe avec The Babadook sa première réalisation, la presse à Sundance a été dithyrambique. Ce qui est bon signe également c’est de voir un auteur « vétéran » comme le Japonais Sabu qui revient avec Miss Zombie, qui est un film exigeant, en noir et blanc tout simplement incroyable. Les premiers films traduisent le fait que des jeunes s’accaparent le genre, et c’est bon signe car ils le font intelligemment. L’autre bonne nouvelle c’est que des auteurs plus expérimentés comme Sabu ou Ti West viennent ou reviennent au genre, ce qui est aussi très bon signe parce que le cinéma de genre va allier chez eux codes du genre et réelle mise en scène, là encore avec intelligence.

Il y a aussi cette année beaucoup plus de réalisatrices. Dans le cinéma de genre il y a encore moins de réalisatrices qu’ailleurs. Là cette année il y a plusieurs réalisatrices en compétition, il y en a aussi hors compétition ou dans les courts. La majorité sont des 1er ou 2e film. Avez-vous le sentiment que les lignes bougent à ce sujet ?

Carrément. C’était très intéressant d’avoir eu Marina de Van lors des Rencontres du fantastique l’année dernière où on l’a questionnée sur la notion du genre au cinéma. Elle a parlé et partagé avec le public au sujet de ses peurs d’enfance, de ce qui a éveillé en elle le désir de devenir réalisatrice, de faire du cinéma de genre. Et quand on voit son film, c’est passionnant de voir que tout ce qu’elle a décrit, elle l’a traduit à l'écran. Je ne pense pas que la mise en scène soit quelque chose de "sexué" mais l’approche est peut-être différente. Est-ce qu’elles osent plus ? Les femmes réalisatrices montent en puissance parce qu’elles apportent le renouvellement d’un point de vue. Elles donnent de l’épaisseur aux personnages. Cette question-là se pose. Est-ce qu’elles apportent quelque chose de différent ? En tout cas il y a une diversité dans un genre qui était jusqu’à présent très masculin.

Il y a ces dernières années un revival du film d’horreur hong-kongais. Un film comme Dream Home est passé en compétition à Gérardmer. Cette année Rigor Mortis est en compétition et les deux anthologies Tales From the Dark sont hors compétition. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette résurgence et sur ces films que vous avez sélectionnés ?

A Hong-Kong on a l’impression que ces réalisateurs osent. Esthétiquement c’est très audacieux, très poussé, ça peut être excessif mais c’est assumé. Ce sont des réalisateurs visionnaires avec des partis-pris esthétiques extrêmes et forts. On peut le dire sur le cinéma asiatique en général en incluant Miss Zombie. Sur le cinéma de genre américain, on est plus sur du cinéma narratif avec une illustration judicieuse des codes du genre. C’est aussi très jouissif et cathartique.

L’an passé vous nous disiez que la diversité au sein de la sélection était une de vos principales satisfactions. Est-ce que vous avez le sentiment d’avoir pu être aussi éclectique cette année ?

Oui. Et on l’affirme encore plus. Across the River c’est un film très subtil, très sensoriel, très fin dans sa mise en scène et c’est très bien d’avoir des films comme ça. A l’opposé, All Cheerleaders Die est beaucoup plus évident. Il y a tous les extrêmes dans la sélection, et c'est une chose qu’il faut maintenir car ça nous permet de toucher un public plus large. Almost Human est un hommage aux slashers des années 80, les fans vont aimer, certains seront peut-être perturbés par le huis-clos de Coherence qui stimule un peu plus l’imagination. L’Etrange couleur des larmes de ton corps est dans des références très esthétiques, hypnotiques, et en même temps Halley traite du zombie de façon très sobre et poétique. C’est bien que le festivalier puisse passer de l’un à l’autre. De la science-fiction de The Machine ou l’impressionnant thriller horrifique Mindgame qui fait l’ouverture en passant par Sonno profondo qui est un exercice de style en hommage au giallo, très esthétique, sans dialogue et très épuré. Patrick est un remake du classique de 1978 avec une mise en scène forte, Tombville est très sombre et intense… si on se limite à une seule facette du cinéma de genre, on s’ennuirait ! Parce qu’on ne va toucher qu’un public-niche. Ablations ou Miss Zombie vont peut-être déconcerter une partie du public qui sera ravi de retrouver Ti West, qui est attendu et apprécié. Mais si on ne stimule pas la curiosité… On n’est pas au cinéma où l’on paye un billet pour voir un film en particulier, si on prend un pass festival c’est qu’on accepte d’être un petit peu guidé vers des choses qu’on n’irait peut-être pas forcément voir. C’est le rôle de tout festival quel que soit le genre. Et on continuera même si ça peut faire râler certains.

