Entretien avec Guillaume Pierret (Balle Perdue)

Entretien avec Guillaume Pierret (Balle Perdue)

Guillaume Pierret sort le 19 juin son premier long-métrage, le film d’action ensoleillé Balle Perdue. En tant qu’ami de FilmDeCulte – et membre éminent de son forum – il était normal qu’il débriefe avec nous comment il est passé de ses courts-métrages à cet actioner sétois dynamique et généreux.

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Ce film c’est l’aboutissement d’un parcours avec ton producteur Rémi Leautier, que tu connais depuis longtemps. Peux-tu me parler de votre amitié et de votre collaboration ?

On ne se rappelle même pas comment on s’est rencontrés avec Rémi parce qu’on avait un an ! On était voisins, amis, on est les plus vieux potes du monde. On a grandi à Pau. On aimait les mêmes films à l’adolescence : les films d’action, les films HK. Moi j’avais toujours eu envie de faire du cinéma et Rémi avait toujours eu envie d’être devant la caméra, il pensait qu’être acteur c’était son destin. Un jour on est sortis d’une séance de Danny the Dog (de Louis Leterrier, 2005 - NDLR) et là on s’est dit « Stop, maintenant on fait notre truc ». Rémi faisait du kung-fu, moi on m’avait prêté un caméscope, et on s’est lancés sans se poser de questions. On a tourné un court-métrage par an de 2004 à 2011, et à chaque fois on repoussait la barre. Sans le savoir, Rémi produisait déjà les films : il ne trouvait pas l’argent car il n’y en avait pas mais il trouvait les décors, il organisait toute la logistique, c’est quelque chose qui lui plaisait et qui lui correspondait davantage car… il était pas très bon comédien. Il a continué dans cette voie de producteur et moi de réalisateur et notre objectif c’était vraiment de faire un nombre très déterminé de courts et de s’arrêter quand on aurait fait un court vraiment pro, qu’on a fait en 2011 avec Matriarche.

Tu es un fruit d’un format, le Mini-DV, et de forums internet : Le Forum des vidéastes amateurs, Le Repaire, et surtout le fameux forum FilmDeCulte dont plusieurs membres ont fait des longs ou vont en faire un. Qu’est-ce que ces lieux d’échange t’ont apporté ?

Quand j’ai tourné mon premier court-métrage, un film de baston dans les bois, on était convaincu d’avoir fait un truc incroyable. « Faut qu’on l’envoie à Besson de suite ! » J’étais pas sur internet à ce moment donc je ne savais pas ce qui se faisait en court-métrage ailleurs. Et je suis tombé sur le Forum des Vidéastes amateurs (FVA) où j’ai découvert des courts, dont le tien, Minimum Overdrive, ou ceux de Daniel Brunet et Nicolas Douste qui étaient tous incroyables pour l’époque. J’ai pris une énorme claque, j’ai compris que j’étais pas au niveau. Et il y a eu une sorte d’émulation positive. Ces forums m’ont énormément appris sur la technique de différents réals qui sont devenus des potes. Avoir l’avis de ces gens-là a beaucoup compté pour moi. Le FVA a finit par fermer. Et j’ai atterri sur le forum FilmDeCulte recommandé par Daniel Brunet et Nicolas Douste. J’ai retrouvé des gens que je connaissais déjà, dont Olivier Servieres et toi, et là… bah on était adultes quoi, on était professionnalisés, on essayait de faire notre trou. On avait beau avoir fait des courts, on se rendait compte que c’était que le début pour rentrer dans ce milieu qu’on convoitait.

Comment tu as enchaîné après Matriarche ?

