Entretien avec Edgar Wright

Entretien avec Edgar Wright

Depuis la sitcom Spaced, Edgar Wright a forgé un univers riche en références et influences diverses, notamment au travers d'une trilogie de films liés par leur approche thématique, leur amour du genre...et une célèbre marque de cônes glacés. Le plus speed des metteurs en scène geek nous revient avec une conclusion de haute tenue, pertinemment plus mature que les tomes précédents. Le cinéaste nous explique ses nombreuses motivations.

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FilmDeCulte : Les trois films de la « trilogie Cornetto » ont pour thème commun la menace du conformisme, le conformisme Vs. l’individualisme.

Edgar Wright : Oui.

FDC : Et Le Dernier pub avant la fin du monde semble être celui des trois épisodes qui explore le plus cette thématique. Quelle influence particulière, cinématographique ou personnelle, vous a mené à traiter ce sujet à plusieurs reprises ?

EW : On projette nos propres peurs et nos propres problèmes à travers une menace dans le film. Shaun of the Dead est un film sur un petit ami paresseux. Shaun est complaisant en quelque sorte, il ne fonctionne pas comme un adulte. Il laisse filer sa petite amie et les zombies interviennent comme une claque. Il doit devenir un homme. Dans Hot Fuzz, il y a deux choses : Nicholas Angel veut être le meilleur dans son travail mais on ne le laisse pas. D’un côté, il y a comme un complot de paresse autour de lui, en un sens. Et de l’autre, il veut être LA personne qui fait les choses bien dans un monde complètement corrompu. Donc il commence à croire qu’il est fou de vouloir être un gars bien. Et dans le dernier, c’est complexe, parce que l’invasion des robots représente en quelque sorte la maturité. C’est l’espèce d’être humain parfait que l’on peut être. Est-ce que vous acceptez d’intégrer cette machine, ce système ? Et bien que cela ait des avantages, le personnage de Simon [Pegg, co-scénariste et acteur principal de la trilogie, NDR], avec lequel on ne sympathise pas forcément, devient un personnage modèle parce qu’il est…

FDC : …imparfait.

EW : Voilà, il a des défauts. Et être humain, c’est avoir des défauts. En fait, ce sont des thèmes qui nous obsèdent, Simon et moi, et on utilise les films, on utilise le genre, pour les amplifier.

FDC : Parce que je sais qu’à une époque, vous aviez un projet intitulé Them

EW : Oui, c’est une adaptation d’un livre de Jon Ronson. Oui, bizarrement, j’étais supposé faire ce film – je ne pense pas que ça se fera maintenant – et Mike White, qui avait écrit le scénario, avait dit après avoir vu Hot Fuzz, « c’est étrange de faire Them maintenant parce que tu sembles avoir déjà couvert le sujet avec Hot Fuzz ! ». (rires)

FDC : Voilà, parce qu’ils y a des points communs. Vous mentionniez le protagoniste joué par Simon et j’étais surpris par une chose. Spaced commence avec Simon qui se fait larguer. Shaun of the Dead commence alors qu’il va se faire larguer. Et Hot Fuzz commence alors qu’il vient de se faire larguer. Donc ça le rend tout de suite…

EW : Sympathique.

FDC : Voilà. Mais dans Scott Pilgrim, ça change. A vrai dire, dans Scott Pilgrim, c’est lui qui largue quelqu’un. Et dans Le Dernier pub avant la fin du monde, Simon paraît encore plus antipathique, pour ne pas dire un connard. Il n’assume aucune responsabilité. Je me demandais ce qui vous a poussé à faire évoluer votre protagoniste de cette manière.

EW : Peut-être est-ce davantage un challenge, en un sens. C’est peut-être une des raisons, parce que l’on veut trouver une rédemption pour ces personnages. Je pense que Scott Pilgrim est très jeune. Il n’en mène pas large. Et le film, c’est lui qui apprend à prendre des responsabilités et à comprendre que les autres aussi ont des sentiments. Il est solipsiste. Ici, le personnage de Simon se ment à lui-même autant qu’il ment aux autres. On a juste trouvé que c’était un personnage très intéressant parce qu’on a tous dans notre vie quelqu’un comme ça qui a des soucis, qui est une responsabilité. Beaucoup de gens comme ça sont excisés de nos vies, qu’il s’agisse de membres de la famille ou d’amis ou autres… Il y a des gens comme Gary que j’ai connu par le passé et que je n’ai pas vu depuis mes 18 ans. Et on aimait l’idée d’une personne de ce type qui réapparaîtrait dans la vie des autres. C’est un personnage qui entraîne la destruction mais au final, ils veulent quand même, ils doivent quand même le sauver. Et il doit se sauver lui-même. Le film traite autant de l’apocalypse que de l’auto-destruction.

