Entretien avec Bi Gan

Entretien avec Bi Gan

C'est l'une des révélations de l'année : le tout jeune Chinois Bi Gan signe avec Kaili Blues un coup de maître racontant le parcours d'un médecin s'embarquant dans un périple existentiel. Un film primé à Locarno et au Festival des 3 Continents dont l'éclair de génie est un plan séquence d'une quarantaine de minutes en forme de petit miracle poétique. Kaili Blues sort ce mercredi 23 mars en France et c'est un immanquable. Nous vous faisons les présentations...

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Quel a été le point de départ de Kaili Blues ?

Lors du tournage de mon dernier court métrage, je lisais le Sūtra du diamant. J'ai été interpellé par cette phrase : « L'esprit passé est inatteignable, l'esprit présent est inatteignable et l'esprit futur est inatteignable ». J'ai tourné Kaili Blues avec en tête l'envie de répondre à cette phrase. Toutes mes œuvres ont un lien entre elles, et je pense que mes personnages sont eux aussi interpellés par cette citation.

Dans Kaili Blues, un personnage dit que les choses sont « comme dans un rêve ». Est-ce que cela peut s'appliquer à l'atmosphère générale de votre film et la façon dont vous l'avez mis en scène ?

J'essaie de faire de la réalité un rêve et de traiter du rêve comme d'une réalité. Ce contraste est précisément la beauté que je cherche à atteindre dans mes films et c'est ce qu'il y a de plus important pour moi.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'incroyable plan-séquence à travers le village ? Cette scène (et la façon dont elle a été tournée) revêt-elle un sens particulier selon vous ?

Cette scène a été tournée deux fois. La version utilisée dans le film a été tournée avec un appareil photo 5d3. J'ai demandé au directeur de la photographie de filmer en moto pour suivre les acteurs. Je n'ai pas voulu utiliser de grue. Je tenais à filmer cette scène de façon assez ordinaire. Une autre version a été tournée avec une vieille DV et des cassettes. Je souhaitais tirer quelque chose d'extraordinaire de cette vieille machine. Mais elle était trop petite à manier pour le directeur de la photographie, et le résultat n'était pas satisfaisant. C'était un sacré défi. On m'a suggéré de tourner cette séquence en la découpant puis en donnant l'illusion après retouche numérique d'un unique plan-séquence, à la manière de Birdman. Mais j'ai insisté pour la filmer en une prise. Ce n'est pas une question de challenge technologique, mais d'approche philosophique que j'applique à mes films.

Vous êtes également artiste et poète. Vous utilisez vos poèmes dans Kaili Blues. En quoi cette combinaison de formes artistiques vous offre t-elle davantage de liberté en tant que cinéaste ?

J'ai utilisé mes poèmes une première fois en 2010 sur mon premier film, Tiger. A l'époque, je m'étais retrouvé avec trop de matériel et je ne m'y retrouvais plus pour monter ce que j'avais filmé. J'ai, en quelque sorte, organisé mon film à partir de mes poèmes. Je crois que l'art provient d'un équilibre entre spontanéité et restriction. Le cinéma est la moins libre des formes d'expression artistique, c'est pourquoi j'ai tenté de créer une expérience combinant le cinéma et la poésie.

Les personnages de Kaili Blues se demandent comment remonter le temps et parlent beaucoup de leurs souvenirs. Ces souvenirs sont très liés aux lieux et vous apportez un soin particulier à les filmer : les routes, les montagnes, le village... Est-ce que les lieux que vous filmez font partie intégrante, à vos yeux, du récit et de ce qu'il exprime ?

Si un film constitue un univers, ses scènes sont des planètes. Chaque planète a son climat, son eau, sa gravité, et elle crée ses propres personnages. Créer ces scènes, c'était comme construire sur une terre abandonnée. Sur laquelle j'étais totalement libre.

Qui sont vos cinéastes favoris ?

Je citerais Hou Hsiao-Hsien et Andrei Tarkovski.

Quels sont vos projets ?

Je prépare mon nouveau film. Il s'agit de l'histoire d'un détective, dans un village. J'aborde ce projet avec des idées nouvelles sur la forme et les moyens de m'exprimer.

Entretien réalisé le 12 septembre 2015. Un grand merci à Jack Lee.

par Nicolas Bardot

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