Lorsque John Lasseter se déplace à la cinémathèque de Paris avec les bobines – ou plutôt le disque dur puisque le film était projeté en numérique – de Cars, c’est aussi pour rencontrer les fans cinéphiles qui ont sus célébrer Pixar comme des artistes populaires mais exigeants. Humble, sûr de ses choix, travailleur, l’homme dégage une bonhomie et une sympathie immédiate qui lui permettent de se mettre le public dans la poche. Car nous y voilà, le nouvel homme fort de Disney ne mâche pas ses mots quant à la gestion artistique désastreuse du studio légendaire, nous faisant espérer une renaissance prochaine des pionniers de l’animation.


A PROPOS DE SES DEBUTS CHEZ PIXAR

Lorsque j’ai commencé à travailler chez Pixar, il n’y avait ni assez d’argent et ni assez d’ordinateurs performants pour faire ce que je voulais. La nuit, j’empruntais un ordinateur à des collègues, j’étais limité. Je ne pouvais pas faire beaucoup de mouvements de caméra, très à la mode à l’époque, et je ne pouvais pas non plus faire de vrais décors, de vrais fonds. Donc pour résumer: pas d’argent, pas de mouvements de caméra, pas de décors. Mais ces limitations m’ont forcé à me concentrer sur l’histoire et les personnages. Et je me souviendrai toujours de l’été 1986, quand Luxo Jr. a enfin été présenté à un groupe d’ingénieurs en industrie graphique. Jim Blinn est venu me voir à la fin de la projection et m’a dit: "John, j’ai une question à te poser." J’ai pris peur. Je pensais qu’il allait me parler de l’algorithme des ombres ou quelque chose comme ça. Il me demande: "John, est-ce que la lampe adulte est le père ou la mère de la petite lampe?" Là j’ai compris que nous avions réussi quelque chose que personne n’avait encore fait dans l’animation par ordinateur. Nous avions réalisé un film qui avait intéressé les spectateurs par son histoire et ses personnages, et non par son aspect technique.


A PROPOS DE L'INFLUENCE DE SULLIVAN TRAVELS SUR SON TRAVAIL

Sullivan Travels est l’histoire de Sullivan, un réalisateur hollywoodien réputé pour faire des comédies très populaires. Ça se passe pendant la Grande Dépression, Sullivan veut être reconnu comme un vrai artiste. Il décide d’écrire un drame typiquement américain qui s’inspirerait de la Dépression. Il part en voyage dans l’Amérique profonde, un vagabond lui vole presque aussitôt la veste qui contient ses papiers. Le vagabond se fait tuer dans un train par accident et tout Hollywood porte le deuil du réalisateur, laissé pour mort. Pendant ce temps, Sullivan se réveille au fin fond du Sud américain et se fait arrêter pour avoir pris le train illégalement. Il est incarcéré dans une prison de travailleurs, où personne ne le connaît. Il est désespéré. A Noël, tous les prisonniers sont invités dans une église noire du Sud – nous sommes en pleine ségrégation raciale – pour regarder un dessin animé de Pluto. Malgré la misère, tout le monde éclate de rire. Cette scène montre le pouvoir du divertissement. En voyant ce dessin animé, Sullivan comprend la portée de ses propres films: ils aident les gens à surmonter leur détresse. Une fois sorti de prison, il rentre à Hollywood, abandonne son idée de drame pour continuer ses comédies. J’ai vu ce film pour la première fois quand j’étais à CalArts, il m’a vraiment rappelé ce désir que j’ai toujours eu de divertir le public. Le dessin animé était sûrement le meilleur moyen d’y parvenir.


A PROPOS DE LA GENESE DE CARS

J’habitais à Los Angeles, ma mère était professeur de dessin et mon père travaillait pour un concessionnaire Chevrolet, il s’occupait des pièces détachées. Les week-ends et les vacances d’été, j’adorais travailler chez ce concessionnaire. C’était l’époque des premières muscle cars. Mon amour pour les voitures, en particulier les Chevrolet comme les Corvet, vient de là et je n’ai jamais oublié cette première passion. De plus, quand j’étais enfant, mon jouet préféré était les hot-wheels. J’avais l’âge parfait quand ils sont sortis.

