AsiaWeek: Entretien avec Francis Xavier Pasion

AsiaWeek: Entretien avec Francis Xavier Pasion

Suite de notre AsiaWeek et direction les Philippines avec Bwaya (Crocodile). Francis Xavier Pasion raconte l'histoire vraie d'une famille endeuillée par la mort brutale de leur fillette, mangée par un crocodile. Récompensé à Cinemalaya ainsi qu'à Vesoul il y a un mois, Bwaya est un film surprenant, à la croisée du réalisme et du mythologique. Entretien avec son réalisateur.

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Comment est né votre film Bwaya ?

Bwaya est mon troisième film. Je suis parvenu à cette idée par des moyens assez « surnaturels ». J’ai expérimenté auprès d’une amie une « lecture akashique », c’est un peu comme quand on lit dans votre esprit. Je lui ai demandé quel devrait être mon troisième film. Elle a « vu » des marais… des marais à Agusan. Je n’avais aucune idée d’où cela pouvait se situer. On l’a googlé. Il se trouve qu’un ami documentariste venait de tourner un film sur place. Il m’a présenté à des gens vivant là-bas. Les premiers que nous avons rencontrés étaient les parents de Divina. Nous savions que nous avions une histoire forte à raconter.

J’étais ému par la façon dont Divina a raconté ce qui est arrivé à sa fille Rowena, et comment sa mort a bouleversé toute cette petite communauté. J’étais intrigué par ce fait : pourquoi Rowena est la seule victime alors que pendant des siècles, les hommes et les crocodiles ont appris à co-exister dans les marais ? Tout comme je me suis demandé à quel point cet accident a perturbé l’équilibre de paix séculaire entre l’homme et la bête. Il y a également ces éléments qui sont dans le film et qui sont liés à la corruption dans cette petite ville, l’apathie, la pauvreté, l’illétrisme… Bwaya est également le premier film entièrement tourné dans les marais d’Agusan.

Pourquoi avez-vous décidé d'inclure des éléments documentaires dans Bwaya ?

Je souhaitais rendre hommage à la famille de Divina et respecter la mémoire de Rowena. Montrer les personnes liées au drame, c’est rappeler au public que tout cela est arrivé, rappeler que ce traumatisme est vivant en eux. C’était aussi une façon de reconnaître que je ne pouvais que raconter leur histoire. Notre film n’en est que l’interprétation.

La scène d'attaque est brutale et surprenante. Pouvez-vous nous en dire plus sur la façon dont vous souhaitiez la tourner ?

L’attaque est exactement telle qu’elle nous a été décrite. Nous avons eu la chance de rencontrer Jennifer, l’amie de Rowena. Elle nous a décrit l’attaque comme très rapide et très calme. Elle s’est tournée et le bateau a juste un peu chaviré. Rowena était partie. Je n’aime pas le style hollywoodien qui aurait installé un suspens avec une multiplication d’angles. Je voulais que ce soit soudain afin d’être plus réaliste et plus proche de ce qui s’est passé. Je ne souhaitais pas montrer clairement le crocodile avant cela. Je voulais que ce soit tellement rapide qu’on pouvait le manquer en un clin d’œil.

Angeli Bayani a joué chez des réalisateurs très différents, de Lav Diaz à Jade Castro. Comment l'avez-vous choisie pour Bwaya ?

On a auditionné différentes actrices très douées pour le rôle crucial de Divina. Angeli était notre premier choix parce qu’elle correspondait physiquement au rôle et nous savions qu’elle était habituée aux conditions parfois éprouvantes d’un tournage indépendant. Pour tester notre choix, nous avons montré l’enregistrement de l’audition d’Angeli à la vraie Divina, qui nous a confié : « Je me retrouve en elle ». On s’est dit à ce moment-là que notre choix était le bon. C’était aussi stimulant pour Angeli, qui a l’habitude des interprétations très subtiles, de faire le portrait de Divina. Ma seule indication était d’être aussi proche que possible du comportement et de la façon de bouger de Divina. Ce qu’a fait Angeli était calqué sur Divina. C’était physiquement difficile à accomplir tout simplement parce que Divina a traversé une grande crise personnelle.

Vous avez remporté le Grand Prix au Festival Cinemalaya, festival le plus important dédié à la production philippine. Quelle est l'importance de Cinemalaya au sein de l'industrie cinématographique philippine ?

Cinemalaya est devenu une plateforme qui permet aux nouveaux cinéastes de montrer leurs films. C’est un événement désormais suivi par des programmateurs internationaux. Chaque année Cinemalaya produit dix films indépendants. C’est une contribution majeure à notre industrie. Le public de Cinemalaya est devenu de plus en plus important. Cinemalaya représente une alternative pour les Philippins permettant de découvrir notre cinéma.

Qu'est-ce qui selon vous fait la force du cinéma philippin, qu'on voit de plus en plus ces dernières années en festivals où il est régulièrement primé ?

Quand Bwaya a été diffuse à Vesoul, j’ai été extrêmement touché par la réaction du public français. Ils ont été émus par la détresse de Divina et de sa famille. Des membres du public m’ont même proposé un soutien financier pour eux. Voilà l’une des forces du cinéma philippin contemporain. Il explore des sujets sociaux pour toucher le public, qu’il soit local ou étranger, et se confronte au réel. Le cinéma contemporain philippin représente les Philippines et sa vérité. C’est parfois difficile à regarder mais on doit s’y confronter parce qu’il n’y a qu’en affrontant la vérité qu’on peut se connaitre soi-même.

Entretien réalisé le 17 mars 2015.

par Nicolas Bardot

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Notre critique de Bwaya

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