En 1996, Pixar se faisait essentiellement connaître grâce à son premier long métrage entièrement réalisé en images de synthèse. Un petit pas pour l'homme, un grand pas pour le cinéma. Aujourd'hui, le studio n'a plus rien à prouver et ne vit plus dans l'ombre de Disney. Sa popularité atteint à présent des sommets bien supérieurs à ceux laissés en friche depuis plusieurs années par la "Maison aux oreilles de Mickey". Pixar, par l'intermédiaire du Monde de Nemo, s'enorgueillit du premier film d'animation au box-office, en plus de se placer au plus près du cœur de ses spectateurs. Les génies de la 3D possèdent un public large, leurs films sont accessibles à tous, non seulement par leur capacité à toucher "l'enfant en chacun de nous", mais également en cultivant un univers truffé de références qui ne sont pas forcément destinées aux plus jeunes.


BOUILLON DE CULTURE

Dès Toy Story, les auteurs citent des films éloignés du répertoire destiné aux enfants, tel que L'Exorciste, à travers un plan calqué sur le film de Friedkin, où la jeune Regan (ici Woody, malmené) tourne la tête à 180 degrés. On repèrera également assez facilement tous les clins d'oeil à Star Trek (un salut vulcain) ou bien Les Aventuriers de l'Arche perdue (Buzz poursuivi par une énorme boule) mais, petit à petit, de film en film, Lasseter et sa bande vont faire appel à une culture moins évidente, notamment pour les moins de douze ans. Ainsi, entre une parodie de L'Empire contre-attaque ("Je suis ton père") et le thème de 2001, l'odyssée de l'espace, on captera la présence de références plus subtiles comme une Barbie mimant la danse d'Ann-Margret dans L'Amour en quatrième vitesse ou encore les onze commandes sur l'arme de Zorg, comme sur l'ampli de Nigel Tufnel dans Spinal Tap. En ce qui concerne 1001 Pattes, c'est tout le film qui possède une intrigue inspirée des Sept Samouraïs (ou des Sept Mercenaires). Dans Monstres & Cie, toute la dernière moitié du classique de Chuck Jones, le cartoon Feed the Kitty (où un gros bulldog, épris d'un mignon petit chaton, s'évertue à garder la présence du félin secrète), est copiée, scène par scène, lorsque Sulli croit que Bouh est dans le compacteur d'ordures, jusque dans les mimiques du personnage. On apercevra aussi un restaurant baptisé Harryhausen, d'après le célèbre Ray Harryhausen, spécialiste des monstres dans des films comme Jason et les Argonautes, ou encore It Came from Beneath the Sea, pour lequel Harryhausen avait été contraint de créer une pieuvre à seulement six tentacules pour des raisons budgétaires, pieuvre identique à celle qui cuisine au restaurant cité plus haut. Pour Les Indestructibles, on pense évidemment à James Bond et à nombre de comics (en particulier Watchmen et Les Quatre Fantastiques). Tant de références fines, comme le nom du requin dans Le Monde de Nemo (Bruce, le même surnom donné par Spielberg à son requin mécanique durant le tournage des Dents de la mer), qui sont les témoins d'une connaissance encyclopédique de la part des créateurs.


MIROIR, MON BEAU MIROIR

Parents d'un monde à présent composé de six films, les animateurs n'hésitent pas non plus à glisser par-ci par-là des auto-références, et ceci dès leur première œuvre cinématographique. Ainsi, dans Toy Story, outre une étagère où chaque livre porte le nom d'un court métrage Pixar, on croisera le ballon orné d'une étoile avec lequel s'amusait la petite lampe de Luxo Jr., elle-même présente dans le film, ou encore le monocycle du Rêve de Red. Jessie, la cow-girl de Toy Story 2, se retrouve dans la chambre de Bouh à la fin de Monstres & Cie, ainsi que Nemo, déjà là en avant-première. Heimlich, la chenille de 1001 Pattes, rampe sur une branche écartée par Buzz dans Toy Story 2, et se retrouve dans le bêtisier du film avec la fourmi Tilt, répondant à la présence de Woody dans le leur. Dans Le Monde de Nemo, Buzz l'Eclair, Bob Razowski, le mobile à poissons de Bouh ou un comic book Les Indestructibles et une voiture de Cars (prévu pour novembre 2005) se cachent un peu partout. Quant au dernier opus, on peut apercevoir Nemo sur le bavoir du bébé de la famille Indestructible. On ne compte plus les camions Pizza Planet qui peuplent ce microcosme. Car il s'agit bien là d'un univers propre à ces films, et parfaitement cohérent. Plus encore qu'un simple plaisir ludique pour les infographistes et les fans (on est loin du crâne d'un Alien dans Predator 2 ou du gant de Freddy qui vient chercher Jason dans Jason va en enfer), on assiste à la mise en place d'un nouveau Royaume Magique. Disney est détrôné. Les ballons, lampes et autres jouets, ainsi que les insectes, ne sont pas des voyageurs récalcitrants, passant de film en film, mais peuvent très bien être considérés comme des objets-êtres à part entière, et pas nécessairement comme le même objet, toujours présent. Après tout, ce modèle de ballon, de lampe ou de jouet a été fabriqué en milliers d'exemplaires, et peut donc se trouver partout de par le globe, que ce soit chez Bouh ou en Australie.


IL ETAIT UNE FOIS LA VIE

En fin de compte, le principal modèle de référence n'est autre que le plus banal des quotidien. Quel meilleur point commun que celui que l'on partage tous sans exception? Qu'il s'agisse d'une fourmilière, de Monstropolis ou bien d'un habitat sous-marin, les scénaristes cuisinent la vie de tous les jours à toutes les sauces, la remaniant tantôt à l'échelle d'insectes et de poissons, ou imaginant ce qu'elle serait dans un monde peuplé de monstres. De cette manière, les scènes ne font plus appel à notre connaissance du cinéma (celui de Pixar ou d'autres) mais à notre expérience journalière, telle que la traversée d'un feu tricolore (Monstres & Cie ou Le Monde de Nemo) ou l'utilisation du potentiel jusqu'à alors insoupçonné d'objets anodins (la cité urbaine de 1001 Pattes ou, dans une moindre mesure, les portes de Monstres & Cie), sans oublier le quotidien des super-héros aujourd'hui rangés des Indestructibles. Plus encore que la transformation d'éléments récurrents de notre vie, c'est dans l'imaginaire collectif que Pixar puise ses meilleures idées. Qui n'a jamais imaginé ses jouets prendre vie et mener une existence indépendante de notre volonté une fois que nous avions le dos tourné? Qui n'a jamais cru, dur comme fer, à la présence de monstres cachés dans le placard, ou sous le lit, qui se manifestaient dès que nous avions les yeux fermés? C'est là que les films s'adressent à l'enfant que nous étions, celui dont la crédulité était infinie. C'est cette même propension à croire qui fait de nous des spectateurs de cinéma. Et les studios Pixar connaissent leur Bible.


Robert Hospyan