Entretien avec Antoine Raimbault (Une intime conviction)

Entretien avec Antoine Raimbault (Une intime conviction)

Antoine Raimbault a réussi l’impossible: réaliser un film de procès, en France, sur une affaire récente, sans avoir recours à des flash-backs ou à un personnage d’enquêteur. Le genre de projet que le système de financement du cinéma abhorre, préférant cantonner le judiciaire à la télévision. Investi depuis longtemps dans l'affaire, Raimbault a su trouver le recul nécessaire pour en tirer une fiction méticuleuse, précise, et prenante. Il revient avec nous sur les dix ans qui ont mené à ce premier long-métrage.

  • Entretien avec Antoine Raimbault (Une intime conviction)
  • Entretien avec Antoine Raimbault (Une intime conviction)
  • Entretien avec Antoine Raimbault (Une intime conviction)

Avant d’être un film, cette affaire était quelque chose de personnel pour toi. Comment es-tu arrivé dessus ?

Karim Dridi, qui lisait mes scénarios à l’époque, avait croisé Jacques Viguier à Toulouse dans les cercles cinéphiles. Il me dit: "C’est un mec singulier, sympathique, un peu bizarre, qui est accusé d’avoir tué sa femme et il y a peut-être quelque chose à faire dessus". Je lui ai répondu qu’en France c’est impossible, que c’est pas une affaire jugée, qu’il faudrait être Oliver Stone… Mais je commence à lire sur l’affaire – surtout des mensonges, de la boue médiatique. Je vais prendre des notes au procès et c’est là que je découvre la cour d’assises. Tout ce que connais de la justice vient alors des films américains: le marteau, "Objection votre honneur", et la vérité qu’on scrute dans l’œil du témoin. Là au contraire je vois des gens défiler de dos, ce qui me frappe. Le président est à la fois juge et arbitre. La défense est dans un coin et a les miettes de fin de repas. . Il y a un sentiment de "Circulez, y a rien à voir" et je trouve ça terriblement déséquilibré. Pendant le deuxième procès, je commence à tourner un documentaire, qui ne sera jamais diffusé, même si les images serviront à nourrir par la suite tous les collaborateurs du long-métrage, et c’est là que je commence à imaginer un personnage de fiction, une sorte d’électron libre en quête de vérité et qui va en chemin incarner ce qu’elle pensait combattre en devenant le miroir de l’accusation sans preuve.

Comment le film a été produit ?

Karim Dridi me porte, il me pousse à creuser le point de vue, mais il n’est pas producteur. J’entame une traversée du désert où je frappe à la porte de plein de producteurs qui me disent que ça fera peut-être de la bonne télé. Je me heurte au fait qu’en France, notre imaginaire judiciaire est sur le petit écran, et qu’il est un peu fané, un peu sclérosé. De plus, mon film est cérébral, à la lecture c’est pas si facile. Je rencontre alors Caroline Adrian de la société Delante qui a eu envie et qui a été en mesure de le produire. Memento (le distributeur) est venu dès le scénario, sans casting, ce qui est très rare. Après, on a Marina Foïs qui aime le sujet, elle a envie, elle me fait un texto le soir: "Je veux, je veux !"

Et après ?

Marina Foïs a généré de l’intérêt, donc Canal est venu dessus, ils étaient fan. On n’a pas eu de chaîne hertzienne, justement car leur imaginaire est contaminé par ce qu’ils produisent eux-mêmes, à savoir des séries policières. On a deux régions en plus (Occitanie et l’Île de France). Et on a eu la surprise d’avoir l’Avance sur recettes du CNC, ce qui est rare pour un film comme celui-ci.

Est-ce que l’existence du téléfilm de Jean-Xavier de Lestrade La Disparition, qui revenait sur la même affaire, a mis en péril ton projet ?

Un tout petit peu, mais pas vraiment. C’est un film qui est aux antipodes des choix qui ont été les miens. Lestrade est parti des grandes lignes de l’affaire mais il s’en est complètement émancipé. En plus, son film a lieu au moment de l’affaire, avec des flash-backs, contrairement aux nôtres qui est un film judiciaire, dix ans après, sans flash-backs. Et puis c’est terrible mais les gens ont la mémoire courte. C’est à la télé, c’est pas au cinéma, et puis c’est pas le petit Grégory. Lestrade, dont j’adore les documentaires, est venu voir mon film. Je lui ai demandé s’il adhérait au point de vue de Nora, même s’il n’est pas crédible. Il m’a dit: "Je me posais la question, mais je pense que les spectateurs s’en fichent". Ce personnage qui porte un débat au sein du film, la vérité contre le doute, c’est ça qui fait que c’est du cinéma et pas juste un documentaire. Sans ça, il n’y a pas de film.

