Entretien avec Alanté Kavaïté

Entretien avec Alanté Kavaïté

Primé à Sundance, sélectionné à la Berlinale, Summer est une romance au ton singulier qui arrive en salles le 29 juillet. Visuellement remarquable, Summer raconte la rencontre de deux adolescentes lors d'un été dans la campagne lituanienne. Sa réalisatrice, la Franco-Lituanienne Alanté Kavaïté, nous parle de ce décor pas banal, de ses choix de mise en scène, de la musique signée Jean-Benoît Dunckel (Air) ou encore de Gus Van Sant et Yasuzo Masumura...

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La campagne lituanienne, la passion pour la voltige aérienne : ce sont des éléments qu'on ne voit pas tous les jours au cinéma. Qu'est-ce qui a déclenché chez vous l'envie de raconter l'histoire de Summer ?

Au départ il y a eu l’envie de filmer des adolescents. À 17 ans, dans le regard, il se passe quelque chose qu’on ne retrouve plus à l’âge adulte. En réfléchissant à ma propre adolescence, qui n’a pas été facile, j’ai eu envie de faire un film lumineux, léger et pop. En quelque sorte, le film qui m’aurait plu à 17 ans. Un film qui ne dramatise pas les éléments un peu sombres liés à cet âge-là, comme les peurs et les tendances autodestructrices. Un film sensoriel avec un peu de douleur, mais beaucoup de plaisir, car à cet âge tout est exalté et exaltant. C’était une évidence pour moi de retourner en Lituanie, puisque c’est là que j’ai passé ma propre adolescence.

C’est un pays qui a un rapport particulier, presque obsessionnel, à l’aviation. Durant mes étés, j’assistais comme tous à de nombreuses fêtes aériennes. Cet élément du vécu lituanien tout à fait courant m’est apparu comme une métaphore juste pour Sangaïlé, mon personnage principal. La voltige aérienne exige une vraie maîtrise de soi et c’est justement ce qui semble manquer à Sangaïlé. De plus, la voltige est dans la lignée de mes recherches originelles sur les sensations pour ce projet. Le vertige, la chair de poule, les premières fois, le plaisir, l’angoisse sans forcément une cause apparente… m’ont intéressée davantage que les dialogues ou les rebondissements narratifs.

Il y a quelque chose d'assez archétypal dans cet éveil sentimental d'été, et en même temps votre film semble totalement atypique. Aviez-vous des modèles au moment de l'écriture ou de la mise en scène de Summer, et au contraire y a t-il des choses que vous souhaitiez à tout prix éviter ?

Je suis d’accord, c’est presque un genre en soi - des adolescents, l’été… Mais c’est justement ce qui m’intéressait, partir avec une histoire simple et courte et trouver une vraie écriture avec la caméra, puis au montage image et son. Le défi du film était surtout formel. Par exemple, comment rendre intéressante une scène qui sur le papier n’a pas grand chose d’attrayant : assis dans une voiture, 5 jeunes vont vers une plage. Avec le travail du cadre, du montage, du rythme, des acteurs (leurs regards), la scène devient vivante et traduit les émotions de ce moment précis comme seul le cinéma peut le faire. Le danger d’un tel projet était de ne pas se faire confiance jusqu’au bout et de trop développer le scénario. Je me suis battue contre moi-même pour rester concentrée sur les sensations de cet été un peu particulier, aussi peu dramatique soit-il.

Aussi, je voulais éviter de développer par exemple les relations adolescents/parents souvent très importantes dans les coming of age. A 17 ans, on est déjà pas mal coupé des parents et on fait un tas de choses qu’ils ignorent totalement. L’idée n’était pas de s’en débarrasser, les parents sont bien là, l’envie était de donner quelques clés au spectateur pour qu’il développe lui-même l’arrière-plan. Laisser l’histoire suffisamment ouverte, laisser assez de place pour que chacun suive les filles à travers le prisme de sa propre histoire. Quant aux modèles, je ne sais pas si je peux l’appeler modèle, mais Gus Van Sant est un cinéaste plasticien dont le travail m’intéresse beaucoup et qui sait filmer la jeunesse – je lui rends hommage dans la scène de la douche.