Comment s’est effectué le choix de Jan Kounen à la tête du jury ? Qu’est-ce qu’un bon président du jury pour vous ?

Il représente tout ce qu’il y a de bon. C’est quelqu’un d’audacieux dès ses premiers courts métrages, qui vient de la génération des VHS et ciné-clubs et il est très cinéphile. On parlait de diversité et d’audace, c’est un réalisateur qui peut faire Dobermann comme Coco Chanel et Igor Stravinsky, dans lequel on peut retrouver certaines des obsessions de son cinéma à travers le portrait de deux artistes hantés par leur art. C’est quelqu’un qui va faire 99 francs et un documentaire sur le chamanisme. Il est curieux, ouvert, c’est un auteur et c’est quelqu’un qui fédère. C'est-à-dire que c’est une personne très posée, qui saura dialoguer avec son jury et c’est important. Je ne pense pas que Jan s’attende à voir quoi que ce soit de prédéfini, il est très ouvert et il accepte qu’on l’amène là où il ne s’attendait pas. Ça, ça en fait un très bon président du jury.

Est-ce que vous pouvez nous en dire plus sur Métamorphoses qui a été ajouté en sélection il y a quelques jours et sur lequel les informations sont rares ?

On l’a vu après la conférence de presse, c’est un court métrage très audacieux avec 6 poèmes lus par des acteurs connus. C’est un projet qui a été présenté à Beaubourg. Ces poèmes sont illustrés par la métamorphose des visages mutants de ces comédiens qui se transforment de façon bluffante. C’est très beau, avec une composition musicale faite pour le film et ce sera visible en fin de festival pour ceux qui accepteront de voir quelque chose de différent. C’est une production française et c’est bien de voir des artistes tenter des oeuvres aussi audacieuses. C’est une vraie proposition.

L’an passé vous avez organisé une belle rétro consacrée à Taboada. Cette année il n’y a pas de rétrospective de ce type. Est-ce que ça a été trop compliqué à organiser, est-ce que ça demande des moyens et du temps qu’il a été impossible de réunir cette année ?

En général le cinéma de patrimoine est difficile à montrer. Ça demande des moyens et ça intéresse hélas moins les gens. Cette année, comme on a le bonheur d’accueillir Kim Jee-Woon, c’était important de montrer ses films à lui. On ne fait pas découvrir d’anciens films comme on a fait avec Taboada mais on célèbre un autre cinéaste. Il y a des années où on arrive à le faire, ça dépend des rencontres.

Est-ce qu’il y a des films que vous auriez aimé sélectionner et qui ont été impossibles à avoir ?

Aah ! Des films américains, pour des raisons de droit. Certains qui sortent beaucoup plus tard ou sont très protégés. Et parfois on n’a pas le film qu’on souhaite.

J'imagine qu'il est difficile de rentrer en détails sur les films de la compétition mais pouvez-vous nous parler de vos coups de cœur ?

Ah je peux vous donner envie de voir tous les films en compétition ! Ablations est un premier film français écrit par une des plumes de Groland, Benoit Delépine. C’est réalisé par Arnold de Parscau qui était venu avec son court Tommy. C’est un premier long surprenant et on l’a en première mondiale, c’est à découvrir. Dark Touch est le nouveau film de la reine française du cinéma de genre, Marina de Van. Tout ce qu’elle fait me passionne. Miss Zombie, avec son noir et blanc audacieux, est prenant dès sa première image. Rigor Mortis c’est une production Takashi Shimizu qui est une référence. The Babadook est la première réalisation de l’Australienne Jennifer Kent, c’est un film qu’on a eu in extremis, pendant des mois on a essayé de le voir et la production nous a fait confiance pour qu’on puisse l’avoir juste après Sundance. Last Days on Mars, l’année du succès de Gravity, est un film qui se passe sur Mars avec un casting 5 étoiles et un vrai directeur d’acteur derrière la caméra. The Sacrament c’est Ti West, produit par Eli Roth, et Ti West + Eli Roth = Gérardmer, c’était évident. Et le spécialiste de l’horreur Jim Mickle vient avec We Are What We Are, un film sur le cannibalisme qu’on veut depuis un an et on est ravi de la présenter.

