Entretien avec Brillante Mendoza

Entretien avec Brillante Mendoza

Prix d'interprétation féminine à Cannes pour Jaclyn Jose, Ma'Rosa raconte le quotidien bouleversé d'une famille qui survit en revendant des narcotiques jusqu'à l'intervention de la police. Le réalisateur philippin Brillante Mendoza confirme son talent pour un cinéma social électrique. Avant la sortie du long métrage le 30 novembre, Brillante Mendoza est l'invité d'honneur ce weekend du P-Noise Film Festival, la première édition du Festival du Cinéma Philippin en France. Nous l'avons rencontré.

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Ma'Rosa est basé sur des faits réels...

Oui, comme tous mes films (rires)...

...quelles questions se pose t-on afin de trouver la bonne distance avec les faits d'origine ?

Je me fie toujours au même paradigme, et même si c'est une méthode que je n'ai pas inventée, j'appelle ça le found story, en clin d’œil au found footage. Cette méthode tient en trois points. Tout d'abord il faut que l'histoire que je souhaite filmer provienne de la vie réelle, qu'elle soit arrivée à une vraie personne. Deuxièmement, il faut qu'elle possède une dimension sociologique. En tant que nation et en tant que société, c'est quelque chose qui est très cher aux Philippins: nous ne sommes pas dans l'analyse psychologique comme les Européens, nous fonctionnons beaucoup selon des règles de groupes (familles, sociétés...). Mes films ont beau être axés sur des protagonistes, ces derniers doivent toujours interagir avec la société tout autour d'eux, ils ne restent pas assis à se lamenter sur ce qui leur arrive. Troisièmement, il faut respecter la véracité du récit: depuis le scénario jusqu'au montage, en passant par les performances des acteurs, il faut adopter un style naturaliste. Il faut s'inspirer des techniques du documentaire. J'ai bien conscience que ce paradigme n'est pas celui de la majorité des réalisateurs, c'en est même presque l'antithèse ! Mais je m'y tiens.

De fait, il n'y a pas beaucoup de place pour la psychologie dans Ma'Rosa, c'est au contraire un film très physique. Tout a lieu très vite, les personnages agissent sans avoir le temps de se poser de questions. Cette dynamique tient aussi au fait que c'est un film de groupe, plutôt qu'un simple portrait de femme.

En tant que réalisateur, j'essaie d'être le plus honnête possible sur les raisons qui me poussent à transformer la vie de quelqu'un en récit. Et face à cette question, je réponds que Ma'Rosa n'est pas tant un film sur une mère qui vend de la drogue, c'est un film sur la famille. C'est ça qui m’intéressait. Du point de vue de la société, Rosa n'est pas une mère idéale, ses enfants ne sont pas des enfants parfaits. Mais d'un point de vue moral, ils sont parfaits les uns pour les autres. C'est une famille idéale dans le sens où ils s'entraident, sans remettre en question les agissements des uns et des autres.

La corruption et l'immoralité touche tout le monde dans Ma'Rosa, il est impossible d'y échapper. Seriez-vous d'accord si l'on dit que c'est un film plus dur, plus sombre que vos précédent?

Pas spécialement. Je me demande si ce n'est pas l'absence de jugement moral dans le film qui peut mettre certains spectateurs mal à l'aise. Les personnages vendent de la drogue sans culpabilité, en plein jour, ça peut paraître immoral mais c’est presque une seconde nature pour eux et c'est peut-être ça qui est perturbant.

Vous avez travaillé une nouvelle fois avec votre chef-opérateur habituel Odyssey Flores, comment avez-vous collaboré sur ce film-ci?

Notre relation de travail n'a pas beaucoup changé, si ce n'est qu'il connaît de mieux en mieux mon esthétique. Il sait que je ne veut pas utiliser de lumière artificielle, que je n'aime pas faire beaucoup de répétitions. Il sait que je veux un traitement réaliste car mes histoires sont réalistes.

Je crois savoir que vous tournez à plusieurs caméras, afin que les comédiens ne sachent plus quand et comment ils sont filmés?

Oui, je fais ça très souvent, car je ne veux pas que les acteurs soient trop conscients de la caméra. J'ai une règle sur un tournage: une scène ne s'interrompt jamais tant que je n'ai pas dit "coupez", et cela peu importe ce qui arrive, même si on est au milieu de la rue ou sous la pluie. D'ailleurs il y a beaucoup de pluie dans Ma'Rosa. Pour ces scènes-là, on s'est décidé quelques heures avant parce qu'on savait qu'un gros orage arrivait, mais au final on n'a eu besoin de ne faire qu'une ou deux prises. Quand on voit la scène, on a l'impression que c'est le déluge, l'enfer, mais en réalité ce n'était pas plus compliqué que ça à tourner. Dans les deux cas, c'est une question d'immersion.

Immersion, c'est un mot qui définit souvent votre cinéma.

Tant mieux, c'est voulu ! C'est exactement ce que j'ai envie de provoquer chez le public. Je ne veux pas que vous soyez simplement spectateur, mais vraiment témoin. Cela implique un rôle d'avoir un rôle plus actif, quitte à ce que cela mette mal à l'aise.

Quelle est votre formule pour y parvenir? C'est bien sûr une question de mise en scène, mais est ce que des phases comme l’écriture ou le montage ont aussi leur rôle à jouer dans cette entreprise?

C'est un tout. Même le traitement du son joue un rôle fondamental. Je veux qu'on entende battre le cœur du film. S'il pleut dans le film, je veux que vous ayez l'impression d'être trempé. On parlait de la pluie: sa présence sonore est aussi fondamentale que sa présence visuelle. On remarque rarement le travail du son, c'est pourtant une très bonne manière d’emmener le spectateur quelque part sans qu'il ne s'en rende compte, de faire naître l'émotion. Mais ce sentiment d'immersion provient aussi de l'écriture. Ça ne m’intéresse pas d'avoir des personnages parfaits, ce que je veux ce sont des personnages émouvants. Donner des défauts à un personnage, c'est le rendre plus humain, et donc plus susceptible de trouver un écho dans le public.

Vous qui travaillez tant l'immersion, si jamais vous disposiez d'un budget illimité, envisageriez vous d'utiliser la 3D ?

Non. Je veux utiliser la technologie à mon avantage, mais je ne veux pas qu'elle prenne le dessus. La technologie évolue, et continuera a évoluer, rendant obsolètes les progrès d'aujourd'hui. Ce qui ne bougera pas, ce sont les histoires.

Vous êtes le parrain de la première édition de la première édition P-Noise Film Festival, que pouvez-vous nous en dire?

Oui, je suis très content que ce festival existe. J'avais déjà participé à une édition du festival qui avait été faite à Copenhague par la même association. J'apprécie que la manifestation mette en relation les artistes et la communauté philippine.

Entretien réalisé le 17 novembre 2016. Un grand merci à Céline Petit.

par Gregory Coutaut

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