Vu que tu avais déjà tourné un court-métrage avec lui (Vos violences, 2013), as-tu pensé utiliser Eric Dupont-Moretti dans son propre rôle ?

Non, ça n’aurait pas eu de sens. Il aurait dû feindre l’émotion qui était la sienne, tout en étant lui-même. Il n’aurait jamais accepté en plus. Mais les agents m’ont proposé plein de noms improbables. Les gens n’ont pas d’imagination, ils prennent juste la liste des gens soi-disant bankables…

Comment tu te sentais le matin du premier jour de tournage ?

Plutôt bien. La préparation avait été très longue donc j’étais serein. J’avais eu le temps pendant l’été de préparer un document de 350 pages que personne n’a jamais lu mais qui dépouillait chaque séquence et posait toutes les questions de mise en scène et de storyboard. Pendant le tournage, j’ai même trouvé du temps pour faire du sport le matin les trois premières semaines mais avec les heures sup’ j’ai pas pu tenir.

Comment as-tu tourné les scènes de procès ?

Les séquences de procès ont été tournées en onze jours (sur les 34 du tournage), à Paris, en studio. Je me suis interdit certains axes pour respecter le point de vue de Nora. Ce qu’on faisait, c’est qu’on essayait de se mettre dans les conditions d’un vrai procès. Même si un acteur qui joue un témoin ne devait dire qu’une ou deux phrases à la barre, il attendait dehors, on le faisait venir, il prêtait serment… Ça permet à tout le monde de se chauffer et ça met dans l’ambiance. C’est presque du documentaire.

Et pour la séquence de plaidoirie de Dupont-Moretti à la fin ?

Justement, lorsque Dupont-Moretti plaide, il prend possession des lieux et là je dégoupille la mise en scène. Ça a été tourné en une journée avec deux caméras. A chaque fois, Olivier Gourmet refaisait la plaidoirie en entier. Il est comme une machine. Au final, j’avais six heures de rushes pour cette scène.

(la question suivante spoile un élément de l’intrigue)

J’ai entendu que dans la première séquence, qui se passe à la fin du premier procès Viguier, il y avait originellement un plan sur Marina Foïs parmi les jurés. On comprenait donc dès le début qu’elle avait été jurée, alors que dans le film final, c’est une révélation de mi-parcours.

J’étais très content d’avoir fait de mon personnage une jurée qui va faire son "service après-vente", même si c’est un parti-pris de cinéma qui n’arrive pas souvent dans la réalité. Au scénario ça marchait, il y avait de longues scènes où elle se justifiait : « Ils se sont torchés avec notre verdict, je peux pas le laisser prendre vingt ans sans rien faire. » Mais le début était laborieux – Viguier dans son box, Marina qu’on ne connaissait pas parmi les jurés, le laïus sur l’intime conviction que par conséquent on n’écoutait pas – et à la mise en scène j’ai merdé, c’était trop étriqué, c’était pas clair. On remontait la scène dans tous les sens et personne ne comprenait qu’elle était jurée. Et finalement on s’est rendus compte que ça n’apportait pas grand-chose. Donc on a essayé de supprimer cette information et ça créait alors une surprise, et ça rendait le personnage de Nora plus intéressant et complexe. C’était une découverte géniale au montage.

De quoi es-tu le plus content dans le film, et quel est ton plus grand regret ?

L’équilibre entre la fiction et le réel, qui est très casse-gueule et que je pense avoir réussi. Je suis très content de l’émotion de la fin. On avait une autre fin au scénario qu’on n’a pas tournée et finalement on a fait cette scène de foule qui, selon moi, capte une partie de l’émotion qu’on pouvait ressentir au procès. Sinon, j’ai du mal avec le début, et plein d’autre moments, mais j’aurais du mal à dire lesquels. Je n’ai aucun doute sur le fait que le temps que le film sorte je vais lui trouver plein de défauts et que peut-être un jour je le trouverai même nul, mais pour l’instant c'est compliqué de répondre, car j’ai encore le film dans le ventre.

Entretien réalisé par Liam Engle le 4 décembre 2018

par Liam Engle

Commentaires

Partenaires