NID DOUILLET

L'odyssée des petits poissons-clowns a des allures de poupées russes. La créature la plus inoffensive côtoie à tout instant le danger le plus effroyable. Habitués aux dimensions modestes, les yeux écarquillés d'un père apprennent à tâter l'immensité des eaux troubles. Les univers contraires, les David et les Goliath, se bousculent au rythme des nageoires qui frétillent. Craintif et anxieux de nature, Marin ne quitte jamais l'anémone qui lui sert de refuge. L'enlèvement de son fils le poussera pourtant hors de ses retranchements et de sa bulle immunisée. Parti à la recherche de son seul et unique enfant, le poisson-clown émotif et pessimiste porte bien mal ses couleurs; le délicieux running gag du Monde de Nemo sur l'absence d'humour de Marin ne manquera pas de faire mouche.


Les adultes doivent-ils chaperonner leur enfant au mépris de leur émancipation? A trop les surveiller, ne finissent-ils pas par les oppresser? Tous les héros de Pixar font l'expérience du monde extérieur, aussi terrorisant soit-il. Encore sous le choc de la perte de sa compagne Corail, Marin redoute que le sort ne s'acharne sur sa famille. Marqué dès la naissance par une blessure liée à la tragédie, Nemo a grandi avec une nageoire atrophiée. Désireux de s'affirmer et de prouver sa témérité, le poisson rebelle cultive un air de ressemblance avec Bambi, Bouh et Luxo Jr, autant de petits anges polissons prêts à faire les quatre cent coups. Emprisonné dans un aquarium, Nemo fera l'apprentissage de l'école buissonnière auprès de vieux baroudeurs et de spécialistes de l'évasion.


VACANCES, J'OUBLIE TOUT

Aventurière sans boussole ni attache, Dory l'évaporée a de quoi excéder tous ses interlocuteurs. Incapable d'emmagasiner la moindre information, Dory ne se souvient de rien. Légère, insouciante, mais philanthrope, le chirurgien bleu à la mémoire chancelante est l'exacte antithèse de Marin, le père aux trop lourdes responsabilités. A l'exception de Jessie, Toy Story ou 1001 Pattes privilégiaient les personnalités masculines; Dory vient rétablir la parité. Si la relation filiale entraîne Le Monde de Nemo dans les frissons du mélodrame, le couple de nouveaux inséparables autorise les excentricités. Les scénaristes se montrent particulièrement adroits pour délier l'histoire, flirter avec l'absurde et échafauder des bons mots irrésistibles. Avec Dory, c'est toute l'intrigue qui bascule dans la démence et la divagation. Plus aucune injonction, plus aucun spectre n'a d'importance.





ZONES DE TURBULENCE

Grand huit tourbillonnant, le voyage de Marin sera de toute évidence placé sous le signe de l'initiation. Nemo endure la promiscuité d'une cage en verre, pendant que son père explore des régions inconnues et goûte aux vertiges des courants migrateurs. Les deux intrigues parallèles conduisent une nouvelle fois les auteurs à marier les espaces et à folâtrer avec les genres. Toy Story 2 présentait la même dualité: Woody condamné à la réclusion d'un côté, Buzz, Rex ou Bayonne lancés à sa poursuite de l'autre. L'exil de Tilt dans 1001 Pattes le pousse dans les filets d'une troupe de saltimbanques - l'équivalent des compagnons d'infortune de Nemo. Invités surprises d'une réunion d'anciens carnivores, Marin et Dory font la connaissance crispée de Bruce le requin et ses confrères Chumy et Enclume.


Avec Pixar, les apparences se révèlent toujours trompeuses. Les prédateurs ne sont pas ceux qu'on croit: le Borgne poltron (1001 Pattes), les jouets de Sid (Toy Story), Sulli l'employé modèle et zélé (Monstres & Cie). Le programme végétarien de Bruce n'est que le prolongement comique de ces détournements de caractère. Andrew Stanton s'est amusé à doubler le personnage de Crush, tortue décontractée et épicurienne. Père d'un petit Squiz débrouillard et muni d'un flegme à toute épreuve, le reptile tempère avec succès la nervosité du poisson-clown. L'épreuve des méduses visqueuses rappelle aussi bien les sirènes d'Ulysse que les pièges de Charybde et Scylla. Idée magistrale: excellents imitateurs, les bancs de poissons moqueurs communiquent par mosaïques. Enfin, la baleine gourmande évoque les escapades de Pinocchio.