Marais Film Festival: Entretien avec Bitte Andersson

Marais Film Festival: Entretien avec Bitte Andersson

Ninjas, fantômes, grosses cylindrées et rock lesbien : voici le programme bis et flamboyant de Dyke Hard réalisé par la Suédoise Bitte Andersson. Cette rencontre du cinéma de John Waters et d'un épisode de Jem & les Hologrammes est à découvrir dans le cadre du Marais Film Festival. Nous avons interviewée sa sémillante réalisatrice, qui nous parle de cinéma de genre, de culture queer, de boxe thaï, du bon usage des perruques... et nous fournit le kit de survie de la cinéaste fauchée.

  • Marais Film Festival: Entretien avec Bitte Andersson
  • Marais Film Festival: Entretien avec Bitte Andersson
  • Marais Film Festival: Entretien avec Bitte Andersson

Quelle a été la genèse d’un film aussi barré ?

Alexi Carpentieri, Martin Borell et moi-même sommes trois amis qui regardons tout le temps des films ensemble. On a regardé tous les films LGBTQ qu’il était possible de voir, on les a aimés mais une bonne partie d’entre eux étaient tristes, consacrés à des problèmes tels que l’homophobie, les crimes de haine, la dépression etc… Nous avons vu aussi un grand nombre de films de genre des années 80 – de l’action, de la SF, du fantastique, de l’horreur etc… On adorait ces films pour leur humour, leur style, et on se sentait bien en les regardant. Pendant le visionnage, on était toujours là à dire « J’adore ce gang de bikers, il nous en faut un dans notre film », ou « Les fins dépressives m’horripilent, jamais je ne ferais ça ». A l’époque, nous n’avions aucun vrai projet de film, mais à forcer d’en regarder, année après année, on a en quelque sorte concocté la recette de notre film de genre favori et construit notre monde commun de références.

Nous produisions déjà un show télé amateur et queer ensemble (c’est comme ça qu’on s’est rencontrés). Après 7 épisodes, on a décidé de changer de format et d’en faire une série ou des fausses bandes annonces pour des films qu’on souhaiterait voir exister… en espérant inspirer un vrai cinéaste qui pourrait les faire. Nous avions des idées pour une fausse bande annonce de film d’action lesbien, un film fantastique trans, un film de SF gay… Mais après avoir achevé l’un d’eux (le film d’action lesbien), ça nous a semblé demander beaucoup trop de travail pour un résultat de 2 minutes. Nous devions caster chaque personnage, trouver les lieux de tournage, faire les costumes, constituer une histoire… On a eu le sentiment que c'était presque aussi dur que de faire un vrai film (maintenant, je sais que ça n’était pas exact). Lorsque je suis restée éveillée toute la nuit pour coudre une tenue de boxe thaïlandaise qui apparaît une demi seconde dans la bande annonce, nous avons décidé que nos idées de fausses bandes annonces pourraient être assemblées pour faire un script de long métrage.

Ça n’a pas été aisé de lier des bikers, des fantômes, des ninjas et des évasions de prison ensemble, mais faire un road movie est apparu comme le choix idéal. Par ailleurs, je jouais moi-même entre 2000 et 2004 dans un groupe de punk qui s’appelait Dyke Hard, et j’adore l’aspect dramatique, les luttes qu’on retrouve dans à peu près tous les groupes. Et les films de groupes, c’est juste le meilleur genre !

A mes yeux, Dyke Hard ressemble à un épisode de Jem & les Hologrammes qui serait réalisé par John Waters. Êtes-vous familière avec ces références ?

BIEN SÛR !!! Ça me flatte tellement que vous les mentionniez, Jem et John Waters étant deux de nos quatre inspirations principales ! J’ai tenté d’attirer l’attention de John Waters à plusieurs reprises, une première fois en lui envoyant un magnet de frigo à l’effigie du roi de Suède pratiquement nu alors qu’il avait la vingtaine, une autre en lui offrant ma caméra qui date d’il y a 18 ans, en tant que sacrifice religieux puisque John Waters était notre dieu à l’époque.

Vous avez travaillé chez Troma. Qu’y avez-vous appris ?