FDC : Une des choses surprenantes c’est que ce troisième volet paraît plus sombre que les deux précédents. Et il y a presque quelque chose de « méta » dans la manière dont le public va voir ce dernier épisode de la trilogie en pensant revivre, comme Gary, la même expérience que jadis. Or, comme le protagoniste, ils pourraient déchanter, car le film est assez différent des deux autres. Il y a moins de références cinématographiques, par exemple.

EW : Oui, c’était délibéré.

FDC : Je me demandais si c’était voulu.

EW : Oui. Je pense qu’avec Spaced… Peut-être le film est-il une longue façon de dire qu’il n’y aura pas de troisième saison de Spaced. (rires) On ne peut pas retourner en arrière. Le choix de ne pas inclure autant de références cette fois-ci était très délibéré, parce qu’on court toujours le risque que les films soient réduits à « juste une série de références », alors qu’ils ne se limitent pas à ça. Pour ce qui est du côté plus sombre, je ne sais pas. Parce que je pense que Shaun of the Dead est assez sombre. Il tire quand même une balle dans la tête de sa mère. (rires) Dans Hot Fuzz, beaucoup de gens meurent. Peut-être que dans Hot Fuzz le ton est un peu plus déconnant… Je pense que pour le dernier, on voulait aller plus profond. C’est quelque chose que l’on voulait vraiment écrire et on sentait que la façon dont cela devait se terminer ne devait pas être en porte-à-faux avec le titre du film. On va y aller à fond. C’est aussi l’un des avantages d’écrire un film plutôt qu’une série, on peut mettre fin au monde, vous voyez ? Mais il y a aussi le fait que de nombreux films hollywoodiens aujourd’hui essaient de recréer des films d’il y a 20 ans, des séries télévisées d’il y a 50 ans, des jouets que vous aviez, des jeux de société que vous aviez, des comics que vous avez lu… Et les remakes… Ce film est un peu sur les dangers de…

FDC : …la nostalgie.

EW : Oui. Ce n’est pas toujours quelque chose de positif. Au Comic-Con, cette année, j’ai dit quelque chose du genre « il faut que l’on fasse de nouveaux films pour qu’il y ait quelque chose à remaker dans 20 ans ». (rires)

FDC : Mais alors, si l’on adopte ce point de vue, venant de la part de l’homme censé réaliser l’adaptation de la série TV Kolchak : the Night Stalker [ Dossiers brûlants en français, ancêtre de The X Files, NDR], comment l’adapteriez-vous de manière à ne pas verser dans la nostalgie ou à juste remaker une licence existante ?

EW : Oui, j’imagine que, vous savez…en gros…mmm… (pause)

FDC : Ahah !

EW : C’est, je sais, c’est tellement facile de… vous savez quoi, vous avez le droit de me traiter d’hypocrite (rires). Si jamais je fais ce film, vous pourrez me qualifier d’hypocrite. Mais ce n’est pas dans les cartes pour le moment…

FDC : D’accord.

EW : En ce qui concerne Ant-Man par contre [adaptation d’un comic book Marvel que Wright réalisera l’an prochain, NDR], je dirais qu’il n’y a jamais eu d’adaptation pour l’écran de ce matériau-là. Donc c’est vrai, c’est quelque chose que j’ai lu quand j’étais enfant, mais je pense qu’on peut faire un excellent film avec les technologies d’aujourd’hui que l’on n’aurait pas pu faire dans les années 60, 70, même 80. Mais je ne pense pas que ce soit forcément mauvais de refaire Kolchak… Ce qui est triste, et pourquoi tout le monde devrait aller voir ce film, c’est qu’il est difficile de réussir à faire un film original. Parfois, vous faites un film original, et le public n’est pas au rendez-vous, et la réponse du studio est « Oh, donnez-leur plus de remakes ». Et puis parfois, un réalisateur fait un remake et on se dit « pourquoi il fait ça ? il a pas besoin ». La réalité, c’est qu’il a pu être en train de travailler sur son projet rêvé pendant 5 ou 10 ans et il n’a pas réussi à le faire, et à un moment la question devient « est-ce que tu veux travailler ? il y a ce remake que tu pourrais faire… - Ok, je le fais. » Donc c’est un peu déprimant à ce niveau-là. Cela dit, il y a des remakes que je trouve extraordinaires.

