Entretien avec Dayna Goldfine et Dan Geller

Entretien avec Dayna Goldfine et Dan Geller

Avec The Galapagos Affair, les Américains Dayna Goldfine et Dan Geller ont signé l'un des ovnis de la Berlinale. Ce documentaire, quelque part entre Hitchcock et Darwin, entre Cluedo et Maupiti Island, raconte le mystère qui entoure l'arrivée de quelques Allemands sur les îles de Galapagos dans les années 30. Comment Satan s'est-il invité dans le jardin d'Eden ? Entretien avec les réalisateurs...

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Quel a été le point de départ de ce film, qu'est ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire?

Dayna Goldfine : Tout est parti de l’été 1998, lorsqu'un de nos amis nous a demandé de venir travailler pour lui autour d'un projet aux Galapagos initié par le National Science Foundation. A l'époque, on était loin de se douter que ce travail alimentaire de deux semaines donnerait naissance à notre obsession pour cette histoire. Une obsession qui allait durer quinze ans avant d'aboutir à The Galapagos Affair. En 1998, comme la plupart des gens qui arrivent aux Galapagos pour la première fois, on pensait que les seuls habitants de l'archipel étaient les tortues, les oiseaux et les iguanes, et que l'histoire de ces îles consistait uniquement en quelques explorations scientifiques de Darwin. Ce fut une sacrée surprise, dès le début du séjour, de tomber sur un livre intitulé Les Îles enchantées, qui se trouvait dans la bibliothèque du bateau... en fait une seule étagère.

Un chapitre en particulier, intitulé Un meurtre au paradis, a retenu notre attention. En douze pages à peine, tous les personnages et les mystérieux événements de Floreana étaient déjà là. Lorsque notre guide nous a appris que l'une des protagonistes de cette affaire, Margret Wittler, désormais âgée de 95 ans, habitait toujours sur l'île, notre excitation n'a fait que grandir. Dès lors, nous avons tout mis en place pour la rencontrer avant notre départ, et alors que Floreana n'était prévu dans notre itinéraire, par une étrange coïncidence, notre bateau a fini par s'échouer précisément devant cette île lors des tous derniers jours de tournage.

Dan Geller : Il faut dire qu'il y a un autre mystère non résolu qui entoure notre rencontre avec Margret Witter. Aujourd’hui encore je soupçonne Dayna d'avoir trouvé un moyen de nous faire échouer exprès, tellement elle désirait la rencontrer. Je fais entièrement confiance à Dayna et pourtant... Heureusement, nous n'avons rien eu d'autre à faire que de rejoindre la plage et aller prendre le thé avec Margret pendant que l'équipage réparait le bateau. Notre guide nous a alors fermement mis en garde : il ne fallait en aucun cas parler de la baronne et des circonstances étranges de sa disparition. Nous avons pris son conseil très au sérieux et nous avons donc écouté Margret nous parler de Franklin Roosevelt et d'autres visiteurs célèbres. Comme prévu, elle n'a pas prononcé le moindre mot sur cette affaire. Pourtant, au moment de nous dire au revoir, Margret nous a regardé dans les yeux et a prononcé une phrase qui nous hante encore aujourd'hui: "en la boca carada no entran moscas" - "dans une bouche fermée, les mouches ne peuvent pas rentrer".

Dayna Goldfine : A partir du moment où elle a prononcé cette phrase, nous sommes devenus obsédés par l'histoire de Floreana, et on s'est tout de suite dit que cela ferait un film extraordinaire. Hormis Margret qui refusait de nous en parler, tous les protagonistes sont morts et nous ne sommes pas le type de documentaristes qui tolèrent les reconstitutions. Nous avons quitté les Galapagos tout en continuant à démêler les fils de cette histoire alors que nous travaillions sur notre documentaire Ballet Russes. Puis des années plus tard, l'ami qui nous avait emmenés aux Galapagos en 1998 nous a annoncé une nouvelle très excitante. Il avait entendu parler d'archives à l'université de Californie, et qui d'après la rumeur, comprenait des films en 16mm datant des années 30 et montrant les protagonistes de cette histoire. Connaissant notre obsession pour cette affaire, cet ami a fait jouer ses contacts pour nous laisser y avoir accès. Quand nous avons ouvert les boites contenant ces pellicules, elles sentaient très fort le vinaigre, signe de leur état de détérioration. Nous avons réalisé qu'il ne nous restait que très peu de temps avant que ces films ne soient définitivement perdus, et nous avons passé un accord avec l'université. En échange du droit d'utiliser ces archives, nous avons pris en charge les frais de transfert de ces films vers un media plus stable. Dans les laboratoires de San Francisco, tous les lieux et personnages de cette histoire ont pris vie devant nos yeux. Nous étions très excités de voir que nous pouvions enfin raconter The Galapagos Affair sous forme de documentaire.