Tout ce que je sais de la mise en scène ! La production de Poultrygeist a plus ressemblé à un apprentissage d’école de cinéma qu’à une production de film en tant que telle. Je suis venue en pensant que j’allais faire le service, préparer le café, et peut-être saisir deux-trois choses de la magie du cinéma, mais j’ai fini responsable des effets spéciaux – alors que je n’avais strictement aucune expérience en la matière. Et ce n’est pas grâce à mes talents extraordinaires que c’est arrivé, c’est juste que j’étais plus vieille que les autres, que j’avais 24 ans et que je sortais d’une école d’arts.

Le réalisateur Lloyd Kaufman faisait des cours entre chaque prise, et tout le monde prenait des notes. Il nous donnait des conseils fort utiles tels que « Investissez dans les perruques ! Les films à micro-budget sont toujours plus long à tourner que ce que l’on croit, n’imaginez pas que vos acteurs bénévoles vont garder la même coupe pour toujours, de plus une perruque sera d’une grande aide si vous voulez tuer votre personnage en lui disloquant le cou, le jetant du toit ou en le décapitant ! », ou « Dépêchez-vous ! Voulez-vous que ce soit parfait ou que ce soit fait ? ». Ces sagesses ont été cruciales pour Dyke Hard (rires). Nous avions également une grande liberté artistique en faisant Poultrygeist. Pour les effets spéciaux, nous devions tout inventer nous-mêmes. J’ai découvert que cela constituait une très bonne motivation pour que les gens travaillent gratuitement – leur donner une totale liberté artistique et le pouvoir de s’investir dans la production. Ça, et s’assurer qu’ils n’aient jamais faim, mais là c’est ma mère qui me l’a enseigné.

Dyke Hard appartient à bien des genre différents. Quelles étaient vos références ?

Beaucoup, beaucoup de films, mais voici la liste de nos favoris en ce qui concerne le style et l’esthétique : Le Dernier dragon de Michael Schultz, Breakin' 2: Electric Boogalo de Sam Firstenberg, Stone Cold de Craig R. Baxley, Chopper Chicks in Zombietown de Dan Hoskins, Miami Connection de Woo-sang Park, Night of the Demons de Kevin Tenney, The Boneyard de James Cummins, The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman, Rock'n'Roll High School de Allan Arkush et Joe Dante, Hustler White de Bruce LaBruce et bien sûr Pink Flamingos, Desperate Living et tous les films de John Waters. Et tous les Almodovar. Et le cinéma d'exploitation. Mais ces films de genre peuvent souvent être assez sexistes et hétéronormatifs. Dyke Hard est à la fois un hommage queer et une critique queer des films que nous adorons.

Dyke Hard n'est pas, à proprement parler, un film politique, mais avoir une telle diversité de personnages queer sonne comme une affirmation politique. Est-ce que que vous aviez cela en tête lors de la confection du film ?

OUI ! On avait le sentiment que la culture politique queer nécessitait une certaine intelligence pour être comprise. On adore tous cette culture, mais nous souhaitions faire quelque chose de plus accessible pour ces jours où vous avez la migraine, que vous avez froid, que vous êtes déprimé ou que votre cerveau est en vacances. Nos inspirations politiques viennent par exemple de Born in Flames de Lizzie Borden ou The Adventures of Iron Pussy de Michael Shaowanasai et Apichatpong Weerasethakul, mais la culture queer en général nous inspire également, tous comme les théories queer/féministes et post-coloniales. Autrefois je tenais une librairie féministe et la plupart de nos acteurs dans Dyke Hard sont des clients de cette boutique. De plus, la plupart des personnages ont été écrits en fonction des acteurs qui allaient les incarner : comme nous les connaissions, nous pouvions adapter les personnages aux talents particuliers de nos comédiens. Eux-mêmes ont participé au développement des personnages. Par exemple Moira, la mystérieuse milliardaire, a écrit ses propres dialogues, amélioré les dialogues de Scotty et a réécrit toute la fin du film ! C'est aussi une spécialiste des arts martiaux, elle a donc chorégraphié la plupart des combats et elle joue une des ninjas. Scotty, elle, est un génie de la musique et m'a aidée à développer les numéros musicaux.

Une de mes plus grandes inspirations politiques dans tous les projets auxquels j'ai participé sont les bandes dessinées Love & Rockets de Jaime Hernandez. Il a créé un monde de femmes où il y a certes des hommes, mais où les femmes tiennent tous les rôles importants. Un peu à l'opposé d'un certain type de cinéma de genre où il y a un monde d'hommes et une femme qui traine quelque part.

