Entretien avec Darren Aronofsky

Entretien avec Darren Aronofsky

Sélectionné à Venise et à Deauville, mother! arrive en salles ce mercredi 13 septembre. Cauchemar éveillé à la logique onirique implacable, le film est nouvelle expérience radicale de la part de Darren Aronofsky et peut se targuer d'une richesse de propos justifiant tous les excès. Nous avons eu la chance de pouvoir interroger l'auteur sur les différents sens du film, de l'art à la nature...

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Qu'est-ce qui vous a fait opter pour cette mise en scène "naturaliste", avec des plans longs, pas de musique?

Différentes choses. J'ai adopté ce style depuis plusieurs films maintenant et je voulais le pousser à l'extrême et réaliser un film subjectif. Du point de vue d'un personnage. Tout le film se déroule du point de vue du personnage de Jen, "Mère". Je voulais que le public soit constamment avec elle. J'aimais l'idée de ne pas avoir de plans larges. Je voulais rester juste au-dessus de son épaule, ou sur son visage ou de voir ce qu'elle regarde. Et donc on a commencé avec cette idée et on a développé un style à partir de cette idée. Je me suis dit que le film étant si irréel, il serait judicieux de d'avoir un décor naturel dans un monde naturel. Il était donc très important de ne pas tourner sur fond vert mais de trouver un endroit où situer cette maison. La musique, c'est une autre histoire. Après avoir fini le film, j'ai travaillé avec des l'un des plus grands compositeurs au monde afin de trouver une bande originale qui aille mais ce dont je me suis rendu compte, c'est que tout le long du film, le spectateur s'investit pour essayer de comprendre ce que Mère ressent et Jen fournit en quelque sorte toutes ces différentes pensées. Quand on met de la musique sur une scène, elle donne un indice au spectateur sur ce qu'il doit ressentir mais cet indice amoindrissait ce que Jen faisait. Donc nous n'avons jamais pu trouver de musique qui correspondait et mon compositeur m'a suggéré que le film fonctionnerait mieux sans musique.

Après l'avoir utilisé sur Pi ainsi que sur Black Swan et maintenant mother!, en quoi le 16mm évoque-t-il la folie pour vous?

Je ne pense pas que ce soit nécessairement lié au sujet. J'aime l'image qu'offre le 16mm et je pense que c'est devenu encore plus important aujourd'hui avec toutes les caméras incroyables qui existent parce que les images sont devenues assez similaires. Quand on tourne en 16mm, cela offre clairement une expérience unique, un ressenti différent. En voyant comment la couleur ressortait, j'ai dit à Matt [Libatique], le directeur de la photographie, que l'image ressemblait à du beurre légèrement brûlé ou le dessus d'un très bon tiramisu. C'était délicieux d'être dans ce monde !

Le film évoque la notion de sacrifice de soi et de dépossession et certains de vos précédents films présentent une certaine spiritualité, quel est votre rapport à la religion?

Je n'aime pas quand la religion est utilisée pour se battre. Je pense qu'il y a de bonnes histoires dans la Bible et qu'il y a plus de force à les considérer uniquement comme des histoires, des mythes, qu'à se battre pour savoir si c'est de l'Histoire et à qui elle appartient. La manière dont on utilise la mythologie grecque est un bon modèle. Le mythe d'Icare, on sait que ce n'est pas arrivé mais on comprend tous le message de cette histoire et donc elle a un vrai sens. Et je pense qu'on peut trouver le même sens dans des histoires des religions judéo-chrétiennes ou musulmanes.

L'un des thèmes du film est la création et vous l'opposez à la destruction avec tout ce qui se passe dans le troisième acte...

Comme Kali, vous savez? La déesse indienne. C'est ma préférée.

Quelle est la relation entre la création et la destruction selon vous? L'une va forcément de pair avec l'autre?

Non je ne pense pas. Mais ça fait une bonne histoire. Clairement, c'est une histoire qui figure dans beaucoup de traditions mais également dans la nature. Vous avez des histoires de feux de forêts qui amènent de la vie à un éco-système tout neuf. De la même manière, la destruction causée par les ouragans Irma et Harvey aura des conséquences non seulement sur la vie humaine mais toutes les espèces et de nouvelles formes de vie naîtront de cette destruction.

Noé parlait déjà de ça, avec le déluge...

Oui et encore une fois, c'est une tradition. La première histoire de la Genèse c'est la Création et genre dix générations plus tard, c'est la destruction! Et il, je veux dire Dieu, fait ça plusieurs fois. Il y a clairement un schéma récurrent. Si vous regardez les Mayas ou l'empire romain, tous les empires, ils grandissent, ils se construisent et ils s'effondrent et il y a plein de raisons mais beaucoup d'entre elles sont environnementales. La dernière théorie sur les mayas c'est qu'ils couvraient leurs constructions d'une couche de calcaire et pour y arriver, ils ont dû faire de grands feux et brûler plein d'arbres et ils ont fini par détruire leur abri et leur éco-système. Les Mayas sont toujours là, ils n'ont pas disparu, ils ont juste quitté les villes.

Avez-vous peur que le film puisse être mal compris?

J'adorerais que tout le monde comprenne l'intention souhaitée mais nous avons délibérément fait un film ouvert. Malgré tout ce que j'ai pu dire sur le film, il reste libre à l'interprétation. Je trouve ça intéressant parce que ce que je veux que mes films provoquent, ce sont des discussions. Avec de la chance, ce film permettra aux gens de penser et de parler du film et de ce qu'ils y ont vu.

