Entretien avec George A. Romero

Entretien avec George A. Romero

George A. Romero vient de nous quitter. FilmDeCulte avait rencontré le cinéaste en 2005, à l'occasion de la sortie de Land of the Dead. Retour sur cet entretien où le réalisateur, fort sympathique, au discours clair et lucide sur notre société, revient sur sa carrière...

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Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce quatrième épisode de la saga ? Pourquoi si longtemps ?

C'est une longue histoire... Après Le Jour des morts-vivants, j'ai enchaîné deux films, Incidents de parcours et La Part des ténèbres. J'ai créé une compagnie de production avec un nouveau partenaire, Peter Grunwald, dans laquelle nous avons développé de nombreux projets sans jamais parvenir à les concrétiser. J'ai écrit des scripts pour la Fox, j'ai écrit La Momie pour Universal, et pendant ce temps, je gagnais beaucoup d'argent vu que j'étais payé, mais c'était incroyablement frustrant. J'ai fini par quitter Hollywood, un peu écœuré, pour chercher ailleurs. Je suis d'ailleurs venu ici, en France, pour trouver le financement de Bruiser. Nous étions déjà en 1999. C'est à dire que j'ai loupé les années 90, alors que j'avais prévu de faire un film de zombie par décennie. C'est après Bruiser que je me suis mis sérieusement au travail sur Land of the Dead. J'ai écrit un script, assez différent du film d'aujourd'hui, et beaucoup plus porté sur les problèmes de SDF et choses de ce genre. Mais il y avait déjà cette idée d'une caste de la population qui vivrait dans les villes, ignorant les problèmes du reste du monde. J'ai terminé le scénario, et l'ai présenté à plusieurs producteurs, mais après le 11 septembre, plus personne ne voulait produire ce genre de choses. Ils préféraient des films plus familiaux. Je l'ai donc mis de côté... pour le ressortir un ou deux ans plus tard, le changer légèrement, et incorporer les derniers événements survenus en Amérique entre temps. J'ai ajouté notamment cette idée de l'eau qui entoure la ville, et plusieurs autres choses du même acabit, pour isoler un peu plus encore les survivants. Nous avons présenté ce nouveau scénario à la Fox et cela a pris encore un an de négociations. Entre temps, des films tels que 28 jours plus tard sont sortis, rapportant énormément d'argent. Tout à coup, tout le monde est revenu vers moi et mon script, et le contrat a été signé très rapidement. C'est une histoire un peu longue, mais en gros voila ce qui est arrivé.

Avez-vous utilisé pour Land of the Dead des idées abandonnées pour vos précédents films, notamment pour Day of the Dead ?

Non, pas vraiment. J'ai essayé de faire quelque chose de différent et de plus gros. Bien entendu, ça reste proche des autres films dans les thèmes, mais le film diffère vraiment car prend le parti d'être une métaphore des années 2000, alors que Day of the Dead en était une des années 80. J'avais eu l'idée d'enterrer les personnages dans le précédent film, il y avait ce problème de la perte de la confiance, de la perte des repères... C'est de ça que parlait Day of the Dead. Land of the Dead est très différent. C'est un film sur les corporations qui vivent en autarcie et ignorent les problèmes qui peuvent apparaître dans le reste du monde. Donc j'ai gardé finalement très peu de choses des films ou des scénarios précédents.

Pourquoi dans La Nuit des morts-vivants avez-vous choisis de traiter des zombies? Vous auriez pu vous attaquer à d'autres monstres, des vampires, des choses de ce genre.

Mais pour moi, il ne s'agit pas de zombies, dans le premier film. Je les voyais plutôt comme des goules, par exemple. D'ailleurs, le titre original ne parlait pas de morts-vivants, mais de "mangeurs de chair", c'était Night of the Flesh-eaters. Le titre a changé finalement en cours de tournage. Mais je rappelle avoir consciemment volé l'idée originale à Richard Matheson, mon film ressemble beaucoup à son livre Je suis une légende. La seule différence, c'est que son livre parlait d'une révolution contre laquelle il ne restait qu'un seul être sur Terre. J'ai tout repris du début, utilisé une partie de la trame du livre, en ajoutant certaines choses, notamment l'idée qu'il restait encore de nombreux survivants. Dans le livre, il s'agissait clairement de vampires, donc j'ai décidé d'opérer un petit changement et d'en faire des sortes de goules. J'aimais cette idée qu'ils étaient nous, contrairement aux vampires. Les goules sont le reflet de nous-même, revenus à la vie immédiatement après la mort. J'aimais bien le fait qu'ils soient une sorte d'extension de nous-même, le reflet d'une forme de changement dans notre société.