Quels conseils donneriez-vous à un ou une jeune cinéaste qui n'aurait aucun budget pour tourner son film ?

Investissez dans les perruques ! (rires) Construisez votre récit autour d'un lieu que vous pourrez utiliser gratuitement et auquel vous aurez un accès illimité - ça vous évitera beaucoup d'ennuis. C'était une de nos plus grosses erreurs : nous avons écrit pour de trop nombreux lieux de tournage, et ils ont été difficiles à trouver. Essayez de garder un bon karma - rendez ce que vous empruntez, tenez vos promesses, soyez à l'heure etc... Vous allez avoir besoin de beaucoup d'aide et de soutien autour de vous, alors traitez les gens avec respect et essayez de ne pas vous faire d'ennemis.

Une manière d'obtenir des assistants gratuitement, c'est d'être assistant sur des films à petits budgets d'autres réalisateurs et de leur rendre service. Ou rendez service à qui que ce soit. Le système économique de Dyke Hard est basé sur les services rendus. Par exemple, j'ai conçu gratuitement des affiches, flyers et photos pour mon club de boxe thaï, et en retour on a eu des boxeurs sur le film pour les cascades.

N'ayez jamais peur de demander de l'aide - d'amis ou d'étrangers, ils sont libres de dire non s'ils n'en ont pas envie. Nous avons demandé à une boite spécialisée dans les bruitages si nous pouvions leur rendre visite pour les voir travailler et apprendre d'eux durant une demi journée, et ils ont accepté ! On a également demandé à une grosse boite de production si elle pouvait nous prêter un écran d'ordinateur - au final, cette boite nous a aidés sur toute la post-production du film.

Rédigez des contrats avec tout le monde, même les figurants. Même si c'est un film sans budget, vous ne savez jamais ce qui peut arriver dans le futur. Et puis un contrat est aussi une manière efficace de dissiper tout malentendu concernant l'argent ou quoi que ce soit. Cela peut être un texte très simple, juste un accord.

Lorsque vous stressez, dormir et manger vous évitera une crise. Ne stressez pas : la différence entre vous et un réalisateur doté d'un vrai budget est que vous n'avez pas à vous confronter à une deadline, vous pouvez prendre votre temps, tant que vous avancez.

On dit également que le son constitue 60% de l'expérience lorsque qu'on regarde un film. Une bonne partie du public peut tolérer une image de mauvaise qualité, mais le mauvais son tue vraiment un film. C'est selon moi beaucoup plus simple d'enregistrer tout le son a posteriori. Même si la synchro est décalée, comme dans Dyke Hard, au moins vous pouvez entendre ce qui se dit.

Imaginons la situation opposée : vous avez un budget illimité pour votre prochain film. Vous pouvez caster n'importe qui. Quel serait votre pitch et vos stars ?

En ce moment-même je bosse sur mon premier roman graphique (je dessine des bd depuis des années, mais surtout des formats plus courts, pour des commandes), du coup ça m'est difficile de me projeter dans un nouveau film dans l'immédiat (je ne peux me concentrer que sur une histoire à la fois). Mais si j'avais un budget illimité, j'imagine que je choisirais le même casting - sauf que là je pourrais bien payer mes acteurs et m'offrir des cameos de quelques unes de mes stars préférées comme Jeeja Yanin, Angela Bassett et Karen Mok. J'adorerais également travailler avec Ilonka "Killer Queen" Elmont, sept fois championne du monde de kickboxing, et qui a affirmé qu'elle avait toujours voulu faire du cinéma.

L'idée d'une suite fait son chemin au sein de l'équipe, mais rien d'officiel pour le moment. Je ne suis pas très impliquée à l'heure où je vous parle puisque je viens d'avoir un bébé et que je travaille sur mon livre, mais j'adorerais que quelqu'un d'autre écrive et réalise une suite à Dyke Hard.

Bitte Andersson, quel est votre film queer préféré ? La réalisatrice répond à notre enquête.

Entretien réalisé le 10 novembre 2016. Un grand merci à Thibaut Fougères.

par Nicolas Bardot

En savoir plus

Notre critique de Dyke Hard.
Dyke Hard est diffusé ce samedi 11 novembre à 22h dans le cadre du Marais Film Festival. Toutes les infos ici !
Crédit photo : Zaira Perdignon.

Commentaires

Partenaires