Across the River c’est une véritable expérimentation très épurée. Almost Human on l’adore parce que c’est vraiment hautement référencé années 80, c’est un vrai film de cinéphile sur le slasher et c'est jouissif. Comme All Cheerleaders Die qui est un film d’horreur à l’humour noir. Discopathe de Renaud Gauthier (qui sera à Gérardmer) est un film où la musique disco réveille chez un homme des envies de meurtre. Le réalisateur a fait tout un travail sur la pellicule qui est totalement usée avec un aspect années 70. Coherence est un huis clos qui se déroule une nuit où une comète se rapproche de la Terre. C’est un thriller de science-fiction qui éveille beaucoup de curiosité car tout se passe hors champ. L’Emprise du mal est co-scénarisé par Juan Carlos Fresnadillo qui est le réalisateur d’Intacto, 28 semaines plus tard et Intruders. L’Etrange couleur des larmes de ton corps c’est vraiment le retour des enfants prodiges du film Amer qui a beaucoup marqué et ils reviennent avec un univers aussi poussé et pointu que leur premier film. Halley c’est ce film mexicain sur le quotidien d’un mort vivant, c’est produit par Carlos Reygadas. Guillaume Lubrano vient nous présenter en exclusivité les deux premiers épisodes de la saison 2 de Métal Hurlant Chronicles. Patrick est un remake rétro du classique des années 70, Sonno profondo c’est un hommage visuel et sonore au giallo, très intéressant et prenant. The Machine, pour ceux qui aiment les films plus classiques c’est de la pure science-fiction rétro-futuriste. The Station c’est fait par le réalisateur de Rammbock, Marvin Kren, qui raconte l’histoire d’une équipe de chercheurs dans les hautes montagnes. Le film est très impressionnant. Nicolas List, qui était auparavant en compétition court métrage, revient avec un film très sombre et horrifique, Tombville. On avait passé VHS, on passe VHS 2, pas seulement parce que c’est la suite mais parce que c’est très efficace et très plaisant. Jack et la mécanique du cœur c’est le film pour les enfants et les grands. Lors de la nuit décalée il y aura la diffusion du carton américain Sharknado, et dans la lignée de ces films décalés voire Z il y aura Big Ass Spider et Bounty Killer. Emmanuel Rossi nous prépare une nouvelle nuit de bandes annonces avec les Trailers de la peur et on lui a demandé d’être encore plus audacieux, kitsch et horrifique que l’année dernière.

Pour les courts métrages, il y a comme un effet Gravity et ce qui est intéressant c’est qu’ils ont tous été faits en même temps. Les gens s’intéressent à ce qui se passe dans l’espace. Il y a une jeune génération de réalisateurs français qui se donnent les moyens, leurs courts sont audacieux et surprenants. En ouverture, nous avons Mindscape qui est le premier film de l’assistant de Pedro Almodovar, Guillermo Del Toro et Baz Luhrmann, il réunit Mark Strong et Brian Cox dans une production espagnole tournée en anglais. Et la clôture, Kiss of the Damned, c’est une approche du vampirisme avec un casting très Frenchy par la réalisatrice Xan Cassavetes, la fille du couple mythique. Roxane Mesquida viendra présenter le film qui, pour le coup, a peut-être une approche particulièrement féminine. C’est un film d’auteur très particulier, peut-être que certains n’aimeront pas… mais tant pis !

Entretien réalisé le 27 janvier 2014. Un grand merci à Clément Rébillat.

Et pour ne rien louper de nos news, dossiers, critiques et entretiens, rejoignez-nous sur Facebook et Twitter !

par Nicolas Bardot

Commentaires

Partenaires