Entretien avec Jang Cheol-soo

Entretien avec Jang Cheol-soo

Ex-assistant de Kim Ki-duk, Jang Cheo-soo a été repéré en mai dernier, lors de la présentation de Bedevilled dans le cadre de la Semaine de la Critique. Le réalisateur vient d'obtenir un Grand Prix mérité au Festival de Gérardmer où son film a fait sensation! Rencontre avec Jang Cheol-soo.

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FilmdeCulte: Comment êtes-vous parvenu à financer un premier film aussi radical ?

Jang Cheol-soo: J’ai eu beaucoup de difficultés. Les grandes maisons de production n’ont pas voulu investir dans le film. J’ai donc soumis le projet au fond de soutien du KOFIC. Une fois qu’ils ont sélectionné le film, je pensais que le reste du financement se ferait facilement, mais ça n’a pas été le cas. J’ai dû faire le tour de presque toutes les boites de production pendant un an. Et puis finalement l’une d’entre elles a souscrit un crédit privé pour finir de financer le film, mais c’était assez risqué.

FdC: Qu’avez vous appris lors de votre expérience auprès de Kim Ki-duk ?

JCS: Kim Ki-duk ne donne pas vraiment de trucs techniques ou théoriques. A mon avis c’est parce que lui-même n’a pas reçu ce genre d’enseignement. Il m’a conseillé de tout apprendre par moi-même. Ça ne me plaisait pas trop au début, mais maintenant je pense m’être suffisamment aguerri pour construire mon propre univers. Il y a une chose top secrète qu’il m’a apprise, c’est de “faire en sorte que les spectateurs ne puissent pas détourner les yeux de l’écran". J’ai gardé cela en tête au moment du tournage.

FdC: La réforme, il y a quelques années, du système des quotas soutenant jusqu'alors la production coréenne, a inquiété de nombreux cinéastes. Quelles sont les conséquences que vous pouvez observer aujourd'hui ?

JCS: Je dirais que la situation s’est envenimée et a même atteint un point de non-retour. Avant les quotas, 90% des films coréens n’arrivaient pas à rembourser leurs frais de production à cause de leur petit nombre d’entrées. Il y a eu ensuite une lente amélioration, mais l’argent est allé en priorité à des films commerciaux. Du coup, il n’existe que deux sortes de films aujourd’hui en Corée: les blockbusters et les films indépendants. Le nombre de projets a beaucoup baissé, et de nombreuses personnes se sont détournées de la profession. Ceux qui sont restés ont vu leur salaire baisser de 50 à 75%.

FdC: Comment avez-vous réagi à l’annonce de votre sélection à Cannes ?

JCS: Ca m’a rappelé une expérience que j’ai vécue : j’ai failli me noyer à deux reprises, et à chaque fois je me suis dit que c’était mon destin de mourir comme ça. Au moment du montage, j’ai souvent eu l’impression que mon film allait mourir avant d’avoir pu exister. C’était horrible de voir autant de personnes couper des scènes du film. J’ai envoyé ma version director’s cut au festival de Cannes en cachette, et elle a été retenue. C’est donc devenu la version officielle et maintenant mon film, que certains voulaient garder dans les ténèbres, commence à voir la lumière du jour.

FdC: Comment votre film a-t-il été reçu en Corée ?

JCS: Le public coréen aime beaucoup les films de Cannes. Il y a même une expression ici pour dire “les vendus de Cannes”. Mais il existe aussi tout un groupe qui ne reconnait pas ces films, ce sont les distributeurs locaux. Une sélection à Cannes ne garantit pas un succès au box-office. Le film s’apprête à sortir ici le 2 septembre dans quelques salles, mais pour l’instant l’accueil de la presse est très favorable, et les spectateurs qui ont vu le film ont eu des réactions absolument explosives!

FdC: La violence semble être un sujet récurrent dans le cinéma coréen. Comment l'expliquez-vous ?

