Entretien avec Damien Dupont

Entretien avec Damien Dupont

Présenté à l'Étrange Festival, Jean Rollin, le rêveur égaré fait le portrait d'un cinéaste hors norme, aussi culte qu'attachant. Nous avons interviewé Damien Dupont, co-réalisateur du documentaire avec Yvan Pierre-Kaiser, qui se confie sur cette figure unique du fantastique français.

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FilmDeCulte : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire ce documentaire sur Jean Rollin ?

Damien Dupont: Une rencontre avec Jean. Yvan avait trouvé son numéro de téléphone dans l'annuaire. Suite à une discussion téléphonique, nous sommes passés chez lui pour qu'il réponde à une question qui nous taraudait : "Comment faire des films fantastiques en France ?". Dans son petit appartement parisien, on a rencontré un homme affable très content de nous rencontrer. Bien sûr, il fut incapable de répondre à notre stupide question. En gros, il nous a répondu de réaliser des films sans forcément avoir de budget et de bosser à côté. Par la suite, on a discuté de sa carrière hors norme, de la réception publique et critique de ses films. En sortant de chez lui, Yvan et moi, nous nous sommes regardés et il était évident qu'il fallait réaliser un film sur cet homme unique.

FdC : Quelle a été sa réaction lorsque vous lui avez annoncé que vous souhaitiez faire un documentaire sur sa carrière ?

DD: Très content. Il nous a toujours soutenus tout au long du processus d'écriture et de tournage. Au bout de 3 ans, il était surpris que l'on ait encore des questions à lui poser. Je me souviens que le teaser l'avait beaucoup enthousiasmé. On l'a même trimballé au Père Lachaise alors qu'il avait des problèmes pour marcher. Il faut savoir que Jean ne se plaignait jamais, absolument jamais. On arrêtait les interviews quand on sentait qu'il était au bord de l'épuisement.

FdC : La confection du documentaire a demandé 4 ans. Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

DD: Le premier problème est de ne pas avoir de budget. Heureusement, Thomas Van Hoecke (le 3ème homme du film) a une minuscule boîte de prod (Purple Milk), quelques caméras et quelques micros. Sans lui, le film aurait été impossible. Bon et puis, il a fallu dérusher 4 ans de tournage. Toutes les minutes, je notais ce que disaient les intervenants pour ne pas se perdre par la suite au montage. Après, le film fut monté sur un PC portable. Je crois qu'il n'a pas survécu, il plantait tout le temps. Et quand on a commencé à dépasser les 60 mn, ce fut vraiment problématique. On faisait constamment des sauvegardes de peur de perdre le montage. Pendant le tournage, Jean a fait une AVC et une crise cardiaque. Il a fallu attendre qu'il se remette, ce qu'il a pu en partie seulement. Les 2 dernières années, il était vraiment faible mais souhaitait toujours répondre aux questions. Une vraie leçon de vie.

FdC : La façon dont Rollin est perçu en France et à l’étranger diffère parfois. Vous avez pu présenter ce documentaire au Canada, quelles ont été les réactions ?

DD: N'ayant pas beaucoup d'argent, nous n'avons pas pu nous rendre à Fantasia au Canada. Néanmoins, j'ai un contact dans ce pays (Sabine Garcia que je salue) et il semble que l'accueil fut vraiment bon. Hélas, le montage n'était pas encore fini et l'interview de Philippe Druillet n'avait pas encore été faite !

FdC : Les intervenants insistent beaucoup sur le manque de reconnaissance de la presse dont a souffert l'œuvre de Rollin. Est-ce que la beauté de son cinéma, ça n’est pas précisément d’être tellement hors normes, ovni, avec un cinéma de genre, une économie radicale, un ton unique, qu’il ne peut être mis sur la même échelle que les autres cinéastes ? Comme un cinéma qui, justement et délibérément, n'irait pas chercher de reconnaissance "officielle"?