Au cours des dernières années, plusieurs films d'horreur sont sortis avec un certains retentissement, certains faisant plus ou moins ouvertement référence aux vôtres. Qu'en avez-vous pensé, et surtout comment vous êtes-vous positionner pour ce nouveau film, par rapport à tout ça ?

Vous savez, je me fiche un peu de tout ça. Je vis à Pittsburgh, tranquillement, je travaille sur mes propres projets sans trop me soucier de ceux des autres. Stephen King, à la question "Que ressentez-vous en voyant la façon dont Hollywood pique vos livres?", avait répondu "Mes livres? Ils sont juste derrière moi, sur l'étagère". Parfois, cependant, c'est intéressant de voir ce que les autres ont pu en faire. Certains films sont intéressants à voir. J'ai beaucoup aimé Shaun of the Dead, par exemple. Les deux acteurs principaux jouent d'ailleurs des zombies dans mon film ! C'était vraiment drôle, et très intelligent dans son rapport au genre. J'ai adoré. Ils me l'avaient envoyé en vidéo avant qu'il ne sorte au cinéma, je l'ai regardé chez moi, et nous sommes ainsi entrés en contact.

Et que pensez-vous du retour en grâce des morts-vivants au cinéma ?

Je ne sais pas du tout ce qui a pu se passer ! Il y a une certaine facilité dans le scénario, le mort-vivant est un concept facile à comprendre qui ne nécessite pas d'explication scientifique. Mais je ne sais pas trop ce qui peut expliquer ce retour, ni quel film en est réellement à l'origine. Je ne crois pas qu'Hollywood soit très créatif, ils se déplacent en meutes, chacun pompant les idées des autres en fonction du succès. Il n'est pas exclu que la série Blade ait incité les exécutifs à réinvestir dans l'horreur. Mais je ne sais plus trop quel film a relancé le genre des zombies. 28 jours plus tard, peut être ? Ce ne sont pas réellement des zombies, cependant, dans ce film. En tout cas, c'est avec ce film qu'a été lancée cette idée bizarre des morts-vivants qui courent ! Les miens ne courront jamais, ils sont très lents ! Il y a eu quelques autres films qui ont contribué à la renaissance du genre, notamment ce petit film australien, The Undead. Et puis bien entendu les Resident Evil. Sans oublier le film de Rob Zombie House of the Dead, tiré lui aussi d'un jeu vidéo (ndlr : plus exactement, George Romero confond House of the Dead avec House of 1.000 corpses, réalisé lui par Rob Zombie).

Et le remake de Zombie (L'Armée des morts) ?

Ce n'était pas aussi mauvais que j'aurais pu le penser, je dois le reconnaître. Je m'attendais à pire. Je trouve les quinze premières minutes absolument fabuleuses. La suite ressemble selon moi un peu trop à un jeu vidéo, sans véritablement grand chose derrière. Pas de véritable réflexion. J'aime bien certaines idées du film, notamment le type sur le toit de la maison en face du centre commercial. Mais pour moi il s'agit principalement d'un film d'action, ou d'un survival.

Avez-vous été consulté, de près ou de loin, pour Day of the Dead 2 ?

Je n'ai rien à voir là-dedans ! Mon ex partenaire (ndlr : Richard Rubinstein) a vendu les droits du film sans me consulter, et je ne sais pas trop ce que ça donne. Mais c'est assez intéressant de voir tout ça, ça ne me dérange pas vraiment. Mais mon boulot, c'est mon boulot, et mes films reflètent mes raisons et mes impressions sur le genre et sur la société, comme je l'ai dit. J'ai essayé d'en faire des films d'horreur différents, un peu plus profonds, mais les morts-vivants sont un peu... Mon hobby ! C'est l'œuvre de ma vie (même si mon œuvre, justement, ne se limite pas aux morts-vivants). Ces films sont des instantanés de la société, prise sur le vif, et j'en suis assez fier. C'est pour ça que les films des autres ne m'intéressent pas trop...

Qu'est-ce qui vous pousse à faire des films ?

