Depuis ses débuts, Tim Burton se plait à mélanger loufoque et lugubre, à tourner en dérision le caractère monstrueux de certaines situations. Exemple type de cette tendance, la scène de danse de
Beetlejuice. Devenus fantômes à la suite d'un accident de voiture, Adam et Barbara Metland tentent de chasser les nouveaux occupants trop envahissants de leur maison. Au cours d'un dîner mondain organisé par ces derniers, le couple décide de posséder les invités au son du fameux
Banana Boat (Day-O) de Harry Belafonte. Le décalage entre le sombre dessein initial des deux fantômes et leur choix musical transforme l’effrayante danse macabre escomptée en dandinements créoles et enivrants s'envolant à mi-hauteur. Au départ surprises, les "victimes" se montrent peu à peu émerveillées puis enthousiasmées par la nouvelle expérience qui leur est offerte, pour finir par en demander plus. Scène pivot du film pour les deux parties en présence, elle révèle à la famille Deitz l'existence d'une vie après la mort et démontre au couple Metland que le plus difficile n'est pas d'accepter leur condition de fantôme mais de se confronter aux vivants. Cette séquence trouve écho dans le second repas organisé par la famille, réel point de rupture du film, ainsi que dans la scène de clôture, autre instant musical qui envole une Winona Ryder décomplexée.
Julie Anterrieu
On affirme souvent qu'un jeune cinéaste place l'ensemble de ses obsessions dans son premier film, de peur qu'un échec commercial mette fin à sa carrière naissante. Difficile, a priori, d'émettre la même réflexion pour Tim Burton. La paternité de son premier long métrage semble lui échapper. L'apprenti metteur en scène ne pesait pas lourd face à l'initiateur du projet et interprète principal, Paul Reubens alias Pee-Wee, superstar des programmes télévisés pour enfants. Contraint de respecter un cahier des charges précis, Tim Burton ne lâche jamais d'une semelle son personnage principal, grand garçon naïf et attachant qui traverse les Etats-Unis pour retrouver sa bicyclette chérie que lui a dérobé son rival. Malgré cette trame minimaliste, le film comporte de nombreux éléments inhérents à l'univers burtonien. On retrouve le cadre faussement idyllique d'une banlieue américaine aux couleurs pastels, un héros singulier qui peine à exprimer ses sentiments, un amour débordant pour le septième art, qui culmine dans une ébouriffante poursuite finale au sein des studios Warner. Rangé dans un placard à la suite d'une sombre histoire de mœurs, Paul Reubens retrouvera les chemins des plateaux grâce à l'ami Tim pour
Batman, le défi (il y joue Tucker Cobblepot, le père du Pingouin). Un renvoi d'ascenseur qui en dit long sur la reconnaissance du cinéaste de
Big Fish pour celui qui lui a tendu la main.
Yannick Vely
Electricity and the creation of life. Après la mort prématurée de son chien Sparky, Victor l'apprenti-sorcier se passionne pour la physique et feuillette goulûment les pages d'un manuel de vulgarisation. La vie, la mort: la frontière est si ténue chez Tim Burton, que rien ne peut contraindre l'esprit impétueux d'un enfant au renoncement. Frankenstein en culottes courtes, les mains gantées et la blouse ajustée, Victor se réfugie dans la mansarde, sous les toits. La nuit est tombée, les nuages s'amoncellent. L'orage menace d'éclater. Sparky, son "étincelle" à pattes, doit ressusciter. Suspendu dans l'embrasure de la fenêtre grâce à un ingénieux système de poulies, le patient est exposé à la foudre. L'installation précaire de Victor réunit pêle-mêle des ustensiles de cuisine, des lampes, des faons et des canards en plastique... Les roues d'un vélo tournent sous l'œil inquiet du garçon. Cette spirale hypnotique sert de motif fétiche à toute l'œuvre de Tim Burton. Le générique d'
Edward aux mains d'argent superposait des torsades au visage de Vincent Price. La robe d'une sorcière, le fourreau d'une martienne, les dessins tracés sur le sable par la mère d'Ichabod, le parapluie du Pingouin...: la spirale relève d'une esthétique de l'enchantement. Les moulins à vent, les soucoupes volantes et les engrenages à répétition invitent les héros à regarder de l'autre côté du miroir. Subjuguer pour mieux flageller la raison. Conscience de l'artiste, projection du fantastique (la boucle temporelle de
La Planète des singes), elle est la clé des champs du savant fou, tel que l'affectionne Burton. Victor, l'inventeur d'Edward, le Professeur Donald Kessler et Ichabod Crane, bricoleurs de génie ou curieux incorrigibles, participent chacun à cette subversion du quotidien.
Danielle Chou
Le premier court métrage professionnel de Tim Burton n'a rien d'un brouillon de débutant, ni la mièvrerie traditionnelle de sa maison mère (il a été produit chez Disney alors qu'il y travaillait comme animateur, à 24 ans) et comporte dès le premier plan les goûts et les obsessions de l'auteur. Œuvre de jeunesse,
Vincent s’insère quelque part entre
L’Etrange Noël de Monsieur Jack - pour la technique employée - et son recueil de poésie
La Triste Fin du petit enfant huître - pour certains dessins et l’utilisation de textes en vers. Réalisateur, dessinateur et scénariste, Tim Burton s’impose en auteur total de ce court de six minutes. Un hommage au prince de l'horreur façon Corman, Vincent Price, célèbre pour sa voix d'outre-tombe dans le
Thriller de Michael Jackson. Il en assure la narration et raconte le sombre univers d’un petit garçon homonyme. Ses rêves - qui seraient des cauchemars pour d’autres - sont peuplés de chiens zombies, de statues de cire et de Grand Amour enterrée vivante, le tout enluminé par l’esprit tourmenté de Poe. Parfaitement exécutée, l’histoire évolue avec une fluidité et un sens du timing exemplaire. La technique d’animation image par image, habituellement lourde et contraignante, est ici employée avec naturel et assurance. Le texte lui-même livre une perle d’humour noir, aux rimes inventives et à l’évocation macabre ingénieuse.
Vincent est sans conteste l’une des œuvres les plus abouties, les plus insolites et géniales de Tim Burton.
Nicolas Plaire