JCS: Je pense que c’est parce que la Corée s’est souvent retrouvée dans des situations très violentes au cours de l’Histoire, à la fois géographiquement et politiquement. Apparemment, on y est trop habitués pour s’apercevoir qu’on vit dans une réalité très violente. Il y a beaucoup de films violents ici, mais il existe aussi de nombreux autres genres, tels que la comédie, des drames ou les films romantiques, mais ce genre de films sont surtout très populaires chez nous, et le public étranger n’a pas souvent l’occasion de les voir en festival.

FdC: Les personnages féminins dans Bedevilled ne semblent pas avoir d'alternative autre que la soumission ou la rebellion violente. Les relations hommes/femmes ne semblent pouvoir s'établir que dans le conflit. Est-ce que c'est quelque chose qui traduit, selon vous, la difficulté des relations entre hommes et femmes en Corée?

JCS: J’ai voulu mettre en avant des personnages extrêmes à cause des caractéristiques du film. Les relations entre hommes et femmes ont beaucoup évolué par rapport aux précédentes décennies. La condition des femmes ne cesse de s’améliorer. Mais même si la situation évolue, il reste beaucoup de conflits. Dans certains endroits, la tradition patriarcale perdure, mais ça aussi c’est en train de changer. Je suis très optimiste en ce qui concerne les relations hommes/femmes en Corée.

FdC: Pouvez-vous nous parler du décor du film, cette île isolée, et sa façon de participer à l'atmosphère de folie et d'étouffement ?

JCS: Si le film ne se déroulait pas sur une île, on perdrait la moitié de la “réalité” du film. Le comportement des personnages peut paraître archaïque, mais le fait que ça se passe sur une île, un lieu isolé, parvient à rendre crédible le fait que de tels comportement existent bel et bien encore aujourd’hui. Le sentiment d’étouffement vient de l’isolement naturel de l’île, qui fait que ni la volonté des personnages, ni les forces extérieures ne peuvent venir contredire l’ordre qui y est établi. La violence sexuelle et la folie qui règnent sur l’île viennent du conflit permanent entre le libre arbitre (ou désir ?) de chacun et les limites géographiques.

FdC: Bedevilled rappelle, par certains aspects, L’Ile nue de Kaneto Shindo. Etait-ce une référence pour vous ?

JCS: En préparant le film, je me suis effectivement servi de L’Ile nue en référence. Lorsque je l'ai découvert, je m’attendais à ce qu'il y ait une dimension sexuelle, vu le titre, mais ce n’était pas le cas du tout (rires). Le lien qui unit le mari et sa femme, ça a été un véritable choc pour moi. J’ai fondu en larmes. Mais tandis que les habitants de L’Ile nue forment une famille, mes personnages représentent la société en général.

FdC: Quels sont les réalisateurs qui vous ont influencés ?

JCS: Il y a beaucoup de films et de réalisateurs qui m’influencent. J’apprends énormément en regardant des films réussis, mais aussi des films ratés. Parce qu’aucun réalisateur ne fait que des chefs-d’œuvre. Pour moi chaque film reste plus important que son réalisateur, et c’est pour ça qu’il n’y en a pas un que j’admire en particulier. Les films qui me viennent à l’esprit sont : Taxi Driver, Cinema Paradiso, Nos années sauvages, Love is Elsewhere, Peppermint Candy, Mystic River, Funny Games, Parle avec elle, L’Anguille, Love Letter… etc.

FdC: Quels sont vos prochains projets ?

JCS: J’ai plusieurs projets, mais rien n’a été décidé pour l’instant, tant que Bedevilled n’est pas encore sorti. J’ai envie de créer mon nouveau long-métrage via un système de production plus commercial. Je voudrais que ce soit le film qui me permette de trouver mon propre ton. J’aime différents styles de films, donc j’ai envie de me diversifier, et il y a toujours un nouveau projet sur le feu. Pour moi, un nouveau film doit montrer des éléments nouveaux. J’ai envie que mes films soient comme une boite de Pandore que les gens ne puissent pas s’empêcher d’ouvrir malgré leur peur.

Traduction Gregory Coutaut

par Nicolas Bardot

En savoir plus

Le dvd de Bedevilled (titré Blood Island - Bedevilled) est disponible depuis le 3 mai.

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