À quel stade de l'écriture la forme mélangeant images documentaires et fiction en voix off s'est elle imposée? À quel point s'agit il de fiction?

Dan Geller : C'est une question qui nous fait très plaisir, parce que cela implique d'une part que l'histoire est tellement incroyable qu'on croirait à une fiction, mais aussi que notre travail autour de la narration dépasse le documentaire au sens strict. Dayna et moi n'aimons pas beaucoup les reconstitutions jouées par des acteurs.

Dayna Goldfine : Il n'y a rien de fictionnel dans The Galapagos Affair. Il est vrai que cette histoire est incroyable, mais tout cela a bel et bien eu lieu. Dan et moi disons souvent que c'est d'ailleurs pour ce type de raisons que nous faisons des documentaires et non pas des fictions: on aurait été incapables d'inventer de tels rebondissements! Les textes lus par les acteurs en voix-off viennent de véritables entretiens effectués à l'époque par les protagonistes. Les archives de l'université de Californie contenaient également des centaines de photos, des lettres, des journaux et des manuscrits d'époque. Nous avons également longtemps cherché sur ebay des articles relatant ces faits divers et une copie très rare du livre de Dore Strauch, Satan Came to Eden. Nous avons demandé à Bill Weber qui est un monteur extraordinaire, de démêler les fils de cette histoire et de regrouper tous ces éléments en un récit cohérent. Ces écrits qui retranscrivent les rêves et les ressentiments des protagonistes créent un décalage intéressant avec ces images d'archive..

Dan Geller : Le seul aspect "hollywoodien" de notre documentaire est presque evident: il s'agit du film de pirates de la baronne. Elle a réalise ce court métrage muet, puisque selon nous elle devait devenir une grande artiste, et nous l'avons reconstruit à partir de rushes épars. Cela ajoutait une touche d'étrangeté à notre film.

Comment avez-vous composé le casting voix, pourquoi avoir choisi des voix célèbres telles que Cate Blanchett ou Diane Kruger?

Dayna Goldfine : Plus nous avancions dans l'écriture du scénario, plus nous réalisions que nous allions avoir besoin d'acteurs de premier plan pour pouvoir redonner vie a ces personnages. Nous avons eu beaucoup de chance car Cate Blanchett était à ce moment-là à San Francisco sur le tournage de Blue Jasmine, et un ami commun nous a présentés à elle. Elle a eu l'amabilité de profiter d'une pause dans le tournage pour venir voir un premier montage de Galapagos chez nous. On a tout de suite été sur la même longueur d'onde, notamment en ce qui concerne la complexité du personnage de Dore Strauch. Pour avoir vu Cate dans The Good German, nous savions qu'elle serait tout a fait capable d'offrir une performance extraordinaire tout en imitant un accent allemand. Une fois qu'elle a accepté, notre producteur et notre directeur de casting ont assemblé ce casting incroyable.

Dan Geller : C'est un casting de rêve, ils sont tous parfaits, ils ont su mettre leur talent et leur intelligence au service de cette histoire. Il est très difficile de jouer uniquement avec sa voix. Nous étions ravis que ces acteurs puissent donner un relief incroyable à ces mots.

Galapagos est un film qui documente sur des faits réels. Et pourtant le résultat final est plus mystérieux que la plupart des fictions à suspens. Comment avez vous appréhendé cet équilibre ?