FDC : The Thing.

EW : The Thing de John Carpenter, La Mouche de David Cronenberg, L’invasion des profanateurs de sépultures de Philip Kaufman, Les Sept mercenaires, ce sont des exemples de remakes géniaux. Le truc, c’est que la SF dans Le Dernier pub avant la fin du monde est dans la veine des films que je regardais en grandissant.

FDC : La SF sociale.

EW : La SF sociale, exactement. Les films plus paranos, les invasions plus silencieuses, des films venant à la fois des Etats-Unis et du Royaume-Uni. C’est le genre de choses que je regardais avant même de savoir ce qu’était un genre. Donc cela a vraiment influé ce film-ci.

FDC : En parlant de genres, si vous n’aviez pas choisi le film de zombies, le buddy movie et la SF sociale, ya-t-il des genres que vous auriez souhaité adopter pour les films de la trilogie ? Des genres que vous regrettez ne pas avoir pu visiter ?

EW : Pas avec ces trois-là. Ces genres sont venus de manière organique pour ces trois films. On a commencé à écrire Shaun of the Dead comme un film de zombies, Hot Fuzz traitait de la différence entre les flics du monde réel et ceux du cinéma, et pour ce film, l’élément de l’invasion et la peur du changement, du passage à l’âge adulte, de l’homogénéisation, et de la mondialisation se sont manifestés au travers de l’élément science-fictionesque. Donc il n’y avait aucun autre genre pour ces trois films-là, mais il y a d’autres genres que j’aimerai explorer, oui.

FDC : Je voulais vous parler de Collider, un projet que vous avez développé avec Mark Protosevich, qui se chargera du scénario. S’agit-il de science-fiction ?

EW : Oui.

FDC : Outre ce projet de SF, vous avez également évoqué un film d’horreur pur. Prenez-vous vos distances avec la comédie pour un temps et ne pouvez-vous pas abandonner la comédie?

EW : Il n’y a que le film d’horreur qui sera dénué d’éléments comiques, mais même là, il y aura sûrement un moyen pour que les choses soient drôles en partie…

FDC : Vous avez également mentionné plusieurs fois que vous écriviez une comédie musicale…

EW : Oui.

FDC : S’agit-il du projet Baby Driver ?

EW : Oui, il est écrit en fait. Et peut-être qu’il se fera un jour parce que je l’aime vraiment.

FDC : J’ai remarqué par ailleurs que dans votre filmographie, en particulier sur vos deux derniers films, il y avait une vraie approche musicale.

EW : Oui.

FDC : Dans Scott Pilgrim, les gens se mettent à se battre comme on se met soudainement à chanter dans une comédie musicale, et ici, la bande originale est comme une machine à voyager dans le temps qui nous emmène dans les années 90…

EW : Oui, et il y a un numéro musical, enfin personne ne chante mais il y a une vraie chorégraphie. En fait, en plus des combats, on avait un chorégraphe de danse sur le plateau pour les scènes avec les robots, quand ils descendent la rue, tout est chorégraphié.

FDC : En parlant de chorégraphie, depuis Shaun of the Dead, les scènes d’action se sont faites de plus en plus chorégraphiées et dans celui-ci, il vous a fallu faire un pas en arrière, en quelque sorte, vers des bagarres de bar. Comment s’est opéré la transition entre les combats de jeux vidéos à base d’arts martiaux et ceux-ci qui tiennent davantage d’une approche « drunken master » ?

EW : Ca collait davantage au film. Je pense que si on avait eu recours à des effets à la Scott Pilgrim ici, cela aurait été bizarre ! (rires) Scott Pilgrim se situait dans une réalité « augmentée », plus pop art, tandis qu’ici, l’idée était de proposer quelque chose qui s’apparente davantage à une rixe alcoolisée, très désordonnée. Il y avait tout de même un dessein à la chorégraphie. On s’est donné des règles : pas de couteaux, pas de flingues. Les personnages n’essaient pas vraiment de donner des coups de poings mais plutôt d’agripper leurs adversaires, donc ça a tout de suite rendu les combats différents. Et c’était un vrai challenge pour les coordinateurs des cascades. C’est devenu presque du catch. C’était très amusant à faire.