Avez-vous rencontré quelqu'un qui vous a donné une interprétation que vous n'aviez absolument pas...

Oui, aujourd'hui! J'ai oublié parce qu'il y a beaucoup d'interviews... Mais oui, beaucoup de gens parlent de célébrité et de cet aspect-là du film et je pense que c'est une conséquence d'avoir embauché des acteurs aussi bons et célèbres. Je ne cherchais pas à capturer cette partie de l'humanité. C'est devenu quelque chose de très frontal pour beaucoup de gens à cause des acteurs.

Quelle est votre réaction face aux gens qui trouvent le film misogyne?

En aucun cas le film ne cautionne ce comportement. Le film ne dit pas "Hey, c'est génial! C'est comme ça qu'il faut traiter les femmes!". Ça ne dit pas ça. Si ça disait ça, on aurait un problème. Hubert Selby Jr., qui a écrit Requiem for a Dream, a dit "c'est en regardant la noirceur qu'on voit la lumière". Ce n'est pas un film féministe dans le sens traditionnel mais en montrant comment ces personnages sont traités, comment ils se traitent eux-mêmes et ce qu'ils font, je pense que le film est politiquement juste. Je suis féministe. Évidemment. Quiconque ne l'est pas est un idiot. Pour moi, je raconte une histoire de comment on traite la Terre Mère. On la viole. On la détruit. On la profane. On n'a pas de respect pour elle. Et je ne dis pas que c'est une bonne chose. Je pense réellement, de tout mon corps, que c'est notre fin. Les gens réagissent de manière épidermique à certaines images, à certains codes mais il faut voir ce que le film dit...

Ils critiquent la passivité du personnage de Jennifer Lawrence durant une majeure partie du film.

C'est exactement comme ça qu'est notre Terre. Pleine d'amour. Pleine de présents. Donnant constamment, constamment dans la recherche d'amour. Et tout ce qu'on fait, c'est prendre. Donc pour l'allégorie, ça avait du sens. Je savais que c'était dangereux car les gens se demanderaient ce que je dis sur les femmes mais regardez le patriarcat dans ce film ! Regardez comment les invités la traitent. Et pour être honnête, tout personnage féminin n'a pas besoin d'être en rébellion. Il y a différentes manières de montrer comment sont les gens.

Concernant la célébrité, il y a tout de même quelque chose sur la façon dont un artiste s'ouvre inévitablement à son public et comment le public cherche à s'approprier l’œuvre et l'artiste. Ici, ils infiltrent sa maison et la maison est un corps. On dit qu'une œuvre, dès lors qu'elle est montrée n'appartient plus à l'artiste mais au public. Est-ce que vous dénoncez cela par le biais de cette invasion agressive?

Est-ce que je dénonce le fait qu'une œuvre appartient au public?

Plutôt les dangers qui s'ensuivent, disons...

Je pense que c'est une conséquence involontaire. Pour moi, c'est un personnage qui avait besoin d'être loué. C'était son défaut. Il avait besoin d'un public. Je ne pense pas que tous les artistes sont comme ça. Il y a beaucoup d'artistes qui se fichent de leur public et font juste leur travail. Il y a des tas d'artistes qui accordent beaucoup d'importance à leur public. Mais ce personnage que j'ai créé, qui est né de cette allégorie, me semblait être le personnage adéquat.

Rosemary's Baby et Répulsion ont-ils été des influences sur vous pour ce film?

Pas vraiment. Je veux dire, je suis un grand fan de ces films et j'ai évoqué comment Polanski a influencé certains de mes films passés. La grande influence sur ce film était L'Ange exterminateur de Buñuel. L'idée que l'on peut parler du monde à travers une seule pièce fut une grande influence sur moi. Ingmar Bergman était également une influence, notamment la manière dont il utilise les rêves. Par exemple dans L'Heure du loup. Un temps, on s'est intéressé à Barbe-bleue. Je ne sais pas s'il y a eu de bons films sur Barbe-bleue... Peut-être en animation. Je suis tombé sur Possession de Zulawski qui fut aussi une grande influence parce que je transformais une histoire très émotionnelle, une histoire de couple, en film d'horreur.

Le film ose un humour inattendu vers la fin, comment en êtes-vous arrivés à ces changements de ton?

On savait qu'on allait enchaîner les vitesses au fur et à mesure et on espérait que les gens apprécieraient cette chevauchée dans toute son horreur, sa consternation, et son adrénaline. Certaines personnes évoquent comment en arrivant à cette partie, ils sont soulagés malgré la folie parce que la tension relâche un peu. C'est un film fait de rebondissements et de retournements inattendus... Combien de fois on regarde un film et votre voisin vous dit ce qu'il va se passer et vous ruine la séance ? Ça n'arrivera pas avec ce film! (rires) Je vous le promets! Et même si vous voyez quelque chose venir, ça va vous ébouriffer. Et c'est cool, c'est le genre de films avec lequel j'ai grandi, qui m'ont inspiré ma vocation. Quand j'étais jeune, j'allais aux séances de minuit à Greenwich Village et j'ai vu Stop Making Sense, Orange mécanique et tous les films cultes undergound et c'est ce qui m'a inspiré Pi. Et je crois que je n'ai jamais perdu le goût pour ces films. J'aime être... "culte". (rires) Ai-je fait un "film culte" à votre avis?

Je crois bien. Le film est destiné à être clivant donc à être culte.

Bien.

Entretien réalisé le 7 septembre 2017. Un grand merci à Michel Burstein.

par Robert Hospyan

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Notre critique de mother!

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