Après avoir fini Matriarche, mon erreur était de ne pas avoir écrit le long qui découlait du court-métrage. On connait tous ça : tu fais un court, les gens le trouvent bien, et tout le monde te demande « Est-ce que vous avez ça en long ? » Sous-entendu, si on a ça, on signe et on y va. Moi j’avais pas ça. Matriarche c’était un court, point. Du coup j’ai compris qu’il restait tout le travail d’écriture à faire. J’ai commencé à écrire des longs, plusieurs, avec plusieurs boîtes. J’ai eu trois-quatre projets en parallèles dont certains avec Rémi qui montait sa structure. Certains projets étaient plus noirs, c’était des films à petit budget. Il y avait de l’action mais c’était pas le leitmotiv du film. Plus t’avance, plus t’essuies des refus et plus tu te dis « Je vais faire un film encore plus petit pour être sûr de pouvoir le tourner avec mes propres moyens ». J’ai eu le pitch de Balle Perdue : ça se passait dans un commissariat avec deux personnages, l’un perdait son arme de service et quand il la retrouvait, il manquait une balle. Tout l’enjeu c’était retrouver cette balle. C’était à échelle humaine. Et plus j’ai développé, plus cette envie d’action revenait, c’est mon naturel qui revient. Et tout d’un coup je me suis demandé, et si cette balle elle était dans une voiture ? Et là je me suis dit qu’à la fin y aura une poursuite et alors là c’est la merde, je me retrouve à développer un film d’action… Mais ça cristallisé toutes mes envies. Ça allait devenir le film-somme de tous mes courts, avec tout ce que j’avais testé : des poursuites, des duels au fusil de chasse, des combats… C’est le film qui me faisait rêver.

Comment s’est passé le financement de Balle Perdue ?

C’est surtout l’écriture et la réécriture qui a été longue. Notre pitch et notre court séduisaient beaucoup de co-producteurs potentiels. A Paris il y en a beaucoup qui ont cette envie, ils voient ça presque comme des films « militants », des films qui ne se font plus et qu’il faut défendre. A partir de là le travail d’écriture a commencé avec un co-prod, puis un autre. Au fur et à mesure ma vision s’est affinée, en allant vers le film d’action pur jus. J’ai appris à structurer un scénario, des choses que je pensais évidente mais qui ne l’était pas. J’ai tout appris sur ce processus, qui a été très long. Au moment de passer au montage financier, il y avait beaucoup de prods qui voulaient monter sur le film mais on sentait avec Rémi qu’on allait perdre la main artistiquement.

Est-ce qu’y a des moments où tu t’es dit : « Je ne vais jamais arriver à faire un long-métrage » ?

Non jamais. On avait beau ne pas trouver les bons partenaires, Rémi était toujours là. Je savais que Rémi avait les épaules. Et même si certains étaient frileux à venir sur le film, j’ai jamais perdu la foi car le projet créait une vraie envie chez les gens.

Quelles sont les phrases toutes faites que tu entendais à l’époque de la part de producteurs et qui te font marrer a posteriori ?

« Ce que t’as fait dans tes courts tu ne pourras pas le faire en long-métrage ». Je sais pas d’où ça sort. Mes courts je les faisais avec des budgets ridicules et on payait quand même les cascadeurs, les gens. Ça me paraissait tellement simple à faire les poursuites, l’action, car je respire ça, j’aime ça. Et du coup je ne comprenais pas pourquoi mes interlocuteurs me disaient que c’était impossible. Il y a chez eux une inexpérience de la fabrication de ce genre de films, de l’artisanat, qui leur fait dire que seul Michael Bay peut y arriver. Ça me paraissait absurde au possible.

Finalement vous avez atterri chez Netflix. Certains dans le jeune cinéma fantasment beaucoup sur eux. Que peux-tu nous en dire ?

Dès le départ je prêche pour Netflix. Je me suis abonné le premier jour. J’ai kiffé le modèle car je suis un gros client du streaming, de la VHS, du Blu-ray. J’aime pouvoir remater des scènes de films à l’infini. Parallèlement je me disais que si je sortais mon film d’action en France, il serait mal distribué, il sortirait dans peu de salles, devant peu de spectateurs et il ne trouverait pas son public. Ce serait beaucoup d’effort pour pas grand-chose. N’étant pas un fétichiste de la salle, j’ai dit à Rémi que Netflix seraient les meilleurs pour le projet car ça nous permettra d’avoir le monde entier d’un seul coup. On leur a envoyé le scénario au dernier trimestre 2018. Ils ont lu rapidement. On est partis les voir à Amsterdam, on a rencontré Sara May et pendant deux heures… c’était dingue. C’était un rendez-vous avec seulement des questions de fabrication pure. Par exemple avec ce budget, si t’avais une journée en plus sur cette séquence, tu ferais quoi ? Combien de minutes utiles tu vas sortir par jour ? Quelle est la valeur ajoutée que tu vas apporter si t’as un jour de plus, comment tu vas t’en sortir si ça ça foire ? Etc. Et comme avec Rémi on est vraiment des artisans on avait réponse à tout. C’était très précis. Jusqu’à présent on ne nous demandait pas comment on faisait. Nous on est arrivés chez Netflix avec notre devis, ils ont décortiqué le budget. Et après on a eu le feu vert.