Mais j'adore le cinéma, j'adore voir des films et il me paraissait logique que j'en fasse à mon tour. J'adore les vieux classiques, et pas que les films d'horreur. Je suis très fan de Michael Powell, de John Ford, et notamment de La Prisonnière du désert. Quand j'étais jeune, nous vivions dans le Bronx, mon père était très pauvre et avait trois emplois différents. J'allais beaucoup au cinéma, et je pigeais de mieux en mieux comment le tout était créé, ce qu'il y avait derrière l'écran, derrière la caméra, etc. J'ai toujours voulu faire des films, des films qui aient un sens, et très vite, ce qui était au début qu'un petit film commercial, La Nuit des morts-vivants est devenu une sorte de pamphlet politique.

Quels sont aujourd'hui vos projets ?

J'ai quelques projets en suspens, justement. Des projets qui étaient en cours lorsque le buzz autour de Land of the Dead est apparu, lorsque la décision de faire le film a été prise. Mais la suite dépendra un peu du succès de celui-ci. Malheureusement, aux Etats-Unis, nous avons été quasiment invisibles, le film est sorti presque en même temps que La Guerre des mondes, et il n'a pas eu le temps de fonctionner comme il aurait du. Mais il s'en tirera mieux au cours de l'exploitation mondiale, ainsi que lors de la sortie DVD. Nous verrons. A Hollywood, votre talent est calculé en fonction du box-office. J'ai un projet avec Stephen King, qui est assez avancé, La Petite fille qui aimait Tom Gordon, d'après son livre. Et j'ai un autre projet, que l'on m'a proposé il y a tout juste quelques jours, pour une seconde adaptation de King, celle de son dernier roman, Roadmaster. Ca ressemble un peu à Christine... Je vais voir, je ne sais pas encore, il faut que je lise le script. Puis j'ai bien entendu ce projet depuis quelques années, Diamond Dead. Mais j'ai bien l'impression qu'il ne se fera jamais. L'histoire d'un groupe de rockeurs zombies, justement. Avec des chansons écrites par Richard Hartley. Personne ne semble réellement intéressé par ce truc, et le projet ne décolle pas du tout.

Allez-vous attendre la prochaine décennie pour réaliser un autre film de morts-vivants ?

Déjà, cela dépendra du temps qu'il me reste à vivre ! Mais j'attendrai. J'attendrai jusqu'à ce que quelque chose arrive. Quelque chose qui change le climat politique actuel. Ca peut arriver la semaine prochaine ou dans plus longtemps, je ne sais pas. Mais il faut que le film soit une critique de quelque chose de nouveau, de contemporain. Ce quelque chose n'a pas forcément besoin d'être ponctuel. J'aime bien l'idée de dresser le portrait d'une société américaine en cours de mutation, qui change progressivement. Mais je ne sais pas encore quel sera ce prochain changement. Un avion peut s'écraser sur Washington !

Vous ne confirmez donc pas les rumeurs selon lesquelles vous pourriez tourner sous peu World of the Dead ?

World of the Dead, vraiment? Je n'ai jamais parlé d'un truc pareil. Je ne sais pas d'où ça peut venir. Vous parlez sérieusement?

Et Masters of Horror ?

Oui, une sorte de collection de moyens métrages d'une heure... Je ne sais pas si je pourrai participer, malheureusement. Je devrais théoriquement tourner en septembre, mais avec la promo de Land of the Dead, qui devrait durer jusqu'à novembre au moins, cela parait totalement compromis. Je ne sais pas, il y a peu de chance. Mais Mick Garris, le créateur du concept, est un très bon ami à moi et j'aimerais vraiment lui faire plaisir et travailler avec lui. Ils ont annoncé ma participation, mais pour le moment, rien n'est signé. Ce genre de trucs arrive fréquemment, d'ailleurs. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai vu mon nom apposé sur l'affiche d'un projet dont je n'avais jamais entendu parler. Quoiqu'il en soit, j'aimerais que la saga des morts-vivants se termine sur une sorte d'espoir, un pacte du genre "vous ne nous mangez pas, et nous ne vous tuons pas", quelque chose de ce genre. Je n'ai pas envie que ça finisse de façon ambiguë sur un désastre planétaire. Il y avait plusieurs possibilités : plan a, les producteurs veulent un tome 5, je continue directement sur les personnages de Land of the Dead. Je suis le camion, ou je suis les zombies. Plan b, pour une raison ou une autre il n'y a pas de tome 5, et je voulais terminer sur l'idée d'une possibilité de pacte entre les morts et les vivants. D'où cette fin. Je voulais que cette idée soit effleurée dans ce film, au cas ou il n'y ait pas de suite.

Entretien réalisé le 28 juillet 2005

par Anthony Sitruk

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