DD: Il est évident que le cinéma de Jean n'est pas mainstream et en aucun cas grand public. La "reconnaissance officielle" ne voulait pas dire grand chose pour lui, il était vraiment anar dans l'âme. Le grand problème pour Jean était d'être français. Un pays où le cinéma (depuis quelques décennies) est devenu (en dehors de quelques exceptions) très académique, extrêmement balisé. Forcément, quand tu réalises des films à la marge, tu ne peux recevoir que du mépris et une immense condescendance. Heureusement, on sent depuis quelques temps un mouvement de fond vers une nouvelle contre culture. Car, Jean était, en fait, l'un des derniers représentants de la contre culture française des années 60 et 70. Dans des pays où cette contre culture existe encore, Jean avait une reconnaissance : Angleterre, États-Unis, Japon etc.

FdC : Derrière l'histoire du cinéma de Rollin, il y a une histoire du cinéma qui se dessine. Les débuts influencés Nouvelle vague, l'exploitation porno, l'abandon du 35mm. Aviez-vous cela en tête en faisant ce documentaire?

DD: Oui, nous en étions pleinement conscients. On voulait absolument croiser l'histoire "officielle" du cinéma français avec l'histoire "officieuse". Le parcours de Jean nous permettait cela et c'était très intéressant d'expliquer pourquoi nombre de cinéastes ont dû faire du porno pour manger par exemple.

FdC : Ses films ont été redécouverts par un nouveau public ces dernières années grâce notamment au dvd. En était-il conscient ? S’est-il confié sur le sujet ?

DD: Oui, il en était pleinement conscient. D'ailleurs, il était toujours très surpris de l'accueil très enthousiaste qu'il pouvait recevoir dans des festivals étrangers, notamment en Amérique du Nord et en Angleterre.

FdC : Il y a eu un renouveau ces dix dernières années en ce qui concerne le fantastique francophone. Et même s’il y a eu des réussites (je pense à Fabrice du Welz, à Pascal Laugier, entre autres), ces tentatives ont souvent mal été accueillies en France, et beaucoup plus chaleureusement à l’étranger. Est-ce selon vous une situation qu’on peut rapprocher de celle de Rollin ?

DD: Forcément, il y a "sentiment d'exotisme" aux États-Unis quand ils voient les œuvres de Jean ou celles sus-citées. C'est tellement différent du cinéma fantastique américain. Néanmoins, la situation de Jean Rollin n'est pas la même. Les budgets de ses derniers films ne sont pas comparables à ceux de Martyrs et de Vinyan. Ce n'est pas pour rien que le tournage de La Nuit des horloges a duré 4 ans ! Pascal Laugier a eu des problèmes avec la censure sur son dernier film mais il était sur le plateau de Denisot. Vinyan a fait la couv' de Mad... On ne peut pas dire que La Nuit des horloges ou Le Masque de la Méduse aient eu le même traitement par la presse française et nord-américaine. Jean était vraiment un franc tireur et un véritable indépendant.

FdC : Quel est le film qui, à vos yeux, caractérise le mieux le cinéma de Jean Rollin ?

DD: Question extrêmement difficile. J'hésite entre Requiem pour un vampire et La Rose de fer... disons que ces deux films sont magnifiquement réalisés et empreints d'un érotisme mortuaire typique de son cinéma. Ce sont de magnifiques rêves où l'on peut se laisser porter et découvrir une œuvre absolument unique.

FdC : Comment comptez-vous exploiter ce documentaire ? D’autres festivals sont-ils prévus, une sortie dvd ?

DD: Pour le moment, j'essaie de contacter des chaînes de télévision susceptibles d'être intéressées. Pour 2012, un DVD est prévu avec pas mal de suppléments dont une interview de Philippe d'Aram (le compositeur des films de Jean). D'autres festivals sont prévus: Lünd, Sitges, Trieste et on essaie d'en obtenir d'autres.

par Nicolas Bardot

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