Pendant le tournage de 1001 Pattes, nous avions déjà l’idée de faire un film avec des voitures pour personnages principaux. Mon court métrage Disney préféré s’appelle Susy, the Little Blue Coupé, il est parfait! On y voit une petite voiture animée. Un jour je me suis dit que ça pourrait rendre encore mieux avec notre technique d’animation actuelle. Désormais nous pouvons rendre ces voitures presque réelles avec les effets de chrome, de réflexion de la lumière sur le métal et la peinture. Donc après Toy Story 2, c’était pour moi le prochain film à réaliser. Comme nous n’avions pas encore d’idée d’histoire, nous avons regardé des documentaires sur les voitures. Parmi eux, il y a deux choses appartenant à l’univers automobile qui nous ont inspirées. Tout d’abord le milieu de la course car c’est un environnement qui en jette. J’aime les courses automobiles. Comme l’a dit le grand pilote américain Richard Perry: "La course automobile est née le jour où la deuxième voiture a été construite." Et puis la seconde chose qui nous a inspiré, et ça va peut-être paraître étrange, c’est le système autoroutier des Etats-Unis, ce qu’il a modifié dans le paysage, les habitudes et l’économie du pays, et principalement la célèbre route 66 qui permettait de traverser tout l’Ouest depuis Chicago jusqu’à Los Angeles.

Pendant les années 90, j’ai réalisé les deux épisodes de Toy Story, 1001 Pattes, les uns à la suite des autres, chacun nécessitant quatre années de travail. Les productions se chevauchaient, j’en commençais un alors que la post-production du précédent n’était pas encore achevée. Je travaillais sans relâche. A la même période, nous avons eu avec ma femme Nancy quatre de nos cinq enfants. Nancy m’a toujours soutenu dans ma carrière mais pendant la post-production de Toy Story 2, elle m’a dit qu’il fallait que je prenne un peu plus de temps pour ma famille, sinon un jour j’allais me réveiller, mes enfants auront grandi, seront partis loin de la maison pour leurs études et je le regretterai. Elle avait raison. J’ai donc pris des vacances pendant tout l’été 2000. Avec Nancy nous avons acheté un camping-car d’occasion. Nous avons emmené les cinq enfants et nous avons passé deux mois à faire le tour des Etats-Unis. Nous n’avions rien prévu à part nous dire: "On plonge nos pieds dans l’Océan Pacifique, on part vers l’est, et une fois les pieds dans l’Océan Atlantique, on rentre à la maison." Tout notre entourage s’est dit qu’on était fou, qu’on allait se taper dessus au bout de quelques jours. Mais en réalité nous nous sommes rapprochés de ce qu’on appelle "l’esprit de famille". Nous avons beaucoup ri. Pour la première fois de ma carrière, je ne me focalisais pas sur une destination à atteindre à la fin de la journée, je profitais du jour tel qu’il venait. Quand je suis rentré de ce voyage, j’ai su de quoi devait traiter ce film. Les personnages devaient apprendre ce que j’avais moi-même appris sur ma vie, c’est-à-dire que la récompense dans l’histoire, c’est le parcours accompli et non le résultat final. Et c’est ainsi qu’a commencé l’élaboration de la trame de Cars.

J’ajouterai que Nancy a eu une autre importance dans la création de ce film. Comme je vous l’ai déjà dit, je suis un car geek. J’adore les voitures et les courses. Quand on a commencé le film, j’étais parti pour mettre plein de détails sur l’ambiance des courses, sur ce qui plait aux geeks comme moi, et Nancy m’a dit: "Fais bien attention à ce que ton film s’adresse aussi à des gens comme moi, ou du moins à toutes les personnes dans le monde qui n’aiment pas spécialement les courses automobiles, qui s’en fichent des voitures." Et elle avait raison. Et pendant la création du film, mon assistant, Joe Ranft, appelait ça le Nancy Factor. Et c’était très important. Si à un moment on devenait trop tatillon sur certains détails, on se souvenait de ce qu’elle avait dit et on faisait marche arrière pour se focaliser sur l’histoire principale et les personnages. Ceci dit, nous avons quand même gardé plein de détails dans les scènes de courses pour les fans comme moi.