Ils étaient interventionnistes ?

Avant de les voir on nous avait mis en garde : « Mais t’imagines ? Ils vont garder les droits pendant 150 ans », etc. C’est faux. Tout ceci peut se négocier. Quand ils te font confiance, t’es libre. Ils ne sont venus qu’une seule fois sur le tournage. Ils sont très à cheval sur la qualité technique du film, les exports, les caméras, mais artistiquement si ça sert le projet ils sont à l’écoute. Il n’a rien qui soit fermé. Pendant toutes les étapes, même en post-prod ou sur la promo, ils accompagnent mais sans forcer les choses.

Ton casting réunit des acteurs plutôt populaires, Alban Lenoir, Ramzy Bedia, avec des figures plus auteur: Rod Paradot, Duvauchelle, comment ça s’est passé ?

Alban Lenoir je le connais depuis longtemps. Il a été le premier à lire le scénario, la toute première version. Et quand j’ai vu son enthousiasme, j’ai su que ça allait devenir sa vie. Il fallait qu’il le fasse coûte que coûte. On avait la même vision. On savait qu’on ne devait pas faire de compromis. On a commencé à caster autour de lui. Ça s’est fait naturellement. Je cherchais des gens qui avaient une énergie naturelle, des piles électriques, des faux calmes. Des gens qui sont « bon délire ». Ce qui est important sur un tournage comme ça c’est que les gens s’amusent, la cohésion de groupe c’est important. Et du coup j’ai vachement fonctionné par recommandation. J’ai écouté Alban qui avait travaillé avec Stefi Celma, Sébastien Lalanne sur Antigang… J’ai senti qu’ils étaient motivés. C’était plus un feeling humain. J’avais pas d’acteur en tête a priori hormis Ramzy et Pascale Arbillot que je voulais dans un film depuis des années.

Combien de jours de tournage avais-tu ?

Trente-huit.

Et le budget, une fourchette ?

J’ai eu le budget qu’on a pour ce type de premier film de niche. C’était pas confortable, c’était pas frustrant non plus. On avait le budget qu’on avait déterminé avec Rémi pour faire le film.

Comment s’est passé le tournage ?

C’était fantastique du début à la fin. On a commencé par mettre en boîte toutes les scènes d’action. Un gros tunnel de dix-quinze jours de poursuites, de voitures écrabouillées. On cassait des trucs. C’est très intense, ça fédère. L’accessoiriste il était en sang à force de bidouiller des trucs. Dès qu’on lançait l’action il y avait un truc fou qui se passait. Tout le monde avait la pression car c’est souvent du one shot, on ne peut pas refaire. On prie tous pour que ça se passe bien et puisque ça s’est bien passé on finissait la journée ravis. Du coup, une fois que l’action a été mise en boîte l’équipe était soudée. Après on rentrait dans un autre rythme mais en étant confiant.

Donc t’as pas eu de galères ?

On avait énormément préparé les scènes d’action donc ça s’est passé pile-poil. Du coup il n’y a pas vraiment d’anecdotes. A part sur le décor de la station-service où j’apprends qu’entre chaque prise les clients pourraient toujours aller à la pompe. Ou bien sur une scène je découvre que la préfecture n’est pas prévenue qu’il y aurait un acteur avec un flingue sur le périph’. Donc la gendarmerie débarque. Mais c’est très minime.

Qu’est-ce que t’as appris sur ce tournage de long que t’as pas pu apprendre en faisant des courts-métrages ?