FDC : Vous avez inclus deux prises de catch de Dwayne « The Rock » Johnson…

EW : « The Rock Bottom » et « The People’s Elbow ». The Rock a vu le film d’ailleurs et il a adoré et je lui ai demandé quelle note il mettrait aux deux prises telles qu’elles sont dans le film, et il m’a répondu « Ma note : BADASSERY. » (rires) Donc j’étais très content que The Rock ait aimé…

FDC : Va falloir le faire jouer dans un de vos films maintenant !

EW : Peut-être, je le trouve génial. Ce serait drôle.

FDC : Pour revenir à Ant-Man, comme c’est un projet que vous développez depuis un moment, avez-vous dû retravailler le scénario afin de l’insérer au sein de l’univers Marvel cinématographique ?

EW : Non, pas trop. Parce que ça a toujours été un peu à part, et le personnage, dans ma version en tout cas, dans le premier épisode, est assez solitaire. Donc ça va.

FDC : Sera-t-il un nouveau protagoniste un peu antipathique, comme Scott et Gary, et comme Hank Pym [l’identité à la ville d’Ant-Man, NDR] a pu l’être dans certaines versions du comic book ?

EW : On ne va pas tant que ça dans ces plus sombres sources. Mais je pense que tous les personnages sont… Nicholas Angel n’est pas si aimable. Shaun est sans doute le plus sympathique mais il reste bardé de défauts. Il y a toujours cette dynamique.

FDC : Oui, comme on dit, on aime quelqu’un pour ses qualités, et on l’adore pour ses défauts.

EW : Oui, oui. A l’écran, on essaie toujours, en tant que scénariste, d’être quelqu’un de meilleur dans la vraie vie.

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>>>>>ATTENTION: cette question ainsi que sa réponse révèlent des éléments-clefs de l'intrigue. A ne lire qu'après avoir vu le film.

FDC : Il y a quelque chose que j’ai trouvé intéressant vis-à-vis de la fin. Dans Shaun of the Dead, vous arriviez déjà à une fin qui vous permettait d’avoir « le beurre et l’argent du beurre ». Shaun avait dû tuer ses parents et laisser son meilleur ami mourir afin de grandir mais il gardait tout de même une partie de lui, dans la cabane au fond du jardin. Ici, Gary devient sobre mais il continue à vivre…je ne veux pas dire « dans une illusion » mais, il reste…

EW : …dans le passé.

FDC : Voilà, dans le passé. Il reste avec des versions de ses amis d’enfance qui n’ont pas grandi parce qu’il s’agit de robots.

EW : Je ne veux pas trop en parler pour ne pas gâcher la fin pour ceux qui ne l’ont pas vu mais l’idée c’est qu’il a quand même progressé. Son vœu est en quelque sorte exaucé car il vit toujours dans le passé, et pour toujours…je ne veux pas trop en parler. (rires)

FDC : Il apprend à assumer ses responsabilités en devenant enfin, corrigez-moi si je me trompe…

EW : Il couvre les arrières de ses potes.

FDC : Voilà, et il devient le modèle que ses sidekicks peuvent suivre, prendre comme exemple.

EW : Oui, voilà. Je pense que si Gary avait totalement guéri à la fin, cela aurait été irréaliste. Ce vers quoi on voulait aller, c’est qu’il est en train de devenir quelqu’un de meilleur. Il ne boit plus, il défend ses potes. Il MOURRAIT pour ses potes. S’ils sont menacés, il se battrait pour eux. Il progresse donc. Et ce que l’on trouvait touchant, c’est que le personnage de Nick Frost ne saura jamais que Gary a suivi son conseil.

FDC : Va-t-on voir d’autres vieux James Bond dans vos prochains films ?

EW : (rires) On a réalisé qu’on avait merdé en ne mettant pas Roger Moore dans Shaun of the Dead. Donc on s’est dit que la seule manière d’y remédier, c’est si un acteur de Shaun of the Dead décrochait le rôle de Bond. (rires) C’est la seule manière de s’en sortir, à défaut d’insérer Bond numériquement dans le film !

FDC : Et pour finir, qui de vous trois – vous, Simon et Nick – tient le moins bien l’alcool ?

EW : Moi. Absolument. Ils ne sont pas là donc je pourrais dire que c’est l’un d’eux mais c’est moi. (rires)

Entretien réalisé le 26 août 2013.

par Robert Hospyan

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