Incontestablement, l'élève a déjà dépassé le maître, et de loin. Le studio Pixar a en effet pris sa liberté en ne gardant que les meilleurs ingrédients des vieilles recettes Disney, choisissant d'aborder des thèmes phares de manière simple mais innovante. Chaque scénario apparaît ainsi minutieusement travaillé, ne cédant pas aux métaphores alambiquées ou aux gags faciles. L'enfant est considéré dans toute son intelligence et sa complexité, réagissant au monde qui l'entoure, et non comme un simple spectateur d'un conte tragi-comique à la morale souvent pesante. C'est que John Lasseter et son équipe ont pris soin de se pencher sur leur public-cible avec amour, apprenant à les connaître pour mieux leur parler. Certains ont des dollars dans les yeux, d'autres des cœurs...


COMME A LA MAISON

D'emblée, les films Pixar frappent par la facilité d'identification qu'ils offrent: plusieurs héros d'âges et de sexe différents y évoluent, chacun pouvant se retrouver un peu dans l'un d'eux, personne n'est laissé pour compte. De plus, chaque personnage a une personnalité propre et clairement définie, quelques principaux traits de caractère émergeant toujours rapidement. Les comportements de ces personnages vont alors facilement provoquer des réactions (identification, adhésion, rejet...) chez le spectateur et le faire entrer de fait dans l'histoire. Un alter-ego, que ce soit un insecte ou un jouet, va vivre ces aventures pour lui. La tache est facilitée par la touche d'humanisation apportée à chaque fois: les décors et l'organisation quotidienne sont calquées sur la réalité des humains, que ce soit Tilt en touriste dans un Times Square miniature ou Bob et Sulli se rendant à l'usine tous les matins. La frontière devient même floue quand dans Toy Story 2 l'on découvre tous les produits dérivés du "Woody's roundup", que l'on imagine en vente dans nos magasins, à côté des pyjamas Buzz l'Eclair. Ce drôle de "copier-coller" de notre vie contribue aussi à faire adhérer les adultes, d'ordinaire réticents aux longs métrages d'animation, aux œuvres du studio.


La source de ces univers anthropomorphiques se trouve dans les croyances des enfants elles-mêmes. En effet, ceux-ci - particulièrement entre trois et six ans - développent ce que les psychologues appellent la pensée magique, axée sur l'animisme: chaque chose est vivante et dotée d'un esprit. Pixar donne donc vie à ces fantasmes infantiles: les insectes vivent comme nous, les jouets s'animent vraiment lorsque nous ne sommes pas là, et il existe bel et bien un monstre dans le placard, qui attend le bon moment pour nous effrayer. Certaines des questions des enfants semblent ainsi trouver une réponse: Sulli finalement ne fait que son travail, Woody assure vraiment son rôle de shérif parmi les jouets, et être une petite princesse fourmi n'est pas de tout repos. S'identifiant aux personnages, l'enfant va aisément comprendre leurs sentiments - les expressions faciales en 3D étant de surcroît vraiment réussies - et rapporter à sa propre vie leurs expériences, qu'il a ainsi vécues à travers eux, en restant hors de danger. L'une des qualités du studio est de ne pas forcément épargner les petits: ils "vivront" de la joie comme de la peine, du plaisir comme du danger, tout ce qui se passe dans les films devenant alors début de solution pour appréhender les problèmes du quotidien, que ce soit une menace sur le cocon familial ou une rivalité avec un ami.


T'ES PLUS DANS LE COUP, PAPA

L'un des plus importants challenges de la vie d'un enfant est de s'émanciper, d'acquérir son indépendance - pour Couette, ce sera littéralement voler de ses propres ailes -, de développer sa réflexion personnelle à travers ses propres acquis, tout en respectant ses aînés et les lois. Pour cela, il est obligé à un moment ou à un autre de "sortir du rang", ce qui lui vaut naturellement les désapprobations des adultes. Ceux-ci tentent d'inculquer à leur progéniture tous les bienfaits qu'il y a à "faire comme les autres", à ne pas être différent. Tilt en fera la douloureuse expérience, la colonie lui demandant littéralement de "rentrer dans le rang". Mais en désobéissant, il est le seul à oser s'opposer aux sauterelles, quitte à être rejeté, puis à quitter le confort de la fourmilière, ce qui aboutira à la libération des siens. Le conflit entre jeunes et anciens est inévitable, mais nécessaire. Il permet également de dépasser les stéréotypes véhiculés de génération en génération et de faire évoluer la société: prisonnier de la chambre de Sid, Woody se retrouve face aux effrayants jouets-mutants de celui-ci, persuadé d'être leur proie. Or, il s'apercevra avec surprise que ces jouets transfigurés sont tout aussi gentils et serviables que lui, ils l'aideront même à s'échapper. Une fois sauvé et rentré chez Andy, il transmettra alors cette découverte à sa bande de jouets.