La singularité de Summer vient aussi beaucoup de sa mise en scène et de votre regard. Pouvez-vous nous en dire plus notamment sur la façon dont vous avez tourné les scènes de sexe qui sont très belles et surprenantes ?

Le but était d’obtenir le point de vue des filles et de ressentir ce qu’elles ressentent en évitant le côté voyeuriste. Faire l’amour avec elles et non pas les regarder faire. Il y a deux scènes de sexe différentes dans leur approche esthétique. Une scène impressionniste où il s’agit de la première fois avec une fille pour Sangaïlé. Une succession de gros plans, de peau, de mains, de seins… parfois presque abstraits et une grande recherche au montage pour créer un rythme et une certaine « montée orgasmique ». Pour provoquer certaines sensations, deux musiques aux harmoniques différentes se mélangent en plus d’un gros travail de sound design. Ce qui me plaisait aussi c’était de laisser les sensations « déformer » l’espace. Les filles sont dans un champ, elles tombent dans les herbes et font l’amour dans un environnement légèrement différent de la réalité – les ampoules de leurs robes sont plus grandes, l’éclairage change, la texture du tissu aussi… La deuxième scène est filmée en plan large, elle est plus chorégraphiée, les filles connaissent déjà leurs corps respectifs et leur approche est plus maîtrisée, elles sont à la recherche du plaisir mutuel. Elles sont à l’intérieur, mais la moiteur d’une nature tropicale s’invite grâce aux insectes qu’on entend légèrement. C’était encore une fois une recherche non naturaliste dans une liberté formelle.

Quelle importance accordez-vous à la musique dans Summer ? Comment votre choix s'est-il porté sur Jean-Benoît Dunckel ?

J’avais bien sûr entendu la BO de Virgin Suicides que j’aimais bien, mais j’ai été surtout totalement hypnotisée par le travail que Air a fait sur le film d’Erik Skjoldbjærg Pioneer, coproduit par mon producteur. Il y a dans cette BO une profondeur et une noirceur en plus du côté planant, que je n’avais pas entendues dans leur travail jusqu’à présent. JB est venu voir Summer en cours de montage et il a plongé. Le travail qu’il a eu à faire n’était pas facile, car j’avais déjà accumulé pas mal de musiques existantes et il fallait trouver une harmonie d’ensemble, ce qu’il a magnifiquement réussi.

Vous avez parlé en interview de votre amour entre autres pour Yasuzo Masumura. Qu'est-ce que vous admirez chez ce cinéaste ? Est-il d'une manière ou d'une autre une inspiration pour vous ?

Les films de Masumura sont pour moi une source inépuisable d’énergie et de réflexions – esthétiques et philosophiques. Akai Tenshi (L’Ange Rouge) ou Manji (Passion) par exemple offrent les plus beaux personnages féminins du cinéma japonais. Obsessionnel et névrosé, il arrive à un magnifique dosage entre pulsions destructrices et douceur. Ce qui m’inspire probablement le plus, c’est qu’en équilibre sur ce fil tendu entre violence et tendresse, il conserve un regard affectueux pour ses personnages et, malgré la noirceur logique et inévitable de l’aboutissement de la plupart des actions, il fait des films globalement optimistes. C’est plutôt rare d’arriver à travailler ses penchants obsessionnels tout en restant progressiste. Quant à son esthétique, là aussi j’aime beaucoup les contrastes qu’il offre – une rigueur apparente, mais en réalité - une immense liberté.

Vous avez collaboré avec Lucile Hadzihalilovic sur Evolution. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre implication et sur ce projet ?

Ça fait quelques années maintenant qu’on travaille ensemble, j’ai coécrit deux de ses projets. C’est une cinéaste inspirante et inspirée et il était temps qu’Evolution voie le jour. C’est un film-expérience qui offre des moments de cinéma forts et inédits. Il est évident qu’ Evolution va étonner, émerveiller ou dérouter, mais ne va pas laisser indifférent.

Entretien réalisé le 23 juillet 2015. Un grand merci à Léa Ribeyreix et Ophélie Rebelo.

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par Nicolas Bardot

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