Le truc qui m’a frappé c’est l’inertie d’un plateau, d’un tournage. Si on fait un gros truc en matinée et qu’on est content du résultat, l’après-midi y a un relâchement. Ou après déjeuner… C’est toute cette inertie que j’ai apprise grâce à mon fabuleux assistant-réal. Et j’ai appris que les trucs les plus simples peuvent très vite devenir les trucs les plus chronophages. La baston du commissariat a pris seulement deux jours, mais soudain la petite baston entre Alban et Stefi, trois fois rien, qui aurait dû prendre une heure, ça a pris les trois-quarts de la journée. C’est pas dû aux acteurs. On sait pas d’où ça vient. Parfois on se trompe sur les estimations de temps.

Est-ce qu’il y a des trucs qui t’énervent dans le cinéma d’action ou dans le cinéma français que tu voulais corriger ?

Il y a des films français qui se revendiquent films d’action, qui en sont officiellement, mais qui ne correspondent pas à la vision que je m’en fais. Dans un film d’action il faut qu’il y ait des set pieces où on met toute la thune à l’écran au service des scènes d’action. La star de mon film c’est l’action. Elle n’est pas diluée ou trop courte. J’ai fait attention à faire un vrai climax, à mettre les meilleures choses à la fin, à les faire de jour. Je ne voulais pas faire un polar gris-bleu ou de nuit comme trop souvent en France. Je voulais faire un film généreux et pas un film exsangue.

Je sais que t’es un petit comique. Et t’as Alban Lenoir, qui porte avec lui tout l’imaginaire à la Antigang – et qui s’appelle Lino. Pourtant quand on voit le film on peut être surpris en se disant que c’est moins marrant que ce qu’on peut imaginer. Ton dernier plan est très sérieux, limite tragique. Comment t’as géré ça ?

Avec Alban on voulait trancher avec l’image qu’il renvoie de Kaamelott, Antigang, de T.A.N.K. aussi, tous ces films où il est pas très concerné par les évènements, toujours à balancer une punchline. On a donc gommé les vannes. C’était notre note d’intention. Ce qui m’intéresse c’est le comique de situation, que les personnages vivent des choses comiques pour les spectateurs mais pas pour les personnages, comme la scène d’intro où son plan se déroule trop bien, où en voulant défoncer une façade Lino défonce tout l’immeuble.

Niveau montage c’est toi qui montes l’action ?

On avait huit semaines de montage, c’est correct. La monteuse, Sophie Fourdrinoy, qui est une excellente monteuse, avait fait un super travail de pré-montage sur les scènes d’action. On avait deux salles de montage. Moi je ne travaillais que sur les scènes de poursuite, de combat. Déjà parce que j’adore ça, et surtout parce que je voulais être sûr de passer à côté de rien, je voulais tester toutes les possibilités avec la matière que j’avais. Et après on a fusionné nos deux visions.

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans le film fini, et quel est ton plus grand regret ?

Ce que je préfère c’est les trente dernières minutes. Je kiffe ma poursuite de fin. En plus, j’avais enfin une caméra qui pouvait bouger et suivre l’action. J’avais plus besoin de filmer comme un pauvre avec mon caméscope depuis le trottoir. J’en rêvais et ça change tout. Ça donne des plans beaucoup plus long. Plus besoin de tricher au montage pour donner l’impression que les voitures vont vite : elles vont vite pour de vrai. Niveau regrets j’en ai peut-être en termes de décors par moment sur le tournage mais maintenant que c’est passé j’en n’ai plus.

Est-ce que depuis que t’as fini ton premier long tu perçois différemment les longs-métrages des autres ?

Ça a tout changé. Il y a des choses dans des films que je ne trouvais pas bien, si je les revois aujourd’hui c’est pas tant que j’ai davantage d’indulgence mais je comprendrai mieux certains choix ou certaines incohérences. C’est pas de l’indulgence mais c’est beaucoup plus de compréhension. Le résultat à l’image a l’air facile à obtenir mais… faire un film c’est jamais facile.

Propos recueillis par Liam Engle le 27 mai 2020

par Liam Engle

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