Cette peur de l'étranger, de la différence, est même souvent cultivée par les anciens: tandis que dans 1001 Pattes, la petite Couette continue à croire en Tilt, seule contre tous, le vieux Waternousse, directeur de la Monstres & Cie, perpétue la légende des enfants véritables "virus" pour les monstres. Ceux-ci ont donc logiquement peur des jeunes humains - qu'ils sont pourtant censés effrayer! - et prennent mille précautions pour ne jamais être en contact physique avec eux. Or, quand Bouh débarque dans leur monde, l'inversion des rôles prend tout son sens. Sulli et Bob, après avoir été apeurés puis caché Bouh chez eux, démontreront que les enfants ne sont pas du tout dangereux pour les monstres, au contraire. Une idée jaillit alors, telle Bouh au restaurant Harryhaussen, de ces préjugés racistes: tout le monde est finalement le monstre de quelqu'un. Le plus dur sera alors de dépasser cet a priori et de savoir voir, comme Bouh, le "chaton" derrière le monstre. L'expérience personnelle, qu'elle confirme ou infirme les théories des parents, est essentielle à la construction de l'enfant et de sa capacité à se créer une opinion propre. Il devra donc mettre en branle ce qu'on lui inculque pour avancer, mais toujours dans le respect de l'autre.


I'LL BE THERE FOR YOU...

Même solitaire, un héros n'est jamais seul chez Pixar. Les autres, amis, rivaux, parents, sont toujours là. Mais la notion d'amitié et tout ce qu'elle entraîne est très développée. Emplis de sentiments humains, les personnages se retrouvent souvent face à un dilemme: quitter ou non la colonie pour chercher de l'aide; accepter ou se débarrasser de Buzz; rentrer chez Andy ou partir au Japon avec le roundup; que faire de Bouh la petite clandestine? Chaque film confronte son héros à une décision entraînant des conséquences pour lui mais aussi pour ses amis. Il devra alors trouver un équilibre entre penser à soi et aux autres, entre l'égoïsme et l'abnégation. Ceci, un enfant le vit au quotidien. Chez les petits, les amitiés et les rivalités se font et défont jour après jour. Les liens se tissent timidement, et le moindre événement nouveau peut changer la donne: un nouvel élève dans la classe, l'arrivée d'un petit frère... L'enfant expérimente la jalousie et la rivalité, et comprend entièrement la réaction de Woody face à l'arrivée de Buzz dans la chambre d'Andy, tout comme celle de Bob, délaissé par Sulli pour Bouh. Tout ceci lui permettra de mettre à l'épreuve la confiance qu'il a en lui et celle qu'il peut accorder aux autres.


Apprendre à défendre sa place et ses idées, en se respectant soi-même et les autres, telles sont les idées véhiculées par le studio à travers l'épopée de ces petits héros plein de courage. Ceux-ci devront à chaque fois, afin de progresser, vaincre leurs peurs. Bouh affrontera littéralement son démon en sautant sur Léon pour défendre Sulli. Lui-même a su dépasser le regard que la petite fille portait sur lui après l'avoir découvert terreur d'élite en exercice de simulation. De même, Tilt et Woody réussissent à contrebalancer l'avis négatif que les autres fourmis/jouets ont d'eux en leur prouvant leur bravoure et leur générosité. Une étape-test doit être passée. Ces épreuves apportent leur lot de joie, de peine, de pardon, d'entraide, de confiance... Autant de sentiments qu'éprouve tous les jours un enfant. Véritables piliers, ses amis créent une sphère protectrice interactive, où chacun s'aide et s'encourage, où un leader émerge toujours aussi et, surtout, où le fait d'être ensemble devient plus fort que tout. Peu à peu, l'enfant s'éloigne du principe de plaisir, où l'immédiat règne, pour céder au principe de réalité, où la réflexion prend le dessus. Ce développement infantile, Pixar l'a bien compris, et le retranscrit ainsi judicieusement dans ses œuvres, que l'on peut affirmer pédagogiques.


Marlène Weil-Masson