Entretien avec Angeli Bayani

Entretien avec Angeli Bayani

Difficile de parler des nouveaux talents du cinéma philippin sans évoquer l'actrice Angeli Bayani. A l'affiche de l'ambitieux Norte, la fin de l'histoire de Lav Diaz, la comédienne s'est illustrée aussi bien en incarnant une mère dont la fille a été dévorée par un crocodile dans le film inspiré d'une histoire vraie Bwaya qu'en tant que vulve parlante dans la comédie zinzin Juana C. Bayani a également été très remarquée dans le Singapourien Ilo Ilo, Caméra d'or à Cannes. Elle est notre témoin privilégiée à l'occasion de notre semaine philippine sur FilmDeCulte...

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Norte, la fin de l'histoire est une expérience unique. Parlez-nous du tournage de ce film.

Norte est probablement le film le plus épuisant émotionnellement de tous ceux que j'ai tournés. Je me souviens avoir été effrayée par mon personnage car le désespoir qu'elle ressent m'est trop familier, et moi aussi je suis une mère qui serait prête à tout pour mes enfants. Pendant les deux semaines où j'ai tourné le film, je pouvais à peine manger ou dormir. L'élément positif quand on travaille avec Lav, c'est que peu importe les thèmes sérieux abordés par le film ou le profond respect qu'il a pour ses acteurs, l'atmosphère sur le tournage est toujours rock'n'roll. Ce serait idiot de trop se prendre au sérieux.

Les films de Lav Diaz sont du cinéma d'auteur pur et dur, audacieux et sophistiqué. Vous avez également joué dans la comédie Juana C de Jade Castro qui est tout aussi audacieux mais d'une autre manière. C'était comment, de jouer une vulve?

Tourner Juana C n'était pas facile ! Honnêtement, c'était comme un grand départ pour moi. Je ne suis pas connue pour de tels rôles. Je n'ai aucune idée de ce qui a pu faire croire à Jade que je serais capable de le jouer, mais j'ai décidé de me lancer le défi. Au bout du compte, la solution était le lâcher prise, et là encore ne pas se prendre trop au sérieux.

Le public étranger vous a peut-être davantage découverte dans un film qui n'est pas Philippin : Ilo Ilo d'Anthony Chen. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce tournage et votre transformation pour ce rôle ? Est-ce essentiel pour une actrice philippine de trouver des rôles à l'étranger?

Pour Ilo Ilo, j'ai passé un mois et demi à Singapour. J'ai l'habitude des tournages in situ, mais celui-ci a été particulièrement exigeant, principalement à cause des différences culturelles qui peuvent, malheureusement, mener à des malentendus. Néanmoins, tout le monde s'est mis d'accord sur la même chose, c'est à dire qu'il fallait raconter cette histoire. C'est ce qu'on a fait. Pour mon personnage, on voulait un look sans maquillage, ce dont j'ai l'habitude. Ma queue de cheval me donnait un air sévère, ce qui est déjà plus inhabituel pour moi. Mais ma transformation physique n'était en fait pas si radicale.

Personnellement, je pense qu'il est important de trouver du travail partout où celui-ci peut se présenter. Mais je dirais que trouver des rôles à l'étranger fait précisément partie du travail d'un acteur. On apprend tellement de choses sur une industrie à l'étranger : sur les méthodes de travail, sur l'éthique, sur l'esthétique... Et cet apprentissage peut ensuite être partagé avec les autres acteurs ou même l'équipe pour que chacun sache que les choses peuvent être accomplies différemment - ou de meilleure façon. Il y a toujours moyen de s'améliorer.

Le rôle que vous jouez dans Bwaya (celui d'une mère ayant perdu sa fille dévorée par un crocodile, le film étant inspiré d'une histoire vraie, ndlr) est particulièrement difficile. Comment avez-vous trouvé le ton juste pour jouer ce personnage pris dans une histoire tellement horrible qu'elle ne peut être vraie?

Nous sommes restés dans la région une semaine avant de tourner le film. J'ai rencontré la femme qui a perdu sa fille, ainsi que sa famille et ses voisins. Nous avons entendu la même histoire mais racontée par différentes personnes. C'était pour le moins qu'on puisse dire fascinant, et ça a rendu ma tâche très intimidante. Encore aujourd'hui, je ne sais pas si j'ai trouvé le ton juste, mais je dois dire que l'environnement a grandement influé sur ma performance. C'est un paysage à la fois beau, sauvage et sans pitié, où hommes et bêtes coexistent mais pas toujours de manière paisible. Bien sûr, être moi-même une mère m'a aidée à me sentir proche de cette femme qui a perdu son enfant. On devient nous-mêmes des bêtes, en quelque sorte, lorsqu'on doit protéger nos enfants, mais avec une perte si soudaine, si inexplicable, je me suis retrouvée confrontée à une question sans réponse. Il ne reste que la peine.

Vous avez débuté votre carrière en 2003. Vous avez été dirigée par de nombreux nouveaux talents philippins Lav Diaz, Jade Castro, Eduardo Roy Jr, Adolfo Alix Jr ou Raya Martin. Quel regard portez-vous sur cette émergence de nouveaux réalisateurs ? Avez-vous le sentiment que quelque chose a changé dans le cinéma philippin?

Au départ, il s'agissait d'une petite communauté dans laquelle tout le monde se connaissait. A l'époque, les choses étaient plus expérimentales, exploraient davantage, étaient peut-être plus courageuses. Les histoires étaient racontées comme elles devaient être racontées. Aujourd'hui, il y a tellement de réalisateurs indépendants - ce qui devrait être une bonne chose, comprenez-moi bien : plus de réalisateurs, c'est plus d'histoires racontées etc. Mais je remarque quelque chose de plus mainstream dans l'industrie indépendante. Les attentes du box-office, le casting de stars pour attirer plus de public, et même la manière dont l'histoire est racontée et ajustée - cela fait maintenant partie des soucis d'un réalisateur. Cela m'attriste quand la voix du réalisateur s'efface et doit faire des compromis au profit de celle du producteur.

Heureusement, certains réalisateurs parviennent à tourner cette situation à leur avantage. Le meilleur exemple serait Heneral Luna, un film indépendant qui a été un succès en salles. Les films indépendants sont désormais plus accessibles et ont les moyens plus que jamais d'atteindre davantage de gens. Le meilleur dans tout cela étant que les cinéastes à l'origine de ce renouveau, comme Lav Diaz, Khavn de la Cruz, Raya Martin ou John Torres sont en activité, et le public a davantage l'occasion de voir leurs films.

Est-ce difficile pour les films d'auteurs d'atteindre le public aux Philippines ? Pensez-vous qu'il y ait des choses à améliorer?

Les récents succès au box-office comme en festivals de nombreux films indépendants indiquent qu'il y a un public. La difficulté vient plutôt du manque de salles pour projeter ces films. Il y a une lutte actuellement avec les cinémas philippins qui favorisent systématiquement les productions hollywoodiennes. Néanmoins, avec des succès au box-office comme Heneral Luna, ce point de vue peut être amené à évoluer en notre faveur.

Quelles sont vos actrices favorites?

Je dirais Meryl Streep, Zoe Caldwell, Cate Blanchett, Marion Cotillard, Gong Li et après avoir travaillé avec elle sur Ilo Ilo, j'ai un profond respect pour Yeo Yann Yann. Je suis également une grande admiratrice de Daniel Day-Lewis.

Entretien réalisé le 5 novembre 2015.

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par Nicolas Bardot

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