Dan Geller : Il y a deux parties dans ce film: l'histoire de Floreana et l'histoire des habitants Santa Cruz, qui est moins tragique. Cet équilibre dont vous parlez avec justesse, fut l'un des buts les plus difficiles à atteindre. L'histoire de Floreana en elle-même est déjà tellement étrange et mystérieuse que notre travail a surtout consisté à donner suffisamment d'informations sur chaque personnage pour les rendre vivants, pour faire comprendre au spectateur d'où vient et ce que désire chacun des personnages. L'aspect le plus frustrant fut de choisir a quels moments faire intervenir l'histoire des résidents de Santa Cruz et leurs descendants. Que nous considérons un peu comme un chœur grec. Il nous a fallu énormément d'essais de fausses pistes et de retours en arrière pour parvenir à les intégrer harmonieusement, mais cela nous paraissait indispensable pour répondre à la question que pose le film: pourquoi certaines personnes laissent tout derrière elles, et qu'est-ce qui se passe lorsque le monde les rattrape?

Dayna Goldfine : Pour revenir un peu en arrière, lorsque nous en étions au début des recherches, nous avons fait la connaissance de John Woram, créateur du site Las Encantadas et passionné d'histoire locale. C'est lui qui nous a présenté Jorge Antonio Mahauad, l'arrière petit fils de Margret Wittmer. Jorge Antonio avait passé des années à rassembler des éléments sur l'histoire de sa famille, il a donc vite été emballé par notre envie d'en faire un documentaire. John nous a également mis en contact avec Octavio Latorre et Jose Machuca, deux historiens équatoriens qui ont beaucoup enquêté sur ces iles, et qui nous ont presque servi de guide alors que nous tentions de démêler cette histoire. Puis Miguel Mosquera, notre guide sur place, nous a également présenté Claudio Cruz, qui avait grandi sur Floreana, sur la propriété des Strauch et des Ritter.

Une fois toutes ces informations en main, nous sommes retournés aux Galapagos en 2007. Notre but était de passer le plus de temps possible à visiter Floreana et de rencontrer Floreanita, la fille de Margret Wittmer, qui possède toujours l'hôtel sur place. Mais en chemin, nous nous sommes arrêtés à Santa Cruz, une ile voisine beaucoup plus peuplée, pour rencontrer Jose Machuca et Rolf Wittmer, le fils de Margret. Nous avons également fait la connaissance de résidents de longue date: Jacqueline, Tui et Gil De Roy, Carmen et Teppy Angermeyer, Steve Divine et Daniel Fitter. Les personnes venues s'installer là-bas sont appelées des “Galapagueños,” et en parlant avec eux, nous avons réalisé que leur histoire reflétait certains aspects de l'expérience des habitants de Floreana. Des lors, notre film a dépassé le strict cadre du “whodunit” pour explorer l'idée de la recherche du paradis sur terre.

Dan Geller : En septembre 2007, nous sommes retournés sur l'île avec une équipe (la plupart étaient des amis à nous qui s'étaient portés volontaires). Nous avons passé un mois à filmer les lieux liés à cette histoire, et à interviewer une douzaine de personnes. Au total nous avons fait cinq voyages aux Galapagos, mais la préparation du film a également nécessité que nous allions en Norvège pour rencontrer Jacob Lundh et Friedel Horneman, puis en Allemagne pour interviewer Fritz Hiebe, le petit neveu de Friedrich Ritter, et nous avons tourné a Wollbach, dans la maison d'enfance de Ritter.

Y a t-il des films de fiction, des films noirs classiques qui ont pu vous servir de modèle pour la construction de ce récit?

Dayna Goldfine : Dan et moi avons passé beaucoup de temps à revoir des vieux Hitchcock, c'est sûr. Sans qu'il y en ait un en particulier qui nous serve de modèle. Ce qui me revenait souvent en tête c'est le pressentiment: quel pourcentage de l'intrigue peut-on laisser le spectateur prévoir, combien d'indices faut-il semer et à quelle fréquence? Créer du suspens et du mystère repose en grande partie sur la maitrise de ce facteur temps. On s'est également inspiré des techniques narratives d'Agatha Christie. J'aime décortiquer les romans policiers et analyser comment l'auteur construit son récit et fait grandir le suspens.

Dan Geller : De mon point de vue, il y a aussi beaucoup à dire sur ce qui est sous-entendu, ce qu'on ne voit jamais à l'écran. Les grands noms du suspens sont maitres dans l'art de la dissimulation, amplifiant ainsi le sentiment de menace. Les films noirs font la même chose, en faisant travailler l'imagination du spectateur, même dans les cadrages ou la mise en scène. Utiliser une esthétique similaire a été pour nous à la fois une nécessité et un choix.

Entretien réalisé le 4 février 2014

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par Gregory Coutaut

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The Galapagos